À qui profite le marché des énergies renouvelables ?

Energies fossiles et renouvelables. Illustration : Jean-Luc Boiré

Les énergies renouvelables sont la porte d’entrée principale des entreprises privées dans l’énergie en France et en Europe. Mais à quel prix ? ©Jean-Luc Boiré

Principale porte ouverte aux entreprises privées sur le marché de l’électricité, le secteur des renouvelables constitue un terrain d’investissement juteux, sécurisé par la puissance publique. Au risque de conduire à une bulle spéculative tout à fait fragile, au vu de la hausse des matières premières et des taux d’emprunt.

Les énergies renouvelables sont des énergies provenant de sources naturelles que l’on peut considérer comme inépuisables à l’échelle du temps humain. Jusque dans les années 2000, deux filières renouvelables dominaient le mix énergétique français : l’hydraulique pour la production d’électricité et le bois pour la production de chaleur. En milieu urbain, on pouvait également compter sur l’incinération des déchets, dont la capacité est toutefois beaucoup plus faible.

En l’espace de vingt ans, dans un contexte de lutte contre le changement climatique, de nouvelles filières ont émergé : l’éolien, les pompes à chaleur, le solaire photovoltaïque ou thermique, et la méthanisation pour produire un « gaz vert » qui sera transformé en électricité ou en chaleur. En Europe comme en France, les énergies renouvelables thermiques sont les plus utilisées. Dans l’Union européenne, la biomasse (principalement le bois) produit près de 1 000 térawattheures d’énergie par an, contre 400 pour l’éolien, 350 pour l’hydroélectricité et 164 pour le photovoltaïque.

De même, en France, les nouvelles énergies vertes n’ont pas détrôné les anciennes : hors biocarburants pour le transport, plus de la moitié de l’énergie renouvelable provient des filières bois (37 %) et hydroélectricité (15 %). Mais leur production stagne tandis que celles des pompes à chaleur, du photovoltaïque et de l’éolien progressent fortement. Cette tendance amène certaines organisations professionnelles à alerter : « Le débat sur l’énergie se limite trop souvent à l’électricité. On ne discute que sur 25 % du problème et il est extrêmement important de débattre sur l’ensemble de l’énergie », déclarait ainsi Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) en 2021.

Les aides publiques à l’efficacité énergétique dans l’Union européenne ne représentaient en 2018 que 9 % de l’ensemble des subventions à l’énergie.

Ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Maxence Cordiez explique le succès des énergies renouvelables électriques : « Nous allons devoir nous sevrer complètement des énergies fossiles pour deux raisons. Une raison géopolitique, qui tient à la raréfaction des ressources, et une raison climatique, qui nous impose de réduire notre empreinte carbone – ce que l’on nomme la décarbonation. Nous devons développer toutes les alternatives au pétrole, au gaz naturel et au charbon… L’électricité a, à ce titre, un rôle majeur à jouer car il s’agit de la forme d’énergie la plus facile à décarboner. »

On peut ajouter que le contexte économique a été jusque-là très favorable. Dans l’Union européenne, les subventions aux renouvelables sont passées de 20 milliards d’euros en 2008 à 78 milliards en 2019, dont près de 70 % pour l’électricité. En France, la Cour des comptes les chiffrait à 5,3 milliards d’euros pour l’année 2016, dont 90 % pour la production d’électricité (essentiellement l’éolien et le photovoltaïque) et seulement 10% pour la production thermique. Un choix qui interroge du point de vue de la réduction des gaz à effet de serre : d’après les données de l’Ademe, remplacer 1 gigawattheure d’électricité « historique » française, déjà peu carbonée, par de l’électricité photovoltaïque permet d’économiser 2 tonnes d’équivalent carbone ; remplacer 1 gigawattheure de gaz fossile par du bois-énergie issu d’une exploitation forestière durable permet d’en économiser plus de 230 tonnes.

On pourrait encore mieux réduire les besoins en énergie. Mais les aides publiques à l’efficacité énergétique dans l’Union européenne ne représentaient en 2018 que 15 milliards d’euros, soit 9 % seulement de l’ensemble des subventions à l’énergie.

Un nouveau mécanisme de soutien aux investissements privés

Au départ, les énergies renouvelables électriques étaient soutenues par un tarif de rachat garanti par les pouvoirs publics, supérieur au coût moyen de production de l’électricité, financé par une taxe sur les factures des consommateurs. De plus en plus, elles le sont grâce à un nouveau mécanisme : le complément de rémunération, encore appelé contrat pour différence (CfD), instauré en France en 2015 par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV).

Avec le contrat pour différence, ou complément de rémunération, la puissance publique fournit une assurance en cas de prix trop bas.

Recrutés par l’État grâce à des procédures d’appel d’offres, les développeurs de grandes installations vendent leur électricité en Bourse, au prix du marché, mais les pouvoirs publics leur assurent un prix garanti convenu à l’avance, complétant au besoin les revenus boursiers. L’intervention publique agit donc comme une assurance en cas de prix trop bas ; à l’inverse, si les prix de vente en Bourse dépassent un certain plafond, l’exploitant de parc éolien ou photovoltaïque reverse le surplus, ou une partie, à l’État. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) estime qu’à la suite de la flambée de 2021, le secteur français des énergies renouvelables a dû ainsi rétrocéder 6,5 milliards d’euros pour les années 2022 et 2023.

