L’électronucléaire français a 60 ans

Centrale EDF1 de Chinon, la première à produire en France des kilowattheures d’origine nucléaire en 1961.

La « Boule », réacteur A1, fut en 1963 la toute première unité de production nucléaire en France. Elle abrite depuis 1986 le musée de l’Atome. ©Jean-Claude Moschetti/Agence Réa

La centrale EDF1 de Chinon, la première à produire en France des kilowattheures d’origine nucléaire, a été raccordée au réseau en 1963 : une année charnière de l’histoire de l’électricité dans l’Hexagone, alors que la reconstruction est achevée et que l’équipement électronucléaire du pays débute.

La nouvelle voisine dans les journaux avec le voyage dans le Poitou du général de Gaulle, alors président de la République, le congrès de la CFTC et les erreurs dans les sujets du baccalauréat : ce vendredi 14 juin 1963, EDF procède avec succès au raccordement au réseau électrique de sa centrale EDF1 de Chinon, d’une puissance de 68 MW.

Ce n’est pas la première fois que des kilowattheures (kWh) sont produits par un réacteur nucléaire en France : les réacteurs expérimentaux du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Marcoule l’avaient déjà fait à la fin des années 1950. Mais c’est la première fois que le réacteur produit plus d’électricité qu’il n’en consomme pour son fonctionnement. En d’autres termes, le nucléaire quitte le domaine de la recherche pour entrer dans celui de l’industrie et de la production.

Archive INA : les centrales de Chinon

Olivier Martin, directeur de l’équipement d’EDF,
explique le fonctionnement des réacteurs nucléaires, en décembre 1961.

L’électronucléaire français a 60 ans | Journal des Activités Sociales de l'énergie | chinon INA 1

« Olivier Martin : les centrales nucléaires de Chinon », 28 décembre 1961. Source : Ina.fr

« Le nucléaire, un peu, mais pas trop »

Petit retour en arrière : avant la Seconde Guerre mondiale, la France est en tête de la course mondiale à l’énergie nucléaire, grâce aux travaux de Frédéric Joliot-Curie. L’Occupation interrompt ces recherches, qui reprennent après la Libération au sein du CEA, créé en 1945 et dirigé par Frédéric Joliot-Curie. Le CEA développe une technologie de réacteurs nucléaires dite graphite gaz, qui n’utilise, dans une perspective d’indépendance nationale, que des matériaux ou des technologies que possède la France. EDF suit ces recherches mais sans s’y investir massivement.

La grande priorité de l’époque, après la nationalisation de 1946, est la reconstruction du réseau endommagé par la guerre et le développement des barrages hydro-électriques, qui fournissent, en 1960, la moitié de l’électricité française. Comme le dit Roger Gaspard, directeur général de 1947 à 1962, « le nucléaire, il fallait en faire un peu, mais pas trop, pour ne pas se ruiner » (« Histoire(s) de l’EDF », d’Alain Beltran et al., Dunod, 1985).

« À la fin des années 1950, on voit que, techniquement, c’est bien parti. Mais au point de vue économique, qu’est-ce que ça allait donner ? », poursuit Pierre Ailleret, directeur des études et recherches à la même époque.

Découpage en rondelles

En 1956, Pierre Ailleret estime que la technologie développée par le CEA est arrivée à maturité. Il charge la direction de l’équipement d’EDF, qui a l’expérience des grands chantiers hydro-électriques, de lancer la construction du premier réacteur de production d’électricité nucléaire à Chinon. Le site a été choisi à proximité d’un fleuve, dans une zone amenée à se développer économiquement mais peu équipée en sites de production d’énergie.

Claude Bienvenu, chargé avec une petite équipe de jeunes ingénieurs EDF de faire le lien avec le CEA, se souvient : « C’était passionnant, nous avions une liberté totale. Personne ne connaissait quoi que ce soit en nucléaire. On se débrouillait tout seuls. » (« Histoire(s) de l’EDF »).

Le CEA visait le prix Nobel, EDF le prix du kilowattheure.
André Decelle, directeur général d’EDF de 1962 à 1967

Salle de commandes de la centrale à l'uranium naturel graphite gaz EDF de Chinon.

L’ancienne salle de commande de la centrale à l’uranium naturel graphite gaz de Chinon. ©Xavier Pory/Agence Réa

Toutefois, des tensions apparaissent entre EDF et le CEA. Contrairement au CEA, EDF insiste pour conserver la maîtrise d’œuvre et traiter les questions d’architecture industrielle. « L’idée était de découper une centrale un peu comme des rondelles de saucisson. EDF1 a pu donner lieu à 1 000 marchés, mais nous ne connaissions pas bien les éléments d’une centrale nucléaire, donc son prix », raconte Jean Cabanius, directeur de l’équipement au moment de la construction d’EDF1. « Le CEA visait le prix Nobel, EDF le prix du kilowattheure », résume plaisamment André Decelle, directeur général d’EDF de 1962 à 1967.

Le chantier, deux fois inondé par des crues de la Loire, connaît de sérieuses difficultés. « La vérité, c’est qu’on avait négligé partout les difficultés du nucléaire. On avait sous-estimé qu’il fallait des matériaux d’une grande pureté et des techniques d’une grande sûreté », raconte Pierre Massé, commissaire général au Plan au moment de la construction d’EDF1, puis président d’EDF de 1965 à 1969.

Tête de série industrielle

En 1963, la France devient donc la quatrième puissance au monde (après les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni) à maîtriser l’usage civil de l’énergie nucléaire. Dix ans plus tard, le réacteur EDF1 est devenu presque obsolète à côté des centrales EDF2 et EDF3 bâties sur le même site et beaucoup plus puissantes.

Archive INA : les grands projets d’EDF en 1961

Roger Gaspard, directeur général d’EDF, parle des conséquences de la nationalisation d’EDF
sur la recherche dans le domaine des énergies nouvelles, notamment le nucléaire.

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« Roger Gaspard : les projets d’EDF », 9 février 1961. Source : Ina.fr

L’expérience accumulée sur ce réacteur, qui a servi de tête de série industrielle pour la filière graphite gaz, permet au Premier ministre Pierre Messmer de lancer à la fin de l’année 1973, en réponse au choc pétrolier, le plan qui porte son nom de développement massif de l’électronucléaire. Entre 1960 et 1983, la production d’électricité française quadruple, grâce au nucléaire.

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