« Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner » : au cœur d’un foyer d’urgence pour ados avec Christine Citti

Dans « Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner », la comédienne Christine Citti interprète sa propre immersion dans un foyer d’urgence où se côtoient jeunes en rupture familiale, mineurs migrants isolés, auteurs et victimes de violences. Une pièce mise en scène par Jean-Louis Martinelli, à voir jusqu’au 26 janvier à la MC93 de Bobigny.

La comédienne Christine Citti, par ailleurs réalisatrice et scénariste, monte sur la scène de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis (MC93), à Bobigny, pour une pièce qu’elle a écrite et que Jean-Louis Martinelli a mise en scène : « Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner », immersion au milieu de jeunes mineurs placés dans un foyer d’urgence. De son expérience vraie, Christine Citti tire non pas un instantané mais une réflexion douce et sans concession sur leur situation où le respect de l’autre rencontre la dignité. Des bouts d’histoires d’êtres en déshérence, gamins sans enfance, confrontés à la violence, proche et lointaine.

Dans un décor épuré, Jean-Louis Martinelli fait vivre le texte, rend la violence et l’ennui, le désarroi, les corps qui brûlent, s’entrechoquent et s’empoignent avant de se séparer dans une douleur physique aussi bien que morale, celle d’un trop-plein d’une vie sans horizon. L’espace est fermé. La parole qui s’exprime éclate comme des bulles inutiles. Et pourtant le rêve existe, enfoui au plus profond de chacun des personnages. Les comédiens enfilent leur peau d’homme et leur cœur de bête – pour reprendre le titre d’un film d’Hélène Angel – dans une incroyable tension théâtrale.

On en sort ébranlé, meurtri. Comme le souligne Christine Citti à la fin de la pièce, où elle reprend le trajet de chez elle, à Paris, jusqu’à ce foyer de Seine-Saint-Denis : « Tout cela se passe à seulement 43 minutes de là. »

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Christine Citti, comédienne, réalisatrice et scénariste. ©Charles Crié/ CCAS

Quelle est la genèse de la pièce que vous présentez ?

Jean-Louis Martinelli a voulu mettre en place un atelier de théâtre dans un foyer de la Seine-Saint-Denis. Avec Hortense Archambault, directrice de la MC93, il a contacté plusieurs établissements et a finalement choisi un foyer d’urgence, c’est-à-dire un foyer où les jeunes sont placés par un juge en attendant de trouver un endroit qui leur correspondait mieux. Problème : il a vraiment été impossible de proposer du théâtre là-bas parce que c’est de l’urgence. Il n’y a pas de lieu, pas forcément la consécration et pas forcément l’envie ! Il a donc fallu abandonner l’idée de l’expérience théâtrale en elle-même.

Nous avons néanmoins continué à nous y rendre, au point que c’est devenu, pour Jean-Louis Martinelli et moi-même, une chose organique, presque obsessionnelle : faire quelque chose pour eux. Ce sont des mineurs qui ont entre 13 et 18 ans, sont placés suite à de graves problèmes, à des agressions qu’ils ont subies ou qu’ils ont perpétrées. C’est un drôle de mélange, de plein de cas. On y trouve par exemple des mineurs migrants isolés qui ont été interpellés à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.

Comment êtes-vous parvenue à établir le contact ?

En fait, c’est un endroit où ces mineurs sont censés rester peu de temps mais comme tout est très compliqué, qu’il n’y a pas forcément de la place ailleurs, ils y restent des mois, voire une année et plus. C’est donc un endroit crispé et très violent, où les jeunes s’ennuient beaucoup. Peu sont scolarisés. D’autres se déscolarisent une fois qu’ils intègrent dans le foyer. Nous avons essayé de mettre en place un ciné-club, de parler avec eux. Ils ont réalisé des clips vidéo… Puis ils se sont mis à dessiner. Et là, il y a eu comme un déclic. Ils se sont mis à parler en dessinant, à se parler entre eux. C’est ainsi que nous nous sommes rendu compte que chacun ignorait l’histoire des autres, de ceux avec qui ils vivaient 24 heures sur 24. Cela a été assez libérateur.

