Premier épisode de notre chronique sur le fondateur du statut des électricien·nes et gazier·ères : né en 1900 dans une famille miséreuse, le petit Marcel est vite confié à l’Assistance publique par sa mère couturière, qui tentera plus tard de le récupérer, en vain.
Marcel Paul, une vie
Découvrez en dix épisodes l’itinéraire d’un homme qui a durablement marqué la mémoire des électriciens et gaziers.
Marcel Paul est né le 12 juillet 1900 à la maternité de Port-Royal, à Paris. Deux jours plus tard, sa mère, Marie Dubois, une couturière de 22 ans qui a quitté son Ille-et-Vilaine natale pour tenter sa chance dans la capitale, l’abandonne. Le bébé est alors pris en charge par l’Assistance publique. Cette institution veillera sur le jeune pupille.
En ces temps de misère ouvrière urbaine, et alors que l’avortement est interdit, l’abandon est souvent la seule forme possible de régulation des naissances. Chaque année, 15 000 enfants sont confiés à l’Assistance publique en France, dont un tiers pour la seule ville de Paris. Les pupilles de l’Assistance, les « pitaus » comme on les surnomme, parce qu’ils viennent des hôpitaux, sont envoyés à la campagne, dans des familles d’accueil.
Marcel Paul est placé à Moncé-en-Belin, dans la Sarthe, un de ces villages nourriciers où les enfants placés sont nombreux. Il va y passer les dix-huit premières années de sa vie.
L’enfance d’un « pitau »
Marcel Paul a souvent évoqué cette enfance de pitau, d’enfant pas comme les autres, stigmatisé, moqué. Les pupilles de l’Assistance portent tous le même habit, immédiatement reconnaissable. Jusqu’à l’âge de 6 ans, ils portent même un collier scellé autour du cou, destiné à prévenir les substitutions d’enfant. « Alors que la présence des enfants assistés constitue un fait massif et incontournable dans les villages, cette normalité ne préserve aucunement de l’opprobre. C’est à l’école que fusent les premiers lazzis », observe l’historien Ivan Jablonka dans « Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939) ». Cette remarque aide à comprendre l’inépuisable pugnacité et la très forte volonté qui constitueront des traits frappants de Marcel Paul devenu adulte.
Ce qu’ignore en revanche Marcel Paul, et ce qu’il a vraisemblablement ignoré toute sa vie, est que ses parents ont multiplié les démarches pour le reprendre. Le 16 août 1900, Marie Dubois écrit à l’Assistance publique (sic) : « Je ne savais pas ce que je fesait mais je ne peut vivre sen mon enfent Monsieur aiyez donc la bonté de me rendre je vous prie ». Dans cette lettre, elle demande à être contactée exclusivement à son domicile, et non sur son lieu de travail, et dévoile le nom du père : Marcel Paul.
Ce dernier est alors sous les drapeaux pour son service militaire. Marie Dubois et Marcel Paul se marient en 1905. Marie Dubois poursuit ses démarches pour obtenir qu’on lui rende son enfant, allant même jusqu’à écrire à la femme du président de la République. Toujours en vain.
En 1913, le père du jeune adolescent, qui vient d’obtenir brillamment son certificat d’études dans la Sarthe, reconnaît son fils. C’est ce que montre l’acte de naissance rectificatif de 1913, par lequel Marcel Dubois devient Marcel Paul, portant ainsi les prénom et nom de son père, père qu’il ne connut jamais car il meurt au front pendant la Première Guerre mondiale.
Ce sort tragique d’un enfant abandonné dans un excès de désespoir et que ses parents ne purent jamais récupérer n’était alors pas rare. La loi de 1904 qui réorganise l’Assistance publique permet la restitution de l’enfant uniquement aux « parents sortis de l’état de misère » et à ceux qui « paraissent revenus à des sentiments plus moraux et plus humains ».
Et l’administration se montre très exigeante sur l’appréciation de ces critères. Elle cache délibérément aux parents le lieu de placement de leur enfant et ne répond à leur demande de nouvelles que par une unique information : l’enfant est, ou non, toujours en vie. « L’abandon n’est pas exclusif de l’amour maternel, loin s’en faut. Nombreuses sont celles qui s’enquièrent de leur enfant après l’avoir remis. […] Si couturières et domestiques abandonnent un enfant qui peut leur coûter leur vie ou du moins leur place, elles n’excluent pas de le reprendre un jour lorsque leur situation financière ou matrimoniale se sera rétablie », observe Ivan Jablonka. Mais, en pratique, souvent peu à l’aise avec l’écrit, impressionnée par la toute-puissance administrative, rares sont les mères à pouvoir reprendre leur enfant.
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1919-1923 : Et le pitau devint électricien
Pour aller plus loin
« Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939) », d’Ivan Jablonka, Seuil, 2006, 374 p., 24,30 euros (édition numérique : 16,99 euros).
« Marcel Paul, un ouvrier au Conseil des ministres », de Nicolas Chevassus-au-Louis et Alexandre Courban
L’Atelier, 224 p., 18 euros.
Commander le livre : chez un libraire ou auprès de l’Institut d’histoire sociale Mines-Énergie : ishme@fnme-cgt.fr
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Bonjour, Sur maitron .fr il est fait mention que Marcel PAUL jusqu’à l’âge de 13 ans lorsque son père le reconnaît sans l’avoir jamais rencontré (peut être la distance entre Denain dans le nord et la Sarthe) puis le départ à la guerre et son décès le 20 août 1918, il portait le nom de sa mère et c’était donc Marcel DUBOIS, mais cela ne change rien. Le document de maitron sur Marcel Paul est aussi très intéressant.
J’ai bien lu sous l’acte de naissance, Marcel Paul, né Marcel Dubois
J’ai eu l’occasion de rencontrer Marcel Paul en 1976 à Clermont Ferrand, alors qu’il était venu au centre EDF/GDF, à l’invitation de la cellule du PCF, pour l’anniversaire de la nationalisation. Nous avons eu plusieurs heures de discussion avant son intervention devant personnel à l’issue de la journée de travail. A l’époque jeune militant, j’en ai gardé le merveilleux souvenir d’un homme simple, cultivé et pétri d’humanité qui m’a offert la plus belle leçon d’histoire vivante de ma vie.
Bonjour « Camarades »,
C’est une expression que je n’entend plus ! Le chauffeur de Marcel PAUL s’appelait Auguste PORQUEZ et nous habitions dans le même immeuble près de la Centrale EDF de Saint Ouen. Comme mon père avait été un de ses compagnons dans la Résistance avec Fernand FLAUJAC mort en déportation, nous partagions parfois quelques « douceurs arrosées » dans les années 1960 en notre domicile. Un soir, Auguste en libre activité de retraite à Wissant, dans le Pas de Calais, me téléphona et en pleurant, il m’apprit le décès de Marcel PAUL et me déclara qu’entre nous, « Camarades », ça n’était plus ça… Effectivement, je viens d’avoir, moi jeune à l’époque, mes 84 ans et je le constate malheureusement tous les jours. Par manque de solidarité, nous perdons tout de ce que nous avons gagné en luttes ouvrières par la faute d’autres, trop individualistes et idiotement engagés en des idéologies qui ne sont pas par défaut les leurs ! Tant pis pour eux. Notre avenir à nous les Anciens, il est derrière nous…
je vénère la mémoire de Marcel Paul qui était un humain remarquable, aimant profondément l’humanité, il avait compris hélas que pour que le peuple soit heureux, cela passait par le partage des richesses et non la sélection de celles ci. Ventilation et non sélection.
Merci mille fois Marcel
Un retraité de 87 ans.