Pour Jean-Michel Bocquet, coauteur d’un rapport commandé puis refusé par le ministère de la Jeunesse en 2016, les colos sont des machines à produire de l’exclusion. Il invite les acteurs associatifs à un sursaut qualitatif, au risque de la dissolution du projet de mixité sociale dans les impératifs marchands du tourisme.
Jean-Michel Bocquet est cofondateur des éditions Le social en fabrique, doctorant en sciences de l’éducation et coordinateur de l’animation pour les colos de l’association Aide aux jeunes diabétiques (AJD).
Il est aussi coauteur du rapport « Des séparations aux rencontres en camps et colos », destiné à évaluer le dispositif #GenerationCampColo. Ce vaste appel à projets pour des colos innovantes lancé en 2015 par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports n’a pas convaincu les chercheur.euse.s, dont la conclusion ne souffre aucune ambiguïté : les colos sont devenues un produit, ses organisateurs segmentent les publics et créent de l’exclusion sociale.
Coécrit par neuf chercheur.euse.s de tous horizons disciplinaires, le rapport a finalement été refusé par le ministère (lire la tribune des auteur.e.s). Il est disponible sur le site des éditions Le social en fabrique.
Quel regard portez-vous rétrospectivement sur le dispositif #GenerationCampColo ?
Le gouvernement s’était imaginé que son appel à projets permettrait de détecter les innovations à l’œuvre. Or, de l’innovation il y en a, mais pas ou très peu parmi les acteurs qui ont répondu à l’appel #GénérationCampColo, qui pratiquent un modèle pédagogique et économique produisant de l’exclusion. L’innovation est portée par des expérimentations ultralocales, qui ne sont pas toujours repérées par les grands organisateurs, ni par le ministère qui ne fait plus que du contrôle, sans accompagnement. C’est ce qu’on a écrit dans notre rapport, et c’est ce qui ne leur a pas plu.
Pensez-vous que les colos sont victimes d’un déficit de notoriété, de médiatisation ou de confiance ?
L’image positive des colos est nostalgique : la boum, les grands jeux… Mais il y a un vide énorme à combler : quels effets produisent-elles, en termes de sens, pour les parents, les jeunes, les communes, la société tout entière ? Or depuis trente ans, celles et ceux qui construisent et accompagnent les colos ne sont pas parvenus à les rendre désirables, modernes. Et ce n’est pas le marketing qui y parviendra. La preuve, malgré les campagnes de communication du ministère de la Jeunesse, la fréquentation baisse : 30 000 enfants de moins partent chaque année depuis 2007, et 46 000 pour la seule année 2016.
« Pour vendre, les associations ont investi dans le marketing, y mettent de l’énergie et de l’argent. »
Le premier frein au départ est le prix des séjours, autour de 500 euros la semaine en moyenne, et jusqu’à plus de 2000 euros dans le privé. Comment expliquer ce coût élevé ?
Le premier élément est le basculement des colos dans le domaine de la gestion hôtelière, et donc dans les outils du marché : on monte en gamme pour aller chercher des clients haut de gamme, ce qui augmente les investissements des associations, à moins de vendre le patrimoine. Cela va de pair – c’est le deuxième élément – avec le fantasme du « zéro risque », qui maintient un haut niveau de normes de sécurité, parfois inaccessible. Et enfin, pour vendre, les associations ont investi dans le marketing, y mettent de l’énergie et de l’argent. En parallèle, il leur faut répondre à des marchés publics, et monter des cellules pour construire les dossiers. Toute cette technocratie demande également de l’investissement.
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La fédération d’associations Jeunesse au plein air (JPA) vient de lancer la campagne « Aux colos citoyens ! », pour valoriser les colos et accueils de loisirs auprès des nouveaux députés, au travers d’un plaidoyer dont la CCAS est signataire. Que pensez-vous de cette initiative ?
Politiquement parlant, ce plaidoyer ne va pas assez loin, et part d’un consensus mou. Disons qu’il y a des ruptures claires entre ceux qui pensent que les colos relèvent de la politique publique, d’un certain rapport à la ville, de l’engagement d’une jeunesse, etc., et ceux pour qui les colos sont un marché comme les autres. On nous dit parfois du côté des associations : « Le marché permet aux colos de luxe d’exister ! » Mais c’est un choix politique de s’adapter ou non au marché.
Les associations, qui gèrent en majorité le départ en colo, ne doivent-elles pas s’adapter à de nouvelles réalités économiques ?