Les entreprises dont on sécurise les investissements sont, pour la plupart, de grands groupes privés. Leader européenne et première productrice au monde d’énergie éolienne, la société espagnole Iberdrola est implantée sur le Vieux Continent, mais aussi aux États-Unis, au Mexique, au Brésil. Sa valeur en Bourse dépasse 72 milliards d’euros. En France, elle a été retenue pour construire le très controversé parc éolien offshore de Saint-Brieuc, d’une puissance de presque 500 mégawatts.

Deuxième au classement européen des énergies renouvelables, l’italienne Enel, ancien monopole public aujourd’hui privatisé, est valorisée à plus de 66 milliards d’euros. Les géants des énergies fossiles ne sont pas en reste. Le plus grand développeur solaire en Europe est Lightsource BP, la branche renouvelable du pétrolier britannique, qui a l’ambition de détenir 25 gigawatts de centrales en 2025. Quant à TotalEnergies, qui entend conquérir 10 % du marché mondial des énergies renouvelables, il promet à ses actionnaires une rentabilité de 12 % pour les capitaux investis dans ces filières.

Le privé contrôle 43 gigawatts de la puissance électrique totale du pays, contre 94 GW pour EDF.

En France, le développement des renouvelables constitue, de fait, la principale porte ouverte aux entreprises privées dans le secteur de la production de l’électricité. Si, avec près de 94 gigawatts, EDF détient toujours 70 % de la puissance totale du pays, le privé contrôle à présent 43 gigawatts, dont 18,5 % d’éolien et près de 15 % de solaire photovoltaïque, selon un calcul sur la base des données 2022.

Les emplois liés aux renouvelables étaient quant à eux évalués en 2018 à 10 500 pour l’éolien et un peu moins de 6 000 pour le solaire. Mais les travailleurs de ces filières ne sont pas sous le statut des Industries électriques et gazières (IEG) : les postes d’ingénierie sont placés sous le régime de la convention collective des bureaux d’études, tandis que les personnels qui réalisent les chantiers relèvent du bâtiment ou des travaux publics.

Ouvrir les frontières électriques ?

Malgré la percée de l’éolien et du photovoltaïque, les résultats ne sont pas à la hauteur de l’objectif fixé, à savoir atteindre 40 % de renouvelables dans le mix énergétique français en 2030. Les développeurs se heurtent de plus en plus à l’opposition de certains habitants et d’élus locaux, que ce soit pour des questions de nuisances ou de conflits d’usage du foncier.

Promulguée le 10 mars 2023, la loi n° 2023-175 relative à « l’accélération de la production d’énergies renouvelables » vise à favoriser l’implantation des projets et, notamment, demande aux communes d’identifier des « zones d’accélération », dans lesquelles les procédures d’autorisation seront simplifiées.

Le développement des renouvelables électriques se heurte à la conception des réseaux français et européens à partir de sources d’énergie pilotables.

Le développement des renouvelables électriques se heurte également à un problème plus global : celui des réseaux français et européens, conçus pour transporter et distribuer de l’électricité produite par des sources en grande majorité pilotables. Or, la production des éoliennes et des centrales photovoltaïques dépend à chaque instant des conditions météorologiques : c’est ce que l’on appelle l’intermittence, un terme que certains jugent inapproprié.

« Nous voulons participer à casser cette rengaine de l’intermittence qui décrédibilise encore le développement des énergies renouvelables électriques », affirme Michel Gioria, le délégué général du syndicat professionnel France Renouvelables. Comment ? Par exemple en couplant davantage les productions éolienne et photovoltaïque, pour diminuer l’incidence de la météo, en développant le stockage ou en augmentant les interconnexions aux frontières afin que les surplus ponctuels d’électricité renouvelable puissent être vendus à l’étranger.

L’Union européenne, qui défend de longue date le libre-échange de l’énergie entre États membres pour renforcer la concurrence, invoque l’argument écologique : il faut ouvrir les frontières électriques pour mieux faire circuler les énergies renouvelables. D’ici à 2030, chaque État membre doit être équipé de lignes transfrontalières d’une puissance équivalente à 15 % de son parc de production.

L’hydrogène en perte de vitesse

En matière de stockage, Bruxelles semble miser sur le vecteur hydrogène. Du courant produit par des centrales éoliennes ou photovoltaïques alimenterait des électrolyseurs synthétisant du gaz, qui, plus tard, serait à nouveau transformé en électricité dans des centrales thermiques. « Mais le rendement de ce procédé est faible, et cette énergie sera coûteuse, avertit Maxence Cordiez. Que l’hydrogène décarboné soit produit avec du nucléaire ou du renouvelable, il faudra de toute façon arbitrer entre ses différents usages. »

À moins que les évolutions économiques récentes n’en décident autrement. Confrontés à la hausse des matières premières et des taux d’emprunt, plusieurs géants, dont Endesa, Shell ou BP, revoient à la baisse leurs investissements dans les renouvelables. Dans l’hydrogène vert, l’euphorie boursière n’est plus de mise. Fabricant français d’électrolyseurs et de systèmes de stockage, McPhy Energy n’en finit plus de voir le cours de son action chuter : de 40 euros en janvier 2021 à moins de 4 euros en décembre 2023. Même tendance pour la start-up Lhyfe, dont le cours a été divisé par deux en un an ou pour Hydrogène de France (HDF Energy), coté 11 euros début décembre 2023, contre 35 euros en avril 2022.

La bulle spéculative des énergies renouvelables électriques est-elle en train de se dégonfler ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais les limites d’une gestion privée et marchande de la transition énergétique sautent déjà aux yeux.

 

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