Transition énergétique : le grand défi de RTE

Pylones électriques stylisés, illustration de l'entreprise RTE

Le gestionnaire de lignes à haute et très haute tension doit investir plusieurs milliards d’euros pour assurer la transition énergétique du réseau d’ici à 2040. ©smartboy10/Getty images

Pour répondre à la forte hausse de la consommation d’électricité prévue à l’horizon 2035, le gestionnaire du réseau de transport à haute et très haute tension s’est lancé dans un programme d’investissements colossal. Pour cela, il doit recruter massivement et sécuriser ses livraisons de matériel sur un marché international tendu.

Cent milliards d’euros. C’est la somme que RTE se prépare à débourser au cours des quinze prochaines années pour financer son impressionnant programme d’investissements. Objectif : accompagner la forte hausse de la consommation d’électricité (de 25 à 40 %) attendue d’ici à 2035, en vue de décarboner l’industrie.

Le gestionnaire du plus vaste réseau européen de transport d’électricité (105 817 km) doit mener de front deux grandes et coûteuses campagnes. D’une part, le renouvellement de ses lignes vieillissantes à haute et très haute tension. D’autre part, l’adaptation du réseau aux exigences de la transition énergétique : raccordement de parcs éoliens et photovoltaïques, raccordement de l’EPR de Flamanville, électrification de grandes zones industrielles (Dunkerque, Fos-sur-Mer, Le Havre, etc.), développement de nouvelles interconnexions avec les autres pays européens (Espagne et Irlande notamment) pour faciliter la circulation des énergies renouvelables.

« Plus de 20% des lignes ont 70 ans »

Il s’agit, de loin, du programme d’investissements le plus ambitieux de l’entreprise, filiale à 51,1 % d’EDF, depuis sa création en 2005. Il correspond, pour la période 2025-2040, à des dépenses annuelles trois fois supérieures à celles consenties en 2023.

Principal chantier et premier poste de dépenses pour 2024 : le renouvellement du réseau (pylônes, câbles, postes électriques), dont « plus de 20 % des lignes ont 70 ans », indique RTE dans son nouveau schéma décennal soumis à une consultation publique jusqu’au 30 avril.

Selon la CGT, premier syndicat de l’entreprise, la tâche aurait pu être moins ardue si l’entreprise n’avait accumulé autant de retard dans ce domaine. Mais, au cours des toutes prochaines années, ce sont les investissements liés à l’adaptation au réchauffement climatique et au raccordement des futurs grands sites de production (parcs éoliens en mer, centrales photovoltaïques) et de consommation d’électricité (sites industrialo-portuaires) qui exigeront le plus de ressources financières.

Les moyens humains mobilisés par le gestionnaire du réseau de transport sont-ils suffisants pour mener à bien un tel plan ? « Pour accompagner la transition énergétique et la croissance du réseau électrique, RTE travaille sur un schéma décennal des emplois et compétences », répond la direction, qui chiffre à près de 10 000 le nombre actuel de salariés.

« En 2023, RTE a recruté 703 nouveaux talents externes et 119 mobilités internes en provenance des Industries électriques et gazières », précise-t-elle. Et la hausse se poursuit cette année : « Les besoins de recrutement en 2024 sont forts. Plus de 700 recrutements sont attendus sur des profils variés : jeunes diplômés ou plus expérimentés dans les filières maintenance, ingénierie, numérique et analyse avec des postes de directeurs de projets, de chargés d’études, de développeurs, de chefs de projets SI, d’analystes en cybersécurité, d’experts en supervision des réseaux SI et télécoms, d’analystes de marché, d’économistes, de dispatcheurs, etc. »

Hausse du recours à la sous-traitance : les syndicats inquiets

Mais la direction de RTE s’appuie également beaucoup sur la montée en charge de la sous-traitance : « Ce sont essentiellement des prestations de type assistance à MOA (maîtrise d’ouvrage) et à MOE (maîtrise d’œuvre) sur certaines typologies de projets. »

Ce recours accru à des entreprises prestataires inquiète les représentants des salariés. Notamment Régis Dangles, délégué syndical central (CFDT) à RTE. Il juge que les entreprises « n’ont pas toujours le niveau de compétence requis et ne sont pas dimensionnées pour faire face à la hausse des investissements ».

Autre crainte liée au recours accru à la sous-traitance : « Les métiers de nos agents vont être massivement modifiés au profit du ‘faire faire’ et au détriment du ‘savoir-faire’… Il y a un niveau de sous-traitance à ne pas dépasser pour s’assurer de garder des compétences en interne, de garder une maîtrise des métiers. C’est un vrai défi. »

Une analyse partagée par Christophe Aime, administrateur CGT du conseil de surveillance de RTE, qui critique aussi la politique de recrutement de l’entreprise : « On embauche énormément de cadres et très peu d’agents d’exécution et de maîtrise », observe-t-il. RTE compte, en effet, pas moins de 55 % de cadres, contre 46,6 % il y a dix ans.

À cause du rétrécissement du collège maîtrise, « on manque de passerelles pour permettre à certains agents usés en fin de carrière de se reconvertir dans des métiers moins pénibles », ajoute Francis Casanova, délégué syndical central CGT. Celui-ci estime plus globalement que les recrutements ne sont pas à la hauteur de l’accroissement de la quantité de travail observé depuis au moins deux ans.

Des composants majoritairement produits en Asie

Les tensions sur le personnel ne sont pas les seules entraves à la hausse d’activité inédite dans laquelle l’entreprise est engagée. L’adaptation, le renouvellement et la construction de lignes nouvelles pourrait aussi se heurter à des limites logistiques à l’heure où de très nombreux pays cherchent simultanément à électrifier leur économie.

Un rapport publié en décembre 2020 par le Commissariat général au développement durable (CGDD) alerte sur « une importante vulnérabilité du continent européen concernant les composants électroniques de base » nécessaires aux réseaux électriques, ces composants « étant produits pour la grande majorité en Asie et en particulier en Chine ».



La direction de RTE le reconnaît : « La production de certains équipements clés est en effet aujourd’hui soumise à de fortes tensions […]. À titre d’exemple, les délais entre la date de commande et la date de livraison des matériels ont été multipliés par trois entre 2021 et 2023 pour certains matériels, comme les câbles aériens ou les transformateurs de puissance. Les dates précises de livraison des matériels ont perdu en fiabilité, ce qui a un impact sur la capacité à planifier les chantiers et à consigner le réseau. »

Ces tensions contribuent par exemple à augmenter les coûts et les délais de livraison des grands travaux d’infrastructure en cours. Ainsi, le projet d’interconnexion entre la France et l’Espagne, également en proie à des difficultés techniques et à des contestations citoyennes, a déjà pris trois ans de retard sur le planning prévu, note l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans une récente étude sur les réseaux électriques. La France est loin d’être la seule concernée par ces difficultés : « Les réseaux électriques risquent de devenir le maillon faible de la transition énergétique » à l’échelle mondiale, insiste l’AIE.

Le président du directoire de RTE, lui, ne veut pas baisser les bras, même s’il sait que l’objectif européen de réduction de 55 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2030 fait peser une pression importante sur son entreprise : pour le réaliser, « la France doit désormais entamer un sprint », écrit Xavier Piechaczyk sur son compte LinkedIn.

Tags:
0 Commentaires

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Votre commentaire est soumis à modération. En savoir plus

Qui sommes-nous ?    I    Nous contacter   I   Mentions Légales    I    Cookies    I    Données personnelles    I    CCAS ©2024

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?