Compagnie MKCD : « L’éducation populaire consiste à provoquer la rencontre avec le public »

Compagnie MKCD : "L’éducation populaire consiste à provoquer la rencontre avec le public" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 120856 Festival Contre Courant 2022

Le 15 juillet, pour sa première fois à Avignon, la Compagnie MKCD a présenté deux de ses spectacles en ouverture du festival Contre Courant :  « Parking » et « Communes » © Pierre Charriau / CCAS .

Une soirée aussi politique que festive a lancé le festival Contre Courant, le 15 juillet. Sur scène, la compagnie MKCD a ouvert l’édition 2022, consacrée au thème du combat, avec les spectacles « Parking » et « Communes ». La compagnie y analyse les mécanismes du déclenchement d’une révolte. Interview de cette bande de joyeux « prolos du théâtre », tels que ses membres se définissent, en tournée dans les villages vacances CCAS d’Auvergne-Limousin.


Que représente pour vous le fait de se produire à Contre Courant durant le Festival d’Avignon ?

Kévin Dez : C’est la première fois que nous nous produisons au Festival d’Avignon, qui est tout de même « the place to be » [l’endroit où il faut être, ndlr] à cette époque de l’année. Par ailleurs, nous avons la chance d’être programmés pour l’ouverture de Contre Courant ! Nous jouons donc dans les meilleures conditions, et dans cet endroit magnifique qu’est l’île de la Barthelasse. Ce qui nous donne un peu l’impression de faire partie du « gratin » des artistes [il affiche un grand sourire ironique, ndlr].

Matthias Claeys : Ce que veut dire Kévin, c’est que la compagnie a toujours refusé de jouer dans le festival Off parce que les prix de location de salle sont exorbitants [les compagnies qui se produisent durant le festival Off sont obligées de louer leur salle, à moins d’être programmées par un.e directeur.rice de lieu, ndlr]. Nous préférions garder le peu d’argent que nous parvenions à gagner pour rémunérer nos salariés. Nous jouons les snobs devant vous mais, en réalité, nous sommes très contents de pouvoir y jouer !

« Parking » et « Communes », les deux spectacles que vous allez interpréter à Avignon font partie d’une trilogie, le cycle « Des révoltes » : quelle est l’origine de ce projet et en quoi consiste-t-il ?

Marie-Julie Chalu : Le cycle, qui contient également une pièce nommée « Chats chiens louves », pose la question suivante : qu’est-ce qui fait qu’on se révolte ? Dans « Parking », le personnage d’Élodie Élodie est sociologue et vit à Paris. Lorsqu’elle rend visite à sa famille en région, elle apprend qu’un des collègues de sa mère qui travaille à l’hypermarché, s’est suicidé.. La deuxième partie de la pièce explore les conséquences intimes et politiques de ce drame pour la famille de la victime, et la troisième, celles qui vont toucher ses collègues. Partant de la cellule familiale, la perspective s’élargit à l’ensemble de la société. « Communes » se déroule deux ans après la fin de « Parking » et raconte comment un village décide de faire sécession d’avec l’État.

Matthias Claeys : L’idée est d’explorer la manière dont un groupe se soude autour d’un projet politique, sans qu’aucun des individus n’ait connu d’engagement auparavant. De voir comment des événements se déroulant à Paris peuvent rebattre les cartes à l’autre bout du pays, et obliger chacun des membres d’une famille à se positionner. Comment, au fond, le politique peut naître de l’intime. Mais c’est bien le moment qui précède la révolte plus que la révolte elle-même qui nous intéresse.

Les pièces sont inspirées des événements de la Commune de Paris : à l’époque, il existe une atmosphère révolutionnaire, une sorte de substrat politique qui imprègne l’inconscient collectif. Mais ceux qui prennent les choses en main à ce moment-là n’ont pas forcément lu tous les livres qui ont théorisé la révolution. Leurs émotions, leurs connaissances parcellaires du contexte les incitent à passer à l’action. Mais ces individus ne sont pas moins politiques que ceux qui ont écrit sur le sujet : ils le sont peut-être même davantage !

