Présidente du Comité paralympique et sportif français depuis 2013, mise à disposition par EDF, Emmanuelle Assmann quittera ses fonctions le 14 décembre prochain. L’ex-escrimeuse de haut niveau y aura œuvré sans relâche pour impulser la pratique du sport en faveur des personnes en situation de handicap.
Afin d’éteindre toute rumeur : pourquoi avoir choisi de quitter la présidence du Comité paralympique et sportif français (CPSF) ?
(Rires) C’est un choix purement professionnel. En effet, dernièrement, alors que je bénéficiais d’une convention de mise à disposition (2014-2018), on m’a proposé de rejoindre la direction de la communication d’EDF SA. Et j’estime que, lorsque de telles opportunités se présentent, il faut savoir les saisir. C’est un nouveau challenge pour moi. Et quelque part, je retourne à mes premiers amours, à savoir la communication.
Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 se profilent déjà. Avez-vous des regrets de ne pas y prendre part en tant que présidente du CPSF ?
Non, car je savais de toute façon que je n’irai pas jusqu’en 2024. Et pour moi, le simple fait d’avoir ramené ces Jeux « à la maison » me comble. C’était une aventure extraordinaire, très formatrice, et dans laquelle je me suis investie totalement car j’avais une envie décuplée d’aller jusqu’au bout. Même si accueillir les Olympiades et Paralympiades n’est pas une fin en soi. Mais passer le relais maintenant ne me paraissait pas illogique, y compris en milieu de second mandat.
« Je fais partie de plusieurs diversités : je suis une femme, je suis en situation de handicap et j’habite dans le 93. »
Outre les enjeux sportifs, les attentes et les retombées autour de ces Jeux suscitent beaucoup de fantasmes. Quel est votre point de vue ?
Par nature et empirisme, je suis assez optimiste sur les pouvoirs du sport. Un tel événement mondial peut faire bouger les lignes, c’est certain. Il doit impulser un changement de paradigme… souhaité et souhaitable. Mais il ne faut pas non plus croire que sans les Jeux, nous n’aurions pas pu évoluer. Ce serait faire offense aux associations et aux mouvements militants qui œuvrent au quotidien pour améliorer les conditions des personnes en situation de handicap.
L’une des capacités des Jeux, c’est de pouvoir rassembler et concentrer les énergies, à une période définie, de ces différents acteurs. Pour se dire que l’on est plus fort ensemble, que rien n’est gagné, et qu’il ne faut rien lâcher ! Une devise que l’on peut d’ailleurs transposer dans la société en général. Pour ma part, je rêve d’une société française qui appréhenderait la différence comme une force et non pas comme un sujet d’opposition. Et ce n’est pas uniquement sur le handicap que ces problématiques doivent se concentrer.
Je le dis souvent, je fais partie de plusieurs diversités : je suis une femme, je suis en situation de handicap et j’habite dans le 93… Or, si tout le monde se ressemblait, les discussions, les échanges seraient fades, voire inféconds. Et sur les stades, dans les gradins, on arrive à avoir cette mixité, à s’affranchir de ces barrières illusoires. Ce qui fait souvent ressortir le meilleur de l’être humain. Car la méconnaissance est au fondement de la peur de l’autre.
Que retenez-vous de ces cinq années passées à la tête du comité ?
Je pense que j’ai mis toute ma motivation et mon engagement dans la bataille. Mes capacités et mon âme de militante ont été les moteurs de ces mandats. Pour des résultats que je pense être probants. Les choses ont indéniablement avancé, puisque à mon arrivée nous avions 14 fédérations membres et qu’aujourd’hui nous en comptons 36. Et puis, à force de conviction, nous avons obtenu une vraie reconnaissance du mouvement paralympique (inscrit dans le code du sport en 2015) et le droit d’être invités autour de la table…
Ainsi, nous avons été associés à la réflexion sur la gouvernance du sport en France, qui marque le début d’un nouveau cycle avec la création future d’une Agence nationale du sport, sous forme de groupement d’intérêt public, qui gèrera à la fois le sport de haut niveau et son développement sur le territoire. Ce qui prouve que nous sommes devenus un acteur majeur du sport en France, et que les résultats aux Jeux de Rio, de Pyeongchang ont aussi consolidé la couverture médiatique. Et cette vitrine va, je l’espère, favoriser encore plus la pratique du sport par les personnes en situation de handicap.