Quelques mois après qu’on a quitté le foyer, j’ai regardé les images que nous avions réalisées, notamment lorsqu’ils s’interviewaient les uns les autres. Je voulais écrire une pièce, pas seulement présenter un témoignage. Non pas que le théâtre témoignage soit une mauvaise chose. Seulement, je voulais vraiment écrire une pièce, avec un certain langage. Finalement, avec toutes les traces que j’avais entendues, vécues puis revues et réécoutées, j’ai écrit cette pièce intitulée « Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner ». En fait, il ne me paraissait pas possible que de notre passage dans ce lieu il ne subsiste rien. J’avais envie de faire quelque chose pour eux, de parler d’eux. À la fois de leur donner quelque chose et de donner aux autres quelque chose d’eux.

Pour cette écriture, vous vous êtes d’abord appuyée sur leur langage, leur vocabulaire ?

Oui. J’ai évidemment pris des phrases. Pas beaucoup. Mais ce qui s’est passé est que mon immersion dans cet endroit et leur langage se sont mêlés pour produire quelque chose de très proche d’eux et qui, en même temps, a son propre rythme de narration, voire son propre langage. Ils sont là mais aussi, même si ça peut paraître un peu mièvre, la façon dont je les ai aimés.

Est-ce qu’on peut faire théâtre de tout ?

Oui. On doit faire théâtre de tout ce qui constitue le monde, de tout ce qui constitue l’autre. L’envie de théâtre, c’est d’abord l’envie de l’autre, du regard de l’autre mais aussi de regarder l’autre. Le théâtre, c’est beaucoup de choses. C’est le théâtre divertissement mais aussi le théâtre citoyen, le théâtre militant, le théâtre mine de rien mais qui raconte quelque chose du monde. Évidemment, j’avais envie d’un peu tout ça. Les spectateurs rient beaucoup au début, ensuite moins !

Quel est le fil dramaturgique de votre pièce ?

C’est bêtement mon histoire à moi. J’ai passé des journées entières à ne pas avoir de position officielle dans cet endroit. Je me mettais dans un coin, j’écrivais. Parfois je faisais semblant d’écrire pour me donner une contenance. Et puis, tout doucement, ils venaient me parler, ils me racontaient leur vie. J’ai beaucoup parlé avec les filles, qui m’ont emmenée dans leur chambre. Une certaine complicité s’est installée.

Le fil conducteur de la pièce est cette femme qui vient pour proposer du théâtre mais ça ne marche pas. Au fur et à mesure, les jeunes se confient à elle, ont envie de partager des choses avec elle. Mais ce partage est parfois très fantaisiste. Par exemple, dans ce foyer personne ne leur dit jamais « tu es beau », « c’est bien ce que tu as fait ». Il n’y a jamais d’affectif. Donc il est vrai que, ne sachant pas quoi faire en tant que femme de théâtre, j’ai fini par devenir une personne humaine qui leur a apporté une affection et un regard et, du coup, leur a permis de parler.

Comment s’est déroulé le travail avec Jean-Louis Martinelli qui signe la mise en scène ?

Ce qui est formidable est que Jean-Louis est venu avec moi au foyer. Il est l’initiateur de toute cette histoire. On a ce vécu ensemble. Il y a eu une lecture publique à la MC93 qui a conduit Hortense Archambault à nous proposer de monter un spectacle. Jean-Louis a tout de suite pensé à une scénographie qui n’est pas une scénographie réaliste mais raconte le foyer avec cet ennui et cette violence.

Il a choisi de jeunes acteurs. Ce sont des bombes. Ils sont extraordinaires. Jean-Louis Martinelli a travaillé avec eux, de manière pédagogique. Il est toujours très attentif aux acteurs. Il a le spectacle en tête. Il avait le fil directeur du spectacle, l’image. Cela a été un travail court parce que, pour des raisons financières, il n’y a pas eu beaucoup de répétitions mais c’était intense et précis. Et l’idée constante de Jean-Louis était de ne pas perdre la joie de ces jeunes. On ne pouvait de toute façon pas contourner cette violence. Et puis, le chorégraphe Thierry Thieû Niang, qui a notamment beaucoup collaboré avec Patrice Chéreau, est venu faire un travail sur les corps de tous ces jeunes, dans une grande complicité avec Jean-Louis Martinelli.


Pour aller plus loin

« Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner », Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, 9, boulevard Lénine, Bobigny (93). Jusqu’au 25 janvier.
Tarifs : 9 à 25 euros.
Réservations au 01 41 60 72 72 ou par mail.

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