Autour du spectacle « Parking », vous êtes allés à la rencontre des gens dans différents lieux (gares, cafés…) et leur avez posé des questions en lien avec le vécu des personnages. Pourquoi cette démarche ?

Kévin Dez : Toutes les pièces sur lesquelles nous travaillons se construisent autour de questions, mais nous n’avons pas la volonté d’être didactiques et d’expliquer aux gens ce qu’est une bonne révolte. Nous posons les questions dans le spectacle. Libre à chacun de se faire ensuite son opinion. Mais nous souhaitions aussi apporter de la matière documentaire puisée dans le réel. Elle est d’ailleurs accessible sur notre site web. Nous avons posé la question suivante, sous forme de micro-trottoir : avez-vous déjà dit non au travail ? Les réponses très diverses que nous avons obtenues permettent de multiplier les points de vue possibles et d’ouvrir la réflexion pour le spectateur.

Nous vivons depuis quelques années une période assez trouble socialement. Le contenu des témoignages que vous recueillez a-t-il évolué et en quoi ?

Matthias Claeys : C’est difficile à dire car nous n’avons pas interviewé les mêmes personnes aux mêmes endroits [pour les différentes pièces, ndlr] : or le lieu où les personnes vivent et leur catégorie socio-professionnelle changent évidemment la nature de leurs réponses. Cependant, il y avait une constante. Les premières interviews réalisées dans le cadre de la création de « Parking » ont été faites en septembre 2018 et les dernières en février 2019. Dans ces dernières interviews, les gens faisaient systématiquement référence aux Gilets jaunes.

Kévin Dez : Avant les Gilets jaunes, la révolte était présentée par beauoup comme une utopie : « Ce serait bien de se révolter mais… je ne le sens pas / j’ai pas le temps / si j’y vais et que je me retouve tout seul comme un con… » Après les Gilets jaunes, les personnes n’hésitaient pas à nous raconter d’anciennes anecdotes de grève, qui remontaient à vingt ou trente ans, ou à trouver bien plus envisageable de descendre dans la rue pour revendiquer.

 

Vos spectacles développent le questionnement sur la façon dont se monte un projet (politique, militant…) et dont fonctionne un collectif. Et durant les répétitions de ces spectacles, vous expérimentez finalement de manière concrète ces thématiques…

Matthias Claeys : D’une certaine façon, oui. Mais nous ne l’avons pas formalisé immédiatement. J’écris les textes, mais j’ai dit clairement au début que je ne voulais pas être metteur en scène. L’idée d’une direction collective d’acteurs et d’actrices a alors fait son chemin. Par ailleurs, Kévin a eu de gros problèmes de santé, ce qui nous a contraints à mettre en place ce système d’alternance. À la fin de « Parking », l’un des personnages s’exclame : « Si on dit qu’il n’y a pas de chef, il n’y a vraiment pas de chef. Si c’est pour tout retourner et avoir la même chose à l’envers, ça sert à rien. » Et c’est ce que nous avons fini par appliquer à l’équipe. Nous essayons de jauger nos désaccords, de travailler avec nos postures personnelles et politiques, pour voir comment un collectif peut fonctionner sans chef. Et nous ne l’appliquons pas seulement lors de nos répétitions, mais aussi lors de réunions de travail.

Kévin Dez : Finalement, comme dans nos pièces, un événement en entraîne beaucoup d’autres. En fait, nos spectacles reflètent notre vie et c’est beau ! [rires]. Par ailleurs, cela se ressent également dans le fonctionnement global de la compagnie : par exemple, nous nous sommes tous formés à la régie technique [son, lumières, ndlr], ce qui nous permet également de fonctionner en autonomie, sans régisseur attitré. Et si on appliquait ce système à la société, dans laquelle les citoyens pourraient remplir tous les rôles, sans chef en position de donner des instructions, quel type d’organisation en découlerait ?

