Le tourisme social, à la croisée des chemins

Le tourisme social, à la croisée des chemins | Journal des Activités Sociales de l'énergie | montage cano demessine

Michèle Demessine, présidente de l’Unat, et Nicolas Cano, président de la CCAS, ici lors d’un débat au forum social de la Fête de l’Humanité, en septembre 2017. ©Joseph Marando/CCAS

Impact de la crise sanitaire, saison d’été, avenir du tourisme social : à quelques semaines d’une saison estivale singulière et suite aux dernières annonces gouvernementales, entretien croisé entre Michelle Demessine, ancienne secrétaire d’État au tourisme et présidente de l’Unat, et Nicolas Cano, président de la CCAS.

Quelles sont à ce jour vos certitudes en matière de départ en vacances et d’accueil des publics suite à cette à cette crise sanitaire ?

Michelle Demessine – Il est encore difficile, aujourd’hui, de mesurer l’impact de cette crise. Nous l’analyserons à la fin de la saison. Mais grâce aux mesures générales en faveur du tourisme, pour lesquelles nous nous sommes battus – chômage partiel, prêts garantis, assouplissement du protocole sanitaire – nous avons réussi à passer le printemps… et à ouvrir de nouveau nos centres de vacances dans des conditions à peu près équilibrées.

Globalement, même s’il n’y a pas de règle générale, tous les opérateurs du tourisme social devraient tabler sur une fréquentation autour de 60 à 70 %, avec, pour l’instant, un bon rythme de réservation. Malgré cela, et à condition aussi d’avoir un soutien continu de ces mesures, nous sommes partis pour des années difficiles.

Nicolas Cano – La première de nos certitudes, c’est le besoin de nos bénéficiaires de partir en vacances. La deuxième, c’est la détermination du tourisme social et associatif à accueillir ces populations dans les villages vacances. En pratique et dans un futur proche, pour les Activités Sociales, il s’agit d’ouvrir le réseau dans son ensemble (CCAS et partenaires) le week-end du 27 et 28 juin, suite à un travail collectif. En termes de réservations, côté vacances adultes, il y a un engouement de la part des bénéficiaires et les annulations sont vraiment à la marge. De plus, nous avons assoupli les règles en ce qui concerne le système de réservation.

Le protocole sanitaire confirme aussi la tenue de nos ACM (accueils collectifs de mineurs), ce qui est positif, et qui « récompense » le travail entrepris très tôt par les élus et les personnels de la CCAS en ce sens. Pour les colos, certes, des inquiétudes tout à fait légitimes demeurent pour certaines familles, mais la confiance générale que l’on nous accorde nous rend optimistes pour la suite. Et nous avons pour cela construit un réseau qui peut accueillir 13 000 jeunes.

Cela dit, ces vacances seront singulières, suite je pense à une prise de conscience collective. Aussi, la réussite de cette saison d’été va reposer à la fois sur notre capacité à assurer la prévention et à appliquer les précautions nécessaires pour accueillir notre public, et sur la responsabilité individuelle et collective des vacanciers. C’est la posture du tourisme social et de la CCAS : être force de propositions. Nos villages vacances accueillent non pas des vacanciers consuméristes, mais des citoyens, des salariés, des privés d’emploi… Et cet été, on va s’attacher à transmettre nos valeurs et plus que jamais peut-être, puisque la crise a fait émerger des problèmes qui sont soulevés depuis des années par le tourisme social.

Le droit aux vacances pour tous devient, cet été, par la force des choses, une question de santé publique et de solidarité nationale. Que pensez-vous des annonces gouvernementales en ce sens  ?

Michelle Demessine – Il y a encore du pain sur la planche ! Car cette question ne date pas d’aujourd’hui : 40 % de nos concitoyens ne partent pas en vacances ! Et ce combat contre ces inégalités, c’est aussi celui du tourisme social, en même temps que celui de prôner une autre forme de tourisme. C’est un plaidoyer que nous avons instruit depuis longtemps et qui demande à être renforcé. Cela dit, ces mesures constituent un bon début.

Ce n’est pas la panacée mais, par exemple, s’appuyer sur le chèque-vacances qui est quand même un acquis dans notre pays depuis trente ans est un signe encourageant. L’État, les régions, l’ANCV (l’Agence nationale pour les chèques-vacances) œuvrent pour que les familles modestes puissent partir en vacances. Et dernièrement, la mise en place de colos – en baisse constante depuis des années – sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, sous l’appellation « vacances apprenantes », doit permettre l’organisation de près de 250 000 séjours pour des familles qui ne paieront rien ou très peu. C’est très important puisque, selon nous, les colos sont un grand pas vers l’autonomie des jeunes dans leur parcours éducatif.

N’y a-t-il pas un paradoxe avec toutes ces mesures annoncées, lorsqu’en parallèle se trame une réforme de l’ANCV, et que des entreprises en difficulté font pression sur les salariés pour repousser ou écourter leurs congés ?

Michelle Demessine – Certes, la réforme probable de l’ANCV n’est pas cohérente avec ces mesures, qui sont malgré tout bonnes à mon sens. Mais là aussi, nous avons réussi à sauver le monopole de l’ANCV. C’est la commercialisation du chèque-vacances qui est remise en cause : depuis dix ans, elle a été ouverte à des partenaires des titres-restaurant, uniquement pour le secteur des PME. Sans succès ni miracle. Or, il faut que le sujet de l’aide au départ en vacances soit discuté avec les partenaires sociaux et les PME.

