Ludovic Torbey (Osons causer) : « L’énergie n’a jamais été un sujet aussi sexy »

Ludovic Torbey (Osons causer) : "L’énergie n’a jamais été un sujet aussi sexy" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | Capture Hercule tout comprendre au projet de vente a la decoupe dEDF

Visage de la chaîne YouTube Osons causer, Ludovic Torbey décrypte avec son acolyte Stéphane Lambert les enjeux de l’actualité à destination d’un large public. ©Mathilde Normand/CCAS

Sa vidéo sur le projet Hercule a été vue des centaines de milliers de fois. Cocréateur de la chaîne YouTube « Osons causer » et du site « Osons comprendre », Ludovic Torbey, 33 ans, décortique les grands enjeux de société avec un savant mélange de fougue, de sérieux et de pédagogie. Rencontre avec un « passeur d’informations » bourré de talent.

Cet entretien a été réalisé le 19 avril 2021. Dans une interview publiée par « Ouest France » quatre jour plus tard, le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, face à l’opposition syndicale, politique et citoyenne, invitait les Français à « oublier » Hercule… sans pour autant remettre en cause le projet.

Pourquoi avoir réalisé cette vidéo sur le projet Hercule ?

Ludovic Torbey : Nous avons été contactés par le Comité social et économique (CSE) d’EDF. Mais nous étions déjà très motivés pour en parler, d’autant qu’Osons causer avait déjà abordé les privatisations : celle des barrages hydro-électriques dictée par la Commission européenne, celle des autoroutes et de la Française des jeux… Sur notre site web Osons comprendre, nous avions aussi beaucoup traité de la transition énergétique, et du rôle clé de l’électricité dans une société bas carbone.

De fait, Hercule est un sujet capital pour la France. EDF-GDF a été créé au lendemain de la guerre ; et petit à petit, avec l’intégration européenne, ce groupe a été découpé. Il est essentiel qu’en tant que collectivité, la France garde la main sur son électricité, et je dirais même toute son électricité, depuis le barrage hydro-électrique, l’éolienne et le panneau solaire jusqu’à la prise de courant.

EDF est un grand groupe intégré qui produit, transporte, distribue et commercialise l’électricité. Or, dans tous les scénarii 100% renouvelables, avec ou sans nucléaire, il faudra flexibiliser la demande. Et pour le faire, il faut que le producteur, le transporteur, le distributeur travaillent ensemble. Un groupe intégré est aussi la garantie d’avoir les meilleurs prix pour les usagers. Alors, quand on a vu que la Commission européenne tentait de démanteler EDF, de réclamer la privatisation partielle du réseau et de la production renouvelable, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose.

Cette vidéo de 16 minutes a-t-elle été difficile à faire ?

Ludovic Torbey : Elle nous a demandé du travail, à cause de l’opacité des négociations autour du projet Hercule. Comme toujours, avec l’Union européenne, il n’y a pas d’informations fiables, rien de public. On ne trouve sur le sujet que ce que le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a bien voulu en dire lors de son audition devant le Parlement ainsi qu’une note du gouvernement, qui a fuité dans la presse fin 2020. Il nous a donc fallu reconstituer le puzzle pour comprendre ce qu’implique concrètement ce projet.

Publiée le 6 mars, votre vidéo a déjà été vue plus de 100 000 fois…

Ludovic Torbey : Et même beaucoup plus que ça ! On a eu un problème avec Facebook, qui a fait disparaitre cette vidéo peu après sa publication, avant qu’on ne la relance. Elle a été partagée des dizaines de milliers de fois et elle a eu des centaines de milliers de vue.

La petite musique des privatisations à marche forcée (…) est une musique que les Français ont beaucoup trop entendue, et qui les dérange.

Comment expliquez-vous ce succès ?

Ludovic Torbey : Je pense que la petite musique des privatisations à marche forcée de nos entreprises ou de nos services publics, impulsée par l’Union européenne, est une musique que les Français ont beaucoup trop entendue, et qui les dérange. Ce n’est pas un hasard si quasiment chaque grand mouvement de privatisation a déclenché une opposition, des mouvements sociaux, des campagnes d’opinion. Ce n’est pas un hasard non plus si les Français a voté « non », très massivement, au projet de constitution européenne en 2005.