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En mars 2019, l’Agence nationale du sport verra donc le jour. Quel a été votre rôle dans sa naissance ?
Nous avons milité pour qu’au sein de cette agence soient regroupés le sport de haut niveau et son développement « à la base ». En effet, il faut que le haut niveau soit un vrai moteur pour l’essor de la pratique sportive dans tout le pays. Outre la compétition, l’enjeu est celui d’une nation sportive. Il faut pour cela valoriser les bienfaits du sport, et infléchir les idées reçues quant à son financement. Faire comprendre et accepter que l’argent attribué au sport constitue un véritable investissement social, politique et de santé avec de véritables retombées positives. Avec tout ce que cela génère mécaniquement, en termes de baisse des dépenses de santé, de meilleure gestion de la « cité », d’une intégration favorable, etc.
Pourtant, la baisse du budget alloué au sport, la suppression des conseillers techniques, ne vont certainement pas dans ce sens ?
La baisse est relative, puisque après négociations avec le gouvernement, où nous étions appuyés par la nouvelle ministre Roxana Maracineanu, nous avons réussi à « limiter la casse ». Mais, justement, il faut que les Jeux de 2024 soient soutenus au-delà de l’aspect ‘compétition’, et qu’ils soient, selon nos espoirs, vecteurs de changements et d’améliorations qui puissent profiter à l’ensemble du mouvement sportif français et à la société en général. Et ce sont bien les clubs qui doivent profiter de cette dynamique afin qu’ils puissent fournir une offre diversifiée en adéquation avec les attentes des personnes qui ont évolué dans leur pratique, leur exigence. Mais il nous faut, sans conteste, nous donner les moyens de conserver ce modèle français, basé sur le sport pour tous et accessible financièrement à tous.
« Il faut sans doute réinventer le bénévolat au sein des entreprises, des associations et des clubs. »
Faut-il, dans ce cas, repenser la question du bénévolat ?
Nous avons alerté les parlementaires sur ce volet et plus précisément sur le développement du mécénat de compétences [ou mécénat en nature, ndlr]. Il faut sans doute réinventer le bénévolat au sein des entreprises, des associations, des clubs, car le modèle actuel s’essouffle peut-être, notamment dans le mouvement paralympique. Et réfléchir à la façon dont l’économie sociale et solidaire pourrait être un catalyseur pour les clubs, les institutions, dans l’optique d’un maillage territorial.
Au cours de vos cinq années de présidence, vous avez connu quatre ministres… dont deux sportives. Est-ce le gage d’une meilleure collaboration ?
(Rires) De toute façon, à la base, ils ou elles sont installé·es sur un siège plus qu’instable… Mais, plus sérieusement, notre rôle est d’expliquer notre mouvement. Après, cela dépend de la personne, sportive ou pas. Chaque être, chaque sportif a sa propre singularité. Tout comme chaque handicap a ses spécificités. Alors, si nous avons souvent une oreille attentive, la vision uniformisée de la part des politiques contraste cependant avec notre travail « au cas par cas ». Mais ça, je l’ai découvert dans l’exercice de mes fonctions. Le sport, comme tout autre domaine, reste politisé.
Quels conseils et quels savoirs allez-vous transmettre à votre successeur·e ?
Déjà, je ne souhaite pas être cette ombre pesante, afin que la personne qui prendra le relai puisse réellement prendre les rênes du Comité paralympique. Mais je reste à disposition. Le sport a changé ma vie. Et je pense qu’il faut garder ses convictions chevillées au corps pour défendre une vision et un intérêt général, dans le collectif, la collaboration. Ce comité représente la diversité, mais tous les acquis restent fragiles et la lutte n’est jamais finie pour défendre toujours plus la place du sport pour les personnes en situation de handicap et plus généralement celle de la diversité dans notre société.
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