AA-E : un port d’attache pour créer après l’exil

AA-E : un port d’attache pour créer après l'exil | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 100248 Duaa Qishta Artiste peintre

L’atelier des artistes en exil accompagne plus de 200 exilé·es, venant d’une quarantaine de pays. Ici, la jeune plasticienne palestinienne Duaa Qishta, réfugiée en France, dans les locaux de l’association situés à Paris. ©Julien Millet/CCAS

Partenaire de la CCAS, l’Atelier des artistes en exil soutient les créateurs de toutes disciplines qui ont trouvé refuge en France. Certains d’entre eux animent des ateliers dans les villages vacances, cet hiver et cet été.



Dans le centre de la capitale, à quelques encâblures du Louvre, la création s’invente avec les richesses apportées par les migrations, à l’Atelier des artistes en exil (AA-E). Cette association a été créée en 2017 par une femme de théâtre, Judith Depaule, et un directeur artistique, Ariel Cypel. Ils sont partis d’un constat : les artistes fuyant leur pays se heurtent ici à une grande précarité, à une ignorance du milieu artistique et, souvent, à l’obstacle de la langue.

Les aider à se structurer, grâce à des dons et au bénévolat de juristes, d’enseignants et d’artistes, voilà l’objectif de l’AA-E. Aujourd’hui, son utilité est reconnue par les institutions et son festival, « Visions d’exil », rencontre un écho grandissant.

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Mises à disposition d’ateliers, soutien administratif, formation, enseignement du français… : l’AA-E accompagne ses membres sur tous les plans. ©Julien Millet/CCAS

Rue d’Aboukir, un ancien centre EDF de 1 000 m² a été mis à la disposition de l’association par la mairie et Emmaüs France. À l’accueil, la signalétique indiquant les studios de musique, les salles de danse ou les ateliers des peintres est traduite en anglais, arabe, farsi, russe et espagnol. Des langues qui résonnent dans les couloirs et le salon propice aux rencontres, avec ses larges canapés et son immense table.

« Tous ont été contraints de quitter leur pays »

Le lieu compte 200 adhérents originaires de 40 pays, principalement d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie centrale. « Certains ont le statut de réfugiés, d’autres non, précise Ariel Cypel. Tous ont été contraints de quitter leur pays, en raison de menaces, de discriminations ou de motifs économiques : tous sont en exil. »

Certains créateurs étaient déjà professionnels avant d’arriver, comme Papa Divin, bédéiste, peintre et dessinateur venu de République démocratique du Congo (RDC). Cet homme de 37 ans qui parle avec douceur affirme s’être senti immédiatement « comme à la maison » à l’Atelier.

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Le dessinateur et peintre congolais Papa Divin, diplômé des Beaux-arts, défend l’éducation et dénonce la destruction du système scolaire à Kinshasa. Il a bénéficié récemment d’une résidence d’artiste à Saint-Quentin-en-Yvelines. ©Julien Millet/CCAS

D’autres, telle la Palestinienne Duaa Qishta, n’ont pu se professionnaliser. Cette jeune peintre autodidacte a quitté Gaza à la faveur d’une bourse d’études, en janvier 2020. Six mois plus tard, elle intégrait l’Atelier et s’attelait à une série de toiles. « C’est un endroit formidable, confie-t-elle en anglais. Je me suis fait des amis. Nous parlons, nous nous soutenons, nous nous conseillons. Les productions des autres, m’inspirent. »

Autodidacte, Duaa Qishta transpose dans la peinture, notamment, ses aspirations à la liberté. À g., « On the road » (« sur la route »), à dr., en arrière-plan, « Missed call » (« appel manqué »). ©Julien Millet/CCAS

Ici, le partage est essentiel. Chaque adhérent signe d’ailleurs une charte en ce sens. « Celle-ci a évolué au fil du temps pour répondre aux besoins, explique Judith Depaule. Nous avons ainsi instauré une caisse commune pour soutenir les plus fragiles. » La réussite se mesure à l’aune du parcours de chacun. Certains abandonnent l’art pour gagner leur vie ailleurs.

« L’art est un pari difficile »

« Comme pour les artistes français, l’art est un pari difficile, tempère Ariel Cypel. D’autres deviennent enseignants dans leur discipline, reçoivent des prix ou des invitations à l’échelle l’internationale. Qu’un artiste devienne autonome dans son domaine, qu’il surmonte une crise personnelle, c’est une victoire ! »

Dernièrement, Papa Divin a réalisé une BD sur le confinement et participé à l’exposition « Kinshasa Chroniques » à Paris. « Je veux être la voix de ceux qui n’en ont pas, résume-t-il : raconter le chaos que vit la population en RDC. » De son côté, Duaa Qishta qui vient d’obtenir l’asile politique entend poursuivre ses œuvres qui célèbrent la liberté – notamment celle pour les femmes de faire du vélo (chose interdite en Palestine).

L’AA-E, lui, continue à étendre ses activités. « Nous comptons développer des actions culturelles animées par les artistes, raconte Judith Depaule, nouer des partenariats européens et ouvrir des antennes dans d’autres villes. »


Alaa Sndyan, de Damas à Paris

Dévastée par les conflits qui déchirent son pays, Alaa Sndyan, architecte et plasticienne syrienne, s’est reconstruite grâce à l’Atelier des artistes en exil.

Alaa Sndyan a rejoint l’AA-E en 2017. Elle co-signe la scénographie des expositions présentées dans le cadre de son festival : Visions d’exil. L’édition 2020 a été présentée en ligne. ©Julien Millet/CCAS

Lorsqu’elle était enfant, en Syrie, Alaa Sndyan rêvait de devenir architecte. Elle a suivi des études et réussi à obtenir son diplôme à Damas, mais n’a jamais pu se lancer dans la profession. Les pressions qu’elle a subies pour avoir critiqué le régime, les bombardements et la guerre l’en ont empêchée.

En France, où elle a trouvé refuge en 2015, sa formation n’est pas reconnue. À l’Atelier des artistes en exil, la Damascène a trouvé un soutien précieux. « Quand je suis arrivée à l’association, je traversais une grave dépression, je n’arrivais plus à créer. Rencontrer d’autres artistes, partager nos sentiments face aux mêmes malheurs, recevoir les encouragements de Judith et Ariel [les fondateurs, ndlr], tout cela m’a aidée. Ce lieu ne fournit pas seulement des services : c’est une deuxième famille ! »

La jeune femme de 32 ans a retrouvé le goût de vivre et renoué avec la création. Une de ses œuvres baptisée « Cendres » saisit par sa force dramatique : un grand lit à baldaquin noirci, recouvert de charbon, comme carbonisé, évoque l’enfer des victimes de violences conjugales. « Je veux dénoncer les féminicides, affirme-t-elle, en particulier dans les pays arabes où ils sont peu réprimés. »

Installée dans le Val-de-Marne avec son mari, un Syrien rencontré ici, elle travaille aussi comme scénographe. Alaa Sndyan n’a pas renoncé à son rêve : elle va compléter sa formation pour pouvoir exercer le métier d’architecte, enfin.

 

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