Pourtant, l’énergie n’est pas a priori un sujet très « sexy » aux yeux du grand public…

Ludovic Torbey : Je crois au contraire que ce sujet n’a jamais été aussi sexy ! La quantité d’informations disponible sur ces questions n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Du côté d’Osons causer, c’est grâce aux questions climatiques que nous avons été amenés à parler d’énergie. Et la transition énergétique intéresse le public : regardez tous les débats actuels sur la voiture électrique ! Tout le monde s’en saisit, tout le monde a une opinion sur ce sujet. C’est pareil pour le nucléaire : la majorité des Français pensait que c’était mauvais pour le climat ; et cette opinion est en train de changer, car les gens s’informent.

Vous estimez que les médias n’expliquent pas les choses en profondeur. N’est-ce pas une vision un peu réductrice ?

Ludovic Torbey : Évidemment, il y a de tout dans les médias : du bon et du moins bon. Mais tous ont un point commun : ils sont toujours pris dans le flux de l’actualité, et ne peuvent pas approfondir leurs sujets. Les chaînes d’information en continu, les matinales et les journaux télévisés n’ont pas toujours le temps de prendre le recul nécessaire pour permettre à chacun de comprendre les enjeux de l’actualité.

Avec notre site Osons comprendre, on ne se limite pas à dire que le projet Hercule va découper l’entreprise en trois. Pour saisir les enjeux de ce projet, il faut comprendre comment est fixé le prix de l’électricité, qu’est-ce qu’un fournisseur alternatif à EDF, comment l’Union européenne a introduit la concurrence dans l’énergie… Un média qui traite le sujet en 1 minute 30 ne peut pas faire tout ce travail.

Si on fait confiance à cette arène politico-médiatique pour produire du savoir, ça risque de foirer. On l’a vu avec le Covid !

Osons causer et Osons comprendre, c’est de l’éducation populaire et de la formation continue ?

Ludovic Torbey : Oui, on peut dire ça. Tout un tas de problèmes sociaux et politiques vont se poser à nos générations. On va devoir s’engager dans la transition énergétique, protéger le climat, assurer nos systèmes sociaux, relancer l’économie après la crise du Covid, se confronter au projet d’intégration européenne, etc. Et pour être en capacité de faire des choix pertinents sur ces sujets et d’évaluer l’offre politique en la matière, il faut en comprendre les enjeux.

Or, notre formation initiale est très lacunaire : même les meilleurs cours de biologie ou de physique nous éveillent très peu à l’enjeu climatique. Si on ne s’approprie pas ce type de sujet, on laisse notre société entre les mains de manipulateurs. Dans le champ politique et médiatique, on a rarement des débats en profondeur et apaisés. Si on fait confiance à cette arène politico-médiatique pour produire du savoir, ça risque de foirer. On l’a vu avec le Covid !

Vous abordez souvent des sujets complexes : le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), les retraites, la dette… Votre but est-il de rendre accessible les sujets difficiles ?

Ludovic Torbey : En utilisant l’outil vidéo, on fait le choix de la diffusion à un large public et de l’accessibilité. On cherche le bon titre, le bon format, pour accrocher même ceux qui ne s’intéressent pas a priori à ces sujets. On essaye de montrer au public l’intérêt que représentent ces sujets, d’être clair dans notre manière de les présenter, et d’être « béton » dans nos sources : on n’a pas le droit de se tromper dans nos sources ! C’est d’ailleurs cet aspect qui nous prend beaucoup de temps.

Quels sont les prochains sujets que vous allez passer à la moulinette ?

Ludovic Torbey : Nous travaillons actuellement sur deux axes. Le premier porte sur les enjeux de la relance économique. Après le « quoi qu’il en coûte » (expression utilisée par Emmanuel Macron lors de sa première allocution au début de l’épidémie, en mars 2020, ndlr), le discours austéritaire recommence à revenir. Or aujourd’hui, la dépense publique n’a jamais été aussi nécessaire : climat, transition énergétique, délabrement des services publics de la santé ou de l’éducation… On est en sous-investissement chronique !

Deuxième axe : bien expliquer les enjeux de transition énergétique. On a besoin de se mettre à niveau collectivement sur ce qu’implique l’objectif du « 100 % renouvelable ». C’est un horizon possible, mais difficile à atteindre si on veut assurer dans le même temps davantage de production électrique, de la justice sociale et des petits prix…


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