Souffrance au travail : l’omerta

Cédric Porte, rencontres culturelles au centre CCAS de Trégastel ©E.Rebiffé/ccas

Rencontre culturelle avec Cédric Porte au centre CCAS de Trégastel ©E.Rebiffé/ccas

Au centre CCAS de Trégastel (Bretagne) le 15 juillet dernier, les vacanciers sont venus nombreux rencontrer Cédric Porte, coauteur de « Travailler à tout prix ! ». Une rencontre remarquable sur le thème du mal-être au travail, avec un public visiblement intéressé et très réactif.

Faut-il tout accepter pour conserver son emploi ? Pour Cédric Porte, la réponse est clairement non ! Dans le cadre des rencontres culturelles organisées par la CCAS, le coauteur de « Travailler à tout prix ! »* livre le témoignage de sa douloureuse expérience devant les vacanciers de Trégastel. Comment oser se plaindre de ses conditions de travail lorsque l’on a galéré pour en avoir un ? Que les demandeurs d’emploi se comptent par millions ? Et surtout lorsque « ce job s’apparente à la chance de sa vie ». « La souffrance au travail est taboue ! Il y a une véritable omerta, affirme Cédric Porte. Je suis là pour dénoncer cela. »

L’auditoire écoute religieusement son histoire, somme toute trop répandue. Celle d’un chômeur, en fin de droit, SDF de surcroît, et isolé de sa famille. La chance semble enfin lui sourire : il retrouve un emploi dans une entreprise florissante d’une cinquantaine d’employés. Mais l’enthousiasme laisse très vite la place au désenchantement, à l’incompréhension, au doute, à la terreur dans cet univers oppressant. En un récit assez hallucinant, Cédric Porte rapporte les séances d’humiliation, les brimades, les insultes, les techniques de dévalorisation et de dépersonnalisation – les employés sont nommés par un trigramme (mot de trois lettres) –, la destruction psychologique, le conditionnement et le contrôle de l’individu, la délation entre collègues aussi… La tyrannie quotidienne des dirigeants, rondement menée, vise à formater le salarié pour avoir un parfait ascendant sur lui.

Cédric Porte endure sans broncher durant quelques mois avant de dire stop ! « Un matin, j’ai voulu sauter par la fenêtre. Je voulais que ça s’arrête, je n’en pouvais plus », témoigne-t-il. Pour lui, c’est un choix courageux mais périlleux. C’est la double peine : se rebeller signifie perdre son boulot donc retourner à la précarité.

Présentation du livre "Travailler à tout prix" ©E.Rebiffé/ccas

Présentation du livre « Travailler à tout prix » ©E.Rebiffé/ccas

Un processus pernicieux

Dans « Travailler à tout prix ! » coécrit avec Nicolas Chaboteaux, un collègue, Cédric Porte décrit en détail ce processus pernicieux, extrêmement bien rodé et d’une redoutable efficacité qui conduit à tolérer l’intolérable et à souffrir en silence. Considérant qu’il n’a pas le choix, le salarié courbe l’échine, se soumet et subit un calvaire quotidien. Pire, il culpabilise !

L’auditoire d’abord dubitatif interpelle l’auteur et les questions fusent. « C’est de l’esclavagisme moderne et en toute impunité ! », réagit Frédéric Parrou, venu des Charentes. « C’est incroyable ! Comment peut-on en arriver là pour garder son emploi ! », lance Marie-Françoise, qui a dévoré le livre avant la rencontre du soir. Elle confiera plus tard vouloir l’offrir à son fils : « Il vit une situation similaire, ça pourra peut-être l’aider. » « Lorsque vous subissez cette situation, vous culpabilisez, on vous amène à penser que vous êtes à l’origine du problème. Or, ce n’est pas l’individu le problème, mais bien la structure managériale qui vous broie », répond Cédric Porte. Et un taux de chômage extrêmement élevé (5 millions) permet d’exercer une pression constante sur les salariés…

« Le CHSCT n’a rien fait ? La médecine du travail n’était pas au courant ? Vous n’avez pas saisi l’inspection du travail ? Comment ont réagi vos anciens collègues ? Est-ce que cela a fait bouger les choses ? », interrogent des vacanciers. « On m’interpelle souvent à ce sujet. Mais, dans ce genre d’entreprise de moins de 50 salariés, il n’y a ni syndicat ni CHSCT. Et, par peur des représailles, les salariés se taisent, répond l’invité. L’inspection du travail, quant à elle, a été saisie plusieurs fois, mais elle s’abritait derrière le manque de preuves concrètes. Cependant, grâce au livre, une enquête est en cours. » « Combien de temps avez-vous tenu ? », s’inquiète Marie-Reine, institutrice à la retraite. « Où en êtes-vous aujourd’hui ? », s’enquiert Marie-Françoise.

Séance de dédicace avec Cadric Laporte pour conclure la rencontre ©E.Rebiffé/ccas

Séance de dédicace avec Cédric Porte pour conclure la rencontre ©E.Rebiffé/ccas

Il faut dénoncer l’enfer !

« Ce livre devrait être étudié dans les écoles ! Il montre parfaitement la dangerosité d’un certain management qui sait exactement ce qu’il fait », déclare Michel Pany, de la CMCAS Moulins-Vichy. « Mais ne perdons pas de vue que le système capitaliste a besoin des salariés ! Je ne veux pas donner de leçons, mais il faut bien comprendre que tout être humain est respecté à partir du moment où il se respecte lui-même », fait-il remarquer. Indiquant que le salarié qui ne dénonce pas l’enfer qu’il subit participe à cautionner le système et donc à le faire perdurer.