Le problème de ce secteur est que certains acteurs – les plus gros – prospèrent, alors que d’autres sont en train de mourir. La part des acteurs marchands augmente parce qu’il y a un marché à capter, des clients qui payent cher des séjours, par exemple à dominante précise (séjour « humanitaires », permis de conduire…). De fait, le modèle des « summer camps » américains constituent un marché très florissant ! Or, les associations utilisent les mêmes outils que les marchands et se mettent à vendre des séjours : si une association entre dans les logiques de hot-line et de gestion hôtelière, qu’est-ce qui la différencie d’une entreprise commerciale ?
Se dirige-t-on vers un monde de colos « pour riches » et de colos « pour pauvres » ?
La classe moyenne est économiquement exclue des colos. Une famille ne peut pas y inscrire ses deux enfants. Mais la solution n’est pas pour autant de débloquer des aides : il s’agit de repenser le modèle et les projets pédagogiques, et d’y inclure les parents. C’est le cas des petits organisateurs que l’on cite dans nos articles, comme la Maison de Courcelles, les 400 Coups ou Evasoleil.
D’un autre côté, les populations issues des politiques de la ville, les gamin.e.s « à problème » ou en situation particulière de santé sont exclu.e.s des colos. Si l’on décide de remettre en place une politique publique sur ce secteur, on sera obligé d’inclure tout le monde. Mais je ne suis pas naïf au point de croire que les colos vont devenir un service public.
« Le problème est qu’on vend de la colo programmée : on est sûr du lieu, et de ce qu’on va y faire. Mais on ne sait pas qui part. »
Votre rapport critique sévèrement l’état des mixités (sociale, de genre, géographique, liée à l’état de santé…) dans les colos.
Il existe aujourd’hui une confusion sur les enjeux du monde associatif, la mixité et le vivre ensemble, qui figurent pourtant dans les projets pédagogiques. Le fait est qu’aujourd’hui, en colo, il se passe la même chose que dans les années 1950. Il a toujours été question de faire des petits colons de bons « quelque chose » : de bons citoyens, de bons croyants, de bons travailleurs…
Et c’est le même modèle psychopédagogique qui est actuellement à l’œuvre : une sorte de Club Méditerranée, centré sur les adultes qui décident des besoins des enfants, avec une méthodologie de « projet » qui fait de chaque activité un objectif éducatif, saupoudré de contenus « à la carte ».
Vous critiquez la dérive des colos spécialisées, qui développent des compétences au lieu de développer le lien social. Vous plaidez pour les colos généralistes ?
Si on veut vendre des colos, l’activité, c’est top ! Mais je ne plaide pas forcément pour les colos généralistes. Le tout est de permettre aux gens de se rencontrer. Si on accueille une colo foot et une colo déco dans le même lieu, et qu’on attend qu’il se passe quelque chose, il ne se passera rien ! Il faut construire de la relation et de la rencontre entre les enfants et les ados présents… au risque qu’ils ne fassent ni foot ni déco ! Le problème est qu’on vend de la colo programmée : on est sûr du lieu, et de ce qu’on va y faire. Mais on ne sait pas qui part.
Vous insistez sur la nécessité que tous les acteurs – parents, enfants, encadrants… – se connaissent et se rencontrent.
À l’origine les colos étaient adossées à des patronages ou à des écoles : l’enfant partait avec l’instituteur.trice, l’animateur.trice du patronage, le personnel de service qu’il y croisait, etc. donc on ne confiait pas son enfant pas à n’importe qui. Aujourd’hui, on achète sans connaître ni le directeur ni les animateurs, qui souvent ne sont pas issus du lieu où va se tenir la colo. Le recrutement de l’équipe d’animation est important : c’est une très mauvaise idée de recruter uniquement des animateurs de Paris, par exemple, pour encadrer des enfants du bassin minier…
« Le modèle ‘tranche d’âge/activité’ ne marche pas pour la mixité. »
Quelles craintes sont exprimées par les parents ?
Certaines populations sont méfiantes quant à ce que leurs enfants vont apprendre dans les colos, notamment les plus précaires. « Les autres vont mal le traiter, il/elle n’a pas d’affaires à la mode, il/elle ne sait pas bien écrire… » Les parents ont peur que leur personnalité ne soit pas respectée, en fonction de leur origine, du territoire où ils/elles habitent ou de leur religion. Mais quand ces publics sont accompagnés par une association avec un vrai projet d’inclusivité ou de mixité, comme l’association ATD Quart Monde, ils acceptent de faire des choses qu’ils croient a priori ne pas être « pour eux », dans des lieux où ils n’iraient jamais.
Faut-il adapter les colos à tous les publics ?