Une soirée inaugurale festive et combative

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Le public s’est retrouvé sur la piste de danse pour un bal enfiévré qui a conclu la soirée inaugurale de Contre Courant 2022 © Pierre Charriau / CCAS .

Le 15 juillet s’est ouverte la 20e édition du festival Contre Courant sur l’île de la Barthelasse, à Avignon (Vaucluse). Dans un contexte social, politique et international troublé, la thématique du combat retenue cette année s’imposait plus que jamais. Un thème qui interpelle visiblement les spectateurs, venus nombreux assister à cette soirée inaugurale, bravant la météo caniculaire.

Les joyeux drilles de la Compagnie Teraluna ont ouvert les festivités. Sébastien Barberon, grand gaillard à la gouaille légendaire, apostrophe la foule sur le ton du bon roi s’adressant à ses sujets, déclenchant rires et applaudissements, avant de passer la parole à Patrick Stoop, président de la Commission santé et action sanitaire et sociale de la CCAS. Ce dernier a rappelé combien l’accès à la culture de tous est essentiel, en ces temps où le personnel politique martèle tant et plus « qu’aucun autre monde n’est possible » : « La culture permet d’ouvrir les esprits, à travers des spectacles qui interrogent sur le monde. »

Des spectacles pour susciter la réflexion

Et les sujets d’inquiétude ne manquent pas : négociations sur le « salaire national de base », menaces pesant sur les moyens bénévoles et donc sur la pérennité des Activités Sociales, etc. Sans oublier l’actualité internationale. « Des spectacles, tel ‘Ukraine Fire‘, permettront d’évoquer des conflits qui secouent l’est de l’Europe ou le Moyen-Orient, explique Marion Rousseau, directrice artistique du festival. Le festival abordera aussi des questions sociétales : l’accueil des migrants ou l’inclusivité des personnes en situation de handicap. Le combat sous toutes ses formes, donc, « du plus intime au plus collectif et politique », conclut-elle. Cet aspect n’a pas échappé à Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacle, qui découvrait avec plaisir le festival : « La CCAS fait travailler de très nombreux intermittents, ensuite, comme le CSE des cheminots à la Rotonde et la Bourse du travail, elle propose des spectacles différents, que le public n’irait pas forcément voir de lui-même. Des spectacles qui suscitent la réflexion, et permettent d’envisager d’autres formes de lutte que la lutte syndicale traditionnelle. C’est à mon sens une mission essentielle des comités d’entreprises. »

Ce 15 juillet, la soirée donnait le « la » d’un festival où le combat apparaissait aussi festif et joyeux, avec la performance de la chanteuse lyrique Mathilde Clavier, interprète du spectacle « Maria Caillasse » et une piste de danse enfiévrée où se retrouvaient les spectateurs.

À propos de « Parking », vous déclarez : « Nous avons envie d’explorer, à travers ce spectacle, le sentiment de précarité, d’abandon peut-être, de ceux qu’on appellerait ‘les gens’« . Pour vous, qui sont donc ces ‘gens’ ?

Kévin Dez : Nous nous sommes beaucoup inspirés de nos propres familles pour créer nos personnages : Matthias est issu d’une famille normande, plutôt de classe moyenne, et je viens du Nord, d’un milieu plutôt populaire, dans lequel je croisais des ouvriers, des aides-soignants… Les ‘gens‘, ce sont donc ceux qui ont du mal à payer leur loyer en fin de mois. Nos personnages ne parlent pas un français académique, celui que l’on entend beaucoup au théâtre, à travers les histoires de ducs et de rois. On a tendance à penser que les ‘petites gens‘ ont de petits problèmes et ne peuvent pas réfléchir à des réalités plus grandes qu’eux. Une caissière peut parfaitement développer une pensée politique, éthique ou philosophique, qui sera tout aussi légitime que celle d’un thésard en sciences politiques.