« A quel moment vous apercevez-vous que vous êtes complètement manipulé ? Qu’est-ce qui vous incite à vous rebeller ? », demande Frédéric Parrou. « Quand j’ai voulu me suicider ; cela a été était le facteur déclencheur. Mais heureusement, j’ai pensé à ma fille », confie Cédric Porte. « Alors, pour la première fois depuis mon embauche, six mois auparavant, je m’oppose à mon supérieur. Je décide de ne plus me laisser opprimer. Et là, en fait, je le déstabilise. Je ne suis plus une victime. J’ai récupéré mon pouvoir de décision sur ma vie. Je sais que je vais perdre mon boulot mais curieusement je me sens libéré », explique-t-il.

« Avec le livre, j’ai mis des mots sur mes maux, précise Cédric. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de comprendre comment on se relève de sa chute plutôt que de savoir comment on est tombé », poursuit l’auteur. Depuis la sortie du livre, il s’évertue à transformer cette expérience dramatique en quelque de chose de positif, à tenter de briser la chape de plomb qui couvre la souffrance au travail. « C’est difficile de raconter cette période intime et peu glorieuse de ma vie mais, en même temps, ces échanges sont très importants pour moi », précise Cédric Porte, avant de remercier l’auditoire pour cet accueil chaleureux.

« Avec ma tournée dans les centres de vacances CCAS, je découvre la richesse de sa politique culturelle. Vous avez beaucoup de chance d’avoir accès à la culture sur vos lieux de vacances », souligne-t-il. Et de conclure : « Il y a quelques mois, je ne connaissais pas la CCAS. J’en profite pour lui témoigner ma reconnaissance. »

Cédric Porte : « C’est le système qui est pervers »

Cédric Porte ©E.Rebiffé/ccas

Cédric Porte ©E.Rebiffé/ccas

Comment allez-vous ?

Beaucoup mieux. Je me reconstruis peu à peu. Parler de mon expérience permet de me reconstruire plus rapidement, de guérir mes blessures, qui ne sont pas encore bien refermées. Elles sont telles que j’ai du mal à me réinsérer dans le monde du travail. Je fais des petits boulots mais je n’ai pas encore trouvé de travail stable, ni de logement. Je touche le RSA. Financièrement c’est dur, mais ma situation psychologique a considérablement changé.

Comment est venue l’idée d’écrire un livre ?

C’est Nicolas Chaboteaux qui en a eu l’idée. Je l’ai rencontré dans cette entreprise. Il fallait que notre souffrance serve à quelque chose. C’est devenu un témoignage à quatre mains qui explique la souffrance au travail et dénonce le processus qui enferme le salarié, le contraint au silence et à endurer l’enfer. Nous racontons notre vécu, avec des mots simples et de l’humour aussi. Car l’humour sert à mettre de la distance. Ce recul est nécessaire pour passer à autre chose et se projeter dans l’avenir. Nous souhaitons avant tout nous adresser aux personnes qui vivent cette situation terrible pour leur signifier qu’elles ne sont responsables de rien ; c’est le système qui est pervers. La souffrance au travail reste un tabou même si quelques affaires sont sorties. On parle essentiellement des conséquences mais rarement des causes : les techniques de management qui poussent les salariés à bout et parfois même jusqu’au suicide. C’est devenu mon cheval de bataille.

Que vous a apporté le livre ?

Le livre m’a aidé à remonter la pente. C’est un booster incroyable ! Une thérapie. Grâce au livre, on m’écoute, on m’entend. C’est le regard des autres sur moi qui a changé. C’est la force des mots. Car, dans ce processus de maltraitance au travail, personne ne vous croit. Y compris vos proches. Au mieux, vous exagérez, au pire vous inventez ; votre souffrance est niée. On devient fou ! Car les techniques de dépersonnalisation des individus puis de formatage des salariés que je décris dans le livre dépassent l’entendement. Je reçois de nombreux témoignages. Je m’aperçois que beaucoup de salariés souffrent en silence. Je voudrais rompre ce silence ou le faire entendre. Lors de ma tournée à la CCAS, des gens m’ont confié se reconnaître dans cette situation. Et pourtant, ce fut difficile et douloureux de l’écrire, car c’était faire ressortir tout ce que je m’étais évertué à enfouir.

Travailler à tout prix ! de Nicolas Chaboteaux et Cédric Porte, éditions du Moment, 2015, 17,95 euros.

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2 Commentaires
  1. BERTHELOT 8 ans Il y a

    Bonjour,suite à la lecture de cette article et en tant que responsable syndical CGT UFICT Mines Energie du Calvados je suis malheureusement confronté à ces sujets de harcèlement moral pour licencier gratuitement, de dépression du fait de l’organisation du travail et pire encore le passage au suicide par manque d’accompagnement et de soutien de l’employeur…..
    Après le constat, et l’analyse que le travail doit être réalisé pour régler les problèmes personnels (se nourrir, se loger, se soigner, s’émanciper) mais pas pour ajouter des soucis moreaux afin de perdre pied, Il faut que nos syndicats soient à l’écoute et organisés pour défendre et renverser la vapeur vers la cause du mal ! Pour cela une association qui est spécialisée pour aider les familles et les syndicats confronté à ces homicides. Voici leur site:
    http://asdpro.fr/
    bien fraternellement.
    ufict.energie14@wanadoo.fr

  2. agnes 8 ans Il y a

    Dans les entreprises, de nombreuses enquêtes font état d’une hausse constante de la fréquence et de l’intensité des facteurs de stress.Certaines méthodes de management utilisées aujourd’hui provoquent des risques psychosociaux en augmentation, qui nuisent à la fois à la santé des travailleurs et à l’efficacité de l’entreprise.
    source : La prévention du harcèlement moral au travail : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=403

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