Le 30 mars dernier, une journée d’information autour du projet « territoires zéro chômeur de longue durée » a réuni plus de 300 personnes à l’Assemblée nationale. Il en ressort un engouement pour le dispositif qui constitue une véritable révolution copernicienne dans l’approche du chômage, mais aussi la nécessité de rester vigilant quant à la mise en place du projet.
Élus locaux, associations partenaires, entrepreneurs, syndicats, futurs salariés ont décliné leurs attentes et manifesté le formidable espoir que constitue la possibilité, grâce à la loi d’expérimentation votée à l’unanimité par les parlementaires en février dernier, de tester à l’échelle de leurs quartiers, communes ou communauté de communes ce dispositif inédit et prometteur.
A partir de juin prochain, une dizaine de territoires vont proposer à tout chômeur de longue durée qui le souhaite un emploi à durée indéterminée adapté à ses compétences, sans surcoût pour la collectivité. Il s’agit d’identifier les savoir-faire des personnes en recherche d’emploi et de créer des postes adéquats, dans des « entreprises à but d’emploi » (EBE), en fonction des besoins recensés sur le territoire. La réaffectation des coûts liés à la privation durable d’emploi financera en large partie la création de ces emplois délaissés faute de rentabilité.
Sachant que les coûts directs (allocations…), les manques à gagner (impôts et cotisations sociales) et les coûts induits (aggravation des problèmes de santé liés à la précarité…) représentent un coût moyen estimé de 17 000 à 20 000 euros par an et par demandeur d’emploi, selon une étude macroéconomique réalisée par ATD Quart Monde et validée notamment par l’économiste Jean Gadrey, pour chaque emploi créé, payé au smic, il faudra que l’entreprise génère environ 5000 euros de ressources propres, notamment par la vente à prix symbolique des biens et services produits.
Fort de la conviction que l’emploi doit être conçu comme un droit, au sens où le préambule de la Constitution française affirme clairement que si tout citoyen a « le devoir de travailler », il a aussi « le droit d’obtenir un emploi », et faisant le constat que depuis des décennies cet équilibre droit-devoir est rompu et affecte cruellement les plus fragiles et les plus pauvres, le mouvement ATD Quart Monde a lancé en 2013 cette idée de « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Partant de ce constat, les militants du mouvement ATD ont étayé leur projet par leur pratique de terrain, qui chaque jour leur démontre que la privation durable d’emploi d’une part croissante de la population est extrêmement coûteuse pour la société, que le travail ne manque pas (aide aux personnes isolées ou en perte d’autonomie, espaces verts des communes…), mais qu’il n’est pas forcément solvable, en s’appuyant sur d’innombrables témoignages de personnes en grande pauvreté, qui manifestaient leur désir de travailler, et leur méfiance face à des dispositifs d’insertion à court terme qui ne leur permettent pas d’envisager l’avenir avec sérénité et de faire des projets personnels. Cette volonté « d’être utile » et de « participer » s’est d’ailleurs concrétisée au travers de plusieurs journées de « grève du chômage », au cours desquelles des personnes privées d’emploi se sont organisées pour effectuer spontanément des travaux d’intérêt général.
Le 30 mars, plusieurs dizaines de personnes privées d’emploi depuis plusieurs années avaient fait le déplacement. Elles ont exprimé leurs idées, leur capacité à travailler ensemble vers un but commun, leur motivation et leurs attentes par rapport à ce projet qui les a déjà remobilisées et constitue un véritable horizon pour elles.
La proposition de créer des entreprises à but d’emploi pour employer ces personnes et dynamiser des territoires a séduit de nombreux partenaires tant des associations comme Emmaüs, le Pacte civique et Secours catholique-Caritas France qui se sont associées au projet, que des élus comme les députés Laurent Grandguillaume qui a proposé la loi d’expérimentation à l’Assemblée, ou Dominique Potier qui l’a toujours défendue, des élus locaux, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, et même l’ancien patron d’Axa, Claude Bébéar ! Tous semblent avoir saisi que cette proposition de fournir, à l’échelle locale, un emploi en CDI à temps choisi, rémunéré au smic, aux personnes qui le souhaitent dans des « entreprises à but d’emploi », financées par le transfert des coûts du chômage (entre 17000 et 20000 euros par an et par personne) et en très faible part par la vente de leurs produits ou services est un jeu à somme nulle pour les comptes publics, mais un potentiel gain immense pour les territoires et les personnes concernés.
Les sommes nécessaires à l’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée seront mises à disposition dans un fonds, mis en place dès le mois d’avril et les décrets d’application de la loi seront publiés courant juin. Une étape indispensable avant le lancement des premières entreprises à but d’emploi et le recrutement des futurs salariés.
Cette journée a également été marquée par le lancement du comité de vigilance citoyen et son manifeste*. Porté par le mouvement ATD Quart Monde, le mouvement Emmaüs France, le Pacte civique, le Secours catholique-Caritas France, les territoires expérimentaux déjà engagés et le député Laurent Grandguillaume, ce comité a vocation à rassembler tous ceux qui s’intéressent au projet et qui entendent veiller à que ce projet citoyen ne soit ni dénaturé, ni récupéré.
La vigilance portera donc prioritairement sur les entreprises à but d’emploi : il s’agira par exemple d’être particulièrement attentif à ce que les personnes les plus exclues, les plus éloignées de l’emploi puissent trouver leur place au sein des entreprises à but d’emploi, sans aucune « sélection ». Il conviendra également de veiller à la vie au travail des futurs salariés, à ce que les entreprises à but d’emploi n’entrent pas en concurrence avec des entreprises classiques du secteur privé ou des services publics ainsi qu’à la bonne coopération entre les territoires et le Fonds d’expérimentation chargé de piloter au niveau national et à ce que l’évaluation du dispositif, à l’issue des cinq années d’expérimentation, se fasse de manière indépendante et non partisane.
* Pour permettre à l’ensemble des citoyens qui le souhaitent de rejoindre le comité de vigilance Territoires zéro chômeur de longue durée, il est désormais possible de signer ce manifeste en ligne sur le site Internet dédié au dispositif (consultez le site zero chomeur de longue durée)
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