Marie-Julie Chalu : Notre parcours montre la nécessité de se rendre à la capitale, où se situe le pouvoir symbolique et culturel, pour acquérir les outils intellectuels qui nous permettent d’analyser nos trajectoires. Je suis fille d’une femme de ménage martiniquaise venue en métropole pour trouver du travail. Mais j’ai eu accès à un certain capital culturel, qui m’a permis de prendre ce recul sur ma situation. Cela me fait penser au livre de Louisa Yousfi « Rester barbare » : elle faisait tout pour être la « bonne élève ». Je me reconnais en elle quand elle dit qu’elle était la bonne élève à l’école, qui faisait le maximum pour se conformer au savoir qui lui était présenté comme légitime. Il faut donc acquérir les codes de ce savoir pour pouvoir le déconstruire.

Vous travaillez en extérieur, au contact des « gens »… Est-ce une façon de récréer un espace public, une agora, où chacun peut faire irruption dans votre travail ?

Matthias Claeys : La possibilité de voir le public intervenir dans notre espace est une caractéristique des arts de la rue, nous n’avons rien inventé : en principe, il y a un public convoqué, et des places assises, car nos pièces sont plus longues que la moyenne de celles qui se déroulent dans l’espace public, et ce sont des pièces qui sont plus appréciables si elles sont suivies de bout en bout parce qu’il y a une narration. Mais il est tout à fait possible de venir en cours de pièce et de repartir avant la fin : c’est ce qui fait l’importance de l’espace public. Par ailleurs, des surprises sont toujours possibles : alors que nous jouions « Parking », un spectateur s’est un jour assis au milieu de notre espace de jeu, sur un rocher, pendant la scène d’enterrement, au moment où tout le monde pleure ! Je n’étais pas sur scène à ce moment-là, et c’était très beau à voir. Et finalement c’était autant son espace que le nôtre. Ce monsieur n’était pas idiot et avait bien conscience d’être vu. D’ailleurs certains de nos amis dans le public ont cru que son intervention faisait partie de la mise en scène : ils se sont imaginé qu’il symbolisait l’esprit du défunt !

Par ailleurs, dans les moments où nous ne sommes pas tous sur scène durant le spectacle, notre rôle est aussi d’interagir avec les gens qui arriveraient et viendraient nous demander ce que nous sommes en train de jouer, de les inviter à venir voir. Lorsque nous jouons en extérieur, nous tâchons de le faire aussi dans des quartiers populaires. C’est dans ces quartiers que les gens se sentent le moins invités à venir voir un spectacle, ce que nous nous employons à faire. Jouer dans l’espace public nous fait descendre ainsi de notre piédestal.

La CCAS porte une certaine conception de l’éducation populaire : celle de donner accès à la culture sous toute ses formes en offrant des propositions culturelles sur le lieu de vacances des agents EDF et de leur famille. Quelle est la vôtre ?

Matthias Claeys : Je pense que le théâtre hors les murs peut être une forme d’éducation populaire, dans l’acception originelle de ce concept : une volonté « à la Rancière » [du nom de Jacques Rancière, philosophe ayant théorisé l’émancipation du citoyen par l’accès à l’art, ndlr] d’aller à la rencontre du public, et non de déverser de manière descendante un savoir sur la populace comme le fait Michel Onfray avec sa fausse université populaire. Ça n’a pas d’intérêt ! Dans nos professions intellectuelles, nous avons du temps à consacrer à la culture et pas les mêmes soucis que d’autres. Notre devoir de citoyen est donc aussi de provoquer la rencontre, et de l’accepter telle qu’elle se déroule, c’est-à-dire dans l’échange et non de manière unilatérale. C’est aussi pour cela que nous sommes ravis d’avoir la CCAS pour partenaire.


Pour aller plus loin

Retrouvez l’actualité de la compagnie MKCD sur sa page Facebook et sur son site

Pleaux, Super-Besse, Le Monastier-sur-Gazeille…
Retrouvez les représentations de la Compagnie MKCD dans les colos et les villages vacances CCAS cet été sur :

ccas.fr > rubrique Culture et loisirs > Rencontres culturelles > Théâtre

 

 

 

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