Nicolas Cano En ce qui concerne la pression mise sur les salariés pour leurs congés, nous sommes déjà interpellés là-dessus. Notamment dans le nucléaire, du fait des travaux de maintenance qui n’ont pas pu être réalisés pendant le confinement. Cela demande de la réactivité et une action de notre part, car le tourisme social est directement inhérent aux congés payés !

Pour revenir au chèque-vacances, quelle est la position du conseil d’administration de la CCAS sur ce système ?

Nicolas Cano – Notre position n’est pas de combattre le chèque-vacances, puisqu’il est une solution qui a fait ses preuves pour permettre le départ en vacances du plus grand nombre. Mais plutôt d’améliorer le système et de le sécuriser afin que son utilisation ne soit pas « détournée » de son utilité initiale. Après, la CCAS a opéré un choix politique : celui de mettre en place une tarification socialisée favorisant le départ du plus grand nombre, et également celui de développer les infrastructures du tourisme social comme véritable outil d’aide au départ.

Mais il faut rappeler que la mise en place du chèque-vacances est à l’initiative de l’ensemble des confédérations syndicales et que la CCAS travaille avec l’ANCV, non pas sur le titre en lui-même, mais sur le volet Bourse Solidarité Vacances qui permet aux familles modestes d’avoir accès aux vacances.

Le développement du système de partenariat élaboré par les Activités Sociales à travers notamment l’association Parcours Vacances s’avère aujourd’hui, au vu du contexte, une démarche judicieuse pour pallier le manque de places dû aux restrictions sanitaires. Est-ce la tendance pour l’avenir, et peut-on envisager des liens plus étroits entre la CCAS et l’Unat ?

Nicolas Cano – Nous sommes déjà proches de l’Unat, puisqu’une grande partie des adhérents de l’Unat sont des partenaires de la CCAS. Effectivement, nous sommes en pourparlers avec l’Unat pour une éventuelle adhésion de la CCAS… Jusqu’ici, ce choix n’avait pas été fait puisqu’à travers les confédérations syndicales et l’Ancav, qui est un outil de coordination des CE, nous ne nous étions pas posé la question.

Or depuis la crise du Covid-19, nous avons des relations encore plus étroites, pour construire ensemble l’avenir du tourisme social. D’ailleurs, cette conjoncture exceptionnelle nous démontre qu’à toute situation complexe il y a toujours une solution pour aller plus loin dans les projets politiques… Et là, il y a un vrai sujet de débat pour renforcer le tourisme social dans l’avenir. Lequel va avoir toute sa place cet été et dans les années à venir pour faire valoir son utilité.

Peut-on imaginer une « révision » en ce sens de la politique patrimoniale et du modèle d’exploitation de la CCAS, pour renforcer ses prérogatives en matière d’éducation populaire, et ouvrir ses villages vacances à un public extérieur, notamment pour l’accueil de classes vertes, de classes de découverte, par exemple ?

Nicolas Cano  La politique patrimoniale est un outil pour servir des projets, notamment de départ en vacances. Mais il ne faut pas rester figé. Nous avons fait évoluer cette politique depuis des années. À l’instar de la création de SCI (sociétés civiles immobilières) avec d’autres comités d’entreprise, et dernièrement la mise en place d’une société foncière. De plus, nous réfléchissons actuellement à l’évolution  des modèles d’exploitation des centres de vacances dans le but de renforcer le droit au départ en vacances pour tous.

Michèle Demessine – Entre l’Unat et la CCAS, les relations ont toujours existé. Dans la grande famille du tourisme social, comme dans celui des comités d’entreprise, la CCAS est reconnue comme un poids lourd et comme un modèle d’expérience ! Dans une forme qui est spécifique mais qui tend à évoluer au fil du temps, à un rythme peut-être trop lent… par rapport aux besoins et aux exigences, mais la volonté est présente.

L’idéologie du tourisme social, corollaire des conquêtes sociales des droits des travailleurs, n’est-elle pas en décalage aujourd’hui, avec la régression permanente de ces conquis sociaux ? Une nouvelle histoire doit-elle s’écrire ?

Michèle Demessine – Cette idéologie n’est pas en décalage avec les aspirations des Français. Tout le monde avait peut-être oublié ce potentiel de vacances ouvertes à tous dans la mixité, dans un cadre moderne, avec une gestion désintéressée. Ce concept est moderne : c’est celui d’une jeunesse qui revendique une économie plus sociale, plus solidaire. Or, nous existions déjà et nous sommes encore là aujourd’hui.

De plus, il y a une réelle pression de la société sur le droit aux vacances qui revient comme une préoccupation majeure des Français. Et nous nous devons de porter ces revendications auprès de tous les décideurs. Et, pour cela, il faut bien comprendre que la sauvegarde du patrimoine du tourisme social est un enjeu fondamental pour les associations ou les comités d’entreprise. Si on le perd, c’est la disparition à jamais de cette forme de tourisme.

Nicolas Cano – Proposer des vacances solidaires, c’est accomplir un acte de militantisme. Tout comme s’adapter et être progressiste, ce qui demande à être lucide. Par exemple, penser que les agents des Industries électriques et gazières seraient protégés par le corporatisme serait une erreur. Nous sommes plus forts lorsqu’on met en commun nos compétences, lorsqu’on « mélange » les salariés, les mêmes que nous retrouvons dans les manifs et que nous accueillons dans nos centres.

Ensuite, notre rôle est aussi de combattre l’idée que le concept de tourisme social est désuet. Il a été à la pointe, il l’est toujours et le sera encore demain. Pour preuve, nous sommes un modèle pour le tourisme lucratif. À la différence que pour nous, c’est un engagement politique.

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