Il me semble qu’aujourd’hui les colos ne sont pas faites pour tout le monde. On a quantité de demandes liées à des particularités, mais on dit « non, parce qu’il y a le groupe, vous comprenez ». Or il faut accepter de se faire percuter par des situations complexes, qui nous posent question. La structure d’une colo ordinaire est trop rigide.
L’enjeu est de permettre de partir avec les copains et les copines qui ne sont pas de la même commune, dont les parents ne sont pas du même comité d’entreprise, qui sont handicapé.e.s, ou avec le frère ou la sœur qui n’est pas dans la bonne tranche d’âge. Le modèle « tranche d’âge/activité » ne marche pas pour la mixité.
Vous préparez actuellement une thèse de doctorat en sciences de l’éducation, dirigée par Jean Houssaye, et travaillez avec l’association Aide aux jeunes diabétiques sur la pédagogie de la décision au sein de leurs séjours de vacances. Quel est l’objet de cette recherche ?
Il s’agit de mesurer les effets de cette pédagogie, qui consiste à permettre aux enfants de décider de ce qui les concerne. La pédagogie de la décision est coopérative, avec des plannings mouvants et des règles de vie décidées avec les jeunes. Hormis pour l’organisation de base et le suivi médical (heures des repas, passages à l’infirmerie…), les enfants ont la possibilité de participer ou non aux activités, de monter des projets singuliers ou de ne rien faire, tout cela étant organisé grâce à des outils de coopération comme le conseil, des outils d’écoute et d’attention à l’autre (cahiers de râlage, de bonheur, quoi de neuf ?, etc.
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Quels enseignements tirez-vous de ce fonctionnement ? Peut-on l’étendre au champ des colos en général ?
Ce travail avec des publics spécifiques peut être un laboratoire pour les autres colos. Quand on organise des séjours avec des enfants qui ont des particularités, comme le handicap, on s’adapte. Or, la tendance consiste à inventer des dispositifs spéciaux, pour ne pas faire participer les exclus… Au lieu de réformer l’école, on invente des dispositifs de remédiation scolaire. De même, les vacances adaptées sont pensées pour ne pas mettre les enfants dans les colos « normales ».
Dans les colos de l’AJD, on est extrêmement attentif à la place de chaque individu : comment vont-ils/elles, où en sont-ils/elles ? Il s’agit de prendre soin de ce qu’ils et elles sont, d’avoir une écoute individuelle pour chaque enfant. Notre idée est celle du « care » [« soin » en anglais, ndlr], valeur cardinale qui pose en principe le soin aux plus faibles.
Selon vous, les colos peuvent donc sauver le lien social ?
Le sauver, je ne sais pas. Mais elles peuvent au moins en être un des leviers. Les colos actuelles sont à l’image de la segmentation des publics et des territoires. Il faut faire quelque chose avec les gens, pas uniquement les mettre à un endroit et attendre de voir ce qu’il se passe. Ça passe par des initiatives très simples, presque évidentes, comme préparer à manger ou partager un repas. Si les colos permettaient cet espace commun, on inventerait une nouvelle colo, ou plutôt : les colos actuelles pourraient revivre.
Pour favoriser la mixité sociale, faut-il que les colos soient organisées et animées par des militants ?
Pas exactement. Il est nécessaire de réfléchir avec les acteurs et actrices de terrain, et de retisser du lien entre ceux qui font la mixité et ceux qui la pensent. À la CCAS, il existe au moins ce trait fondamental : des espaces d’élaboration collectifs, des lieux qui permettent l’expression.
Mais il y a une carence en termes de recherche pratique dans le champ des colos. Les fédérations d’éducation populaire ne jouent plus le rôle de laboratoires pédagogiques. Il faut remettre un peu de moyens pour que les chercheurs puissent investir ces espaces, il y a même urgence : sinon les colos sont mortes, et deviendront du tourisme.
Pour aller plus loin
Travaux de Jean-Michel Bocquet :
« Des séparations aux rencontres en camps et colos », rapport d’évaluation du dispositif #GenerationCampColo, ouvrage collectif, éd. Le social en fabrique, 2016, 15 €.
« La thèse de la colo libre… Le processus d’individualisation dans une colonie de vacances en pédagogie de la décision », mémoire de master en sciences de l’éducation, dir. Jean Houssaye, Université de Rouen, 2012.
Tags: Colos Éducation populaire Enfance
jean michel Bocquet est un idéologue et veut faire rentrer dans son schéma de pensée sa philosophie gauchiste du « vivre ensemble ».
il nie la réalité qui fait que la mixité sans autorité, ni projet tirant les jeunes vers le haut comme cela été dans les années trente à soixante-dix conduit aux dérapages qui fait que nous avons retiré nos enfants de ces lieux d’endoctrinement à l’idéologie mortifère.