« Sans les voix des exilés, des cultures entières sont menacées »

Judith Depaule et Ariel Cypel, cofondateurs et respectivement directrice et coordinateur général de L’Atelier des artistes en exil, partenaire des Activités Sociales.

Judith Depaule et Ariel Cypel, cofondateurs et respectivement directrice et coordinateur général de L’Atelier des artistes en exil, partenaire des Activités Sociales. ©Christophe Maout

Qu’ils soient iraniens, congolais, russes ou ukrainiens, les artistes fuyant la répression ou la guerre ont besoin de notre soutien, témoigne Ariel Cypel, cofondateur de L’Atelier des artistes en exil (aa-e), partenaire des Activités Sociales.

Comment votre association vient-elle en aide aux artistes exilés ?

L’association est d’abord un espace de travail destiné à ces artistes, et nous nous occupons de leur intégration professionnelle. Nous prenons aussi en charge les questions administratives, juridiques, médicales, psychologiques. Quand un artiste arrive chez nous, nous commençons par évaluer ses besoins. Nous avons également une école de français et un site internet sur lequel on peut retrouver les CV des artistes, leurs projets, leurs vidéos, leurs photos.

Combien d’exilés soutenez-vous actuellement ?

Il y a dix-huit mois, l’association s’occupait d’environ 200 artistes. Mais depuis les crises birmane, afghane et ukrainienne, les exilés nous sollicitent avant même d’arriver en France. Aujourd’hui, nous soutenons 350 artistes et d’ici trois ou quatre mois on devrait être autour de 500. Depuis le mois de septembre, nous avons dû embaucher dix personnes supplémentaires. D’autre part, nous venons d’ouvrir une antenne à Marseille et nous allons en ouvrir une autre l’an prochain à Lyon (l’association est actuellement située à Paris, ndlr).

Avec la guerre en Ukraine, vous avez dû faire face à l’arrivée de nombreux d’artistes ukrainiens et russes…

Oui. Nous soutenons tous ceux qui s’opposent à Poutine, qu’ils soient russes ou ukrainiens. Mais la situation des exilés est très différente selon leur pays d’origine : l’Union européenne applique pour la première fois une loi permettant aux Ukrainiens d’obtenir l’asile temporaire sans avoir à faire aucune démarche. Pendant ce temps-là, il y a des artistes qui attendent leurs papiers depuis quatre ans. Aujourd’hui, une femme iranienne victime du fanatisme des mollahs est obligée de passer par un lourd processus administratif, tandis qu’une femme afghane victime des talibans peut obtenir l’asile très rapidement.

Depuis une vingtaine d’années, toutes les lois sur les migrations ont restreint le droit d’asile. (…) [Et] en fonction du pays d’où vous venez, vous n’avez pas les mêmes droits.

Comment gérez-vous ces injustices ?

Difficilement. L’asile est une question éminemment politique. D’abord, depuis une vingtaine d’années, toutes les lois sur les migrations ont restreint le droit d’asile. Ensuite, en fonction du pays d’où vous venez, vous n’avez pas les mêmes droits. Quand vous venez de RDC (République démocratique du Congo), pays en guerre depuis quasiment trente ans, dirigé par des dictateurs et miné par la pauvreté, vous avez moins de 10 % de chances d’obtenir l’asile.

La CCAS a accueilli au village vacances de Savines-le-lac la plasticienne iranienne Hura Mirshekari, soutenue par votre association. Quel a été son parcours ?

Avec son mari, elle a obtenu l’asile en 2018 auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) après avoir essuyé un premier refus de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Si la CNDA ne lui avait pas reconnu ce statut de réfugiée, elle serait devenue ce qu’on appelle une sans-papier.



Quel est le sens du partenariat entre l’Aa-e et la CCAS ?

La CCAS a soutenu l’aa-e à plusieurs occasions. Récemment, des bungalows ont été mis à disposition d’une famille afghane dans un village vacances en Gironde (à Arès, ndlr). La CCAS a invité plusieurs artistes en résidence. Depuis fin 2020, la CCAS a manifesté, avec ses moyens, un soutien clair à notre démarche et surtout aux artistes en exil. Evidemment, nous savons l’apprécier.

Les artistes en exil […] continuent à enrichir une culture française très largement issue de l’exil (Picasso, Montand, Aznavour, etc.) [et] défendent des cultures menacées.

Pourquoi est-il essentiel, selon vous, de soutenir ces artistes ?

Parce qu’ils essayent de faire entendre une musique que certains pouvoirs ne peuvent pas supporter. Sans ces voix, des cultures entières sont menacées. Les artistes en exil apportent deux choses : premièrement, ils continuent à enrichir une culture française très largement issue de l’exil (Picasso, Montand, Aznavour, etc.). Deuxièmement, ils défendent des cultures menacées. Les Ouïgours exilés, par exemple, sont l’un des derniers remparts contre la disparition de leur culture.

Pour moi, l’Aa-e est comme le monde pourrait être : un espace où des gens d’origines différentes, de sexes, de religions et de cultures différentes, vivent ensemble. C’est quelque chose d’un peu utopique. Notre volonté, en créant cette association, était de créer un espace de partage et d’égalité. On n’avait pas pris conscience au départ d’avoir inventé un endroit qui, à notre connaissance, n’existe nulle part ailleurs. Un lieu spécifiquement dédié aux artistes en exil.

Que peuvent faire nos bénéficiaires qui souhaitent vous soutenir ?

Ils peuvent nous faire des dons, financiers ou matériels. Nous avons un besoin permanent de peinture, de bois, d’ordinateurs… Bref, tout ce qui permet aux exilés de travailler. Les gens peuvent aussi proposer un hébergement temporaire. A Paris, à Lyon, à Marseille, nous avons besoin d’avocats et de psychologues bénévoles, et de personnes qui peuvent accompagner les exilés dans leurs démarches administratives. Nous apprécions toutes sortes d’aides. Chacun donne ce qu’il peut et cela nous convient très bien.


L’Atelier des artistes en exil (AA-E)

L’Atelier des artistes en exil se propose d’identifier des artistes en exil de toutes origines, toutes disciplines confondues, de les accompagner en fonction de leur situation et de leurs besoins, de leur offrir des espaces de travail et de les mettre en relation avec des professionnels (réseaux français et européen), afin de leur donner les moyens d’éprouver leur pratique et de se restructurer.

Site internet de l’association : aa-e.org

 

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