Marcel Paul, une vie | Un enfant de l’Assistance publique

Né le 12 juillet 1900, Marcel Paul, né Marcel Dubois, est reconnu par son père en 1913. Il n’a jamais connu ses parents. ©Archives de l’Assistance publique

Premier épisode de notre chronique sur le fondateur du statut des électricien·nes et gazier·ères : né en 1900 dans une famille miséreuse, le petit Marcel est vite confié à l’Assistance publique par sa mère couturière, qui tentera plus tard de le récupérer, en vain.

Marcel Paul, une vie

Découvrez en dix épisodes l’itinéraire d’un homme qui a durablement marqué la mémoire des électriciens et gaziers.

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Marcel Paul est né le 12 juillet 1900 à la maternité de Port-Royal, à Paris. Deux jours plus tard, sa mère, Marie Dubois, une couturière de 22 ans qui a quitté son Ille-et-Vilaine natale pour tenter sa chance dans la capitale, l’abandonne. Le bébé est alors pris en charge par l’Assistance publique. Cette institution veillera sur le jeune pupille.

En ces temps de misère ouvrière urbaine, et alors que l’avortement est interdit, l’abandon est souvent la seule forme possible de régulation des naissances. Chaque année, 15 000 enfants sont confiés à l’Assistance publique en France, dont un tiers pour la seule ville de Paris. Les pupilles de l’Assistance, les « pitaus » comme on les surnomme, parce qu’ils viennent des hôpitaux, sont envoyés à la campagne, dans des familles d’accueil.

Marcel Paul est placé à Moncé-en-Belin, dans la Sarthe, un de ces villages nourriciers où les enfants placés sont nombreux. Il va y passer les dix-huit premières années de sa vie.

L’enfance d’un « pitau »

Marcel Paul a souvent évoqué cette enfance de pitau, d’enfant pas comme les autres, stigmatisé, moqué. Les pupilles de l’Assistance portent tous le même habit, immédiatement reconnaissable. Jusqu’à l’âge de 6 ans, ils portent même un collier scellé autour du cou, destiné à prévenir les substitutions d’enfant. « Alors que la présence des enfants assistés constitue un fait massif et incontournable dans les villages, cette normalité ne préserve aucunement de l’opprobre. C’est à l’école que fusent les premiers lazzis », observe l’historien Ivan Jablonka dans « Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939) ». Cette remarque aide à comprendre l’inépuisable pugnacité et la très forte volonté qui constitueront des traits frappants de Marcel Paul devenu adulte.

Ce qu’ignore en revanche Marcel Paul, et ce qu’il a vraisemblablement ignoré toute sa vie, est que ses parents ont multiplié les démarches pour le reprendre. Le 16 août 1900, Marie Dubois écrit à l’Assistance publique (sic) : « Je ne savais pas ce que je fesait mais je ne peut vivre sen mon enfent Monsieur aiyez donc la bonté de me rendre je vous prie ». Dans cette lettre, elle demande à être contactée exclusivement à son domicile, et non sur son lieu de travail, et dévoile le nom du père : Marcel Paul.

Ce dernier est alors sous les drapeaux pour son service militaire. Marie Dubois et Marcel Paul se marient en 1905. Marie Dubois poursuit ses démarches pour obtenir qu’on lui rende son enfant, allant même jusqu’à écrire à la femme du président de la République. Toujours en vain.

En 1913, le père du jeune adolescent, qui vient d’obtenir brillamment son certificat d’études dans la Sarthe, reconnaît son fils. C’est ce que montre l’acte de naissance rectificatif de 1913, par lequel Marcel Dubois devient Marcel Paul, portant ainsi les prénom et nom de son père, père qu’il ne connut jamais car il meurt au front pendant la Première Guerre mondiale.

Ce sort tragique d’un enfant abandonné dans un excès de désespoir et que ses parents ne purent jamais récupérer n’était alors pas rare. La loi de 1904 qui réorganise l’Assistance publique permet la restitution de l’enfant uniquement aux « parents sortis de l’état de misère » et à ceux qui « paraissent revenus à des sentiments plus moraux et plus humains ».

Et l’administration se montre très exigeante sur l’appréciation de ces critères. Elle cache délibérément aux parents le lieu de placement de leur enfant et ne répond à leur demande de nouvelles que par une unique information : l’enfant est, ou non, toujours en vie. « L’abandon n’est pas exclusif de l’amour maternel, loin s’en faut. Nombreuses sont celles qui s’enquièrent de leur enfant après l’avoir remis. […] Si couturières et domestiques abandonnent un enfant qui peut leur coûter leur vie ou du moins leur place, elles n’excluent pas de le reprendre un jour lorsque leur situation financière ou matrimoniale se sera rétablie », observe Ivan Jablonka. Mais, en pratique, souvent peu à l’aise avec l’écrit, impressionnée par la toute-puissance administrative, rares sont les mères à pouvoir reprendre leur enfant.



Pour aller plus loin

« Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939) », d’Ivan Jablonka, Seuil, 2006, 374 p., 24,30 euros (édition numérique : 16,99 euros).


« Marcel Paul, un ouvrier au Conseil des ministres », de Nicolas Chevassus-au-Louis et Alexandre Courban
L’Atelier, 224 p., 18 euros.

Commander le livre : chez un libraire ou auprès de l’Institut d’histoire sociale Mines-Énergie : ishme@fnme-cgt.fr


 

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