Depuis 2022 et l’avènement de ChatGPT dans nos smartphones, elle est le sujet de toutes les controverses et l’objet de toutes les craintes. Mais savez-vous réellement ce qu’est l’intelligence artificielle, et quels sont les problèmes qu’elle pose ? Dix questions pour y voir plus clair.
1. Intelligence artificielle : de quoi s’agit-il exactement ?
L’expression « intelligence artificielle » (IA) désigne des systèmes qui donnent l’illusion d’avoir des facultés cognitives humaines, comme le raisonnement ou la créativité. Ces systèmes reposent sur des algorithmes dits « apprenants », qui peuvent s’améliorer en permanence. Ils visent à automatiser le fonctionnement du numérique.
La dernière génération de systèmes d’IA – l’intelligence artificielle générative (IAG ou GenAI, en anglais) – a produit les chatbots (agents conversationnels) qui peuvent prendre en charge du traitement de texte, de la production de contenus, du service client…
Pour découvrir les progrès et les limites des IA, rendez-vous sur le site de la CNIL.
2. Depuis quand l’IA existe-t-elle ?
Le concept d’ »intelligence artificielle » fait partie du discours des chercheurs en informatique depuis les années 1950. L’utilisation de systèmes d’intelligence artificielle par les entreprises et le secteur public s’est développée depuis les années 2010.
Fin 2022, l’entreprise Open AI a mis sur le marché du grand public le premier modèle d’IA générative : ChatGPT. Depuis, d’autres géants du numérique et des start-ups ont diffusé le leur : Google (Gemini), Amazon (Nova), Microsoft (Copilot), Anthropic (Claude), Midjourney (interface du même nom).
3. Comment fonctionne l’IA ?
Les algorithmes « apprenants » nécessitent une masse colossale de données (photos, textes, vidéos, sons,…) captées sur Internet ou via les objets connectés. Et ils ont constamment besoin d’interventions humaines. En effet, seuls les humains peuvent fragmenter, annoter et trier les données qui les « nourrissent ». Des travailleurs sont également indispensables pour entraîner les algorithmes et corriger leurs performances. Ces travailleurs du « digital labor » peuvent même simuler les IA, quand ces dernières sont insuffisantes. La Banque mondiale comptabilisait entre 150 et 450 millions de « travailleurs du clic » en 2024.
À lire pour approfondir ces questions, l’essai d’Antonio A. Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic (Points Essais, 2021) est à lire d’urgence. À voir en complément, le film documentaire Les sacrifiés de l’IA d’Henri Poulain (2025), en replay sur France TV.
4. Quelles sont les applications de l’IA dans le quotidien ?
Les systèmes d’IA, générative ou non, sont largement répandus : dans les applications, les moteurs de recherche, la traduction automatique, les plateformes de commande… Ils sont également utilisés depuis plusieurs années dans l’administration publique : à la Caisse d’allocation familiale pour noter les allocataires, à la Direction générale des finances publiques pour le contrôle fiscal, à France Travail (ex-Pôle Emploi)… Entre 2024 et 2025, la Préfecture de Police de Paris, la RATP et la SNCF ont aussi utilisé des solutions d’IA couplées à des caméras de vidéosurveillance.
Sur le site de La Quadrature du Net, retrouvez deux dossiers inédits : l’un sur la notation généralisée des allocataires (le dossier de l’association de défense des libertés numériques), l’autre sur l’utilisation de l’IA par les salariés de France Travail.
Et pour en savoir plus sur l’utilisation de l’IA dans la vidéoprotection en France en 2024 et 2025, rendez-vous sur le site du ministère de l’Intérieur qui met à disposition du grand public un dossier complet sur le sujet.
5. Comment reconnaître des productions générées par l’IA ?
Il n’existe pas de label officiel pour distinguer les contenus généré automatiquement des « œuvres de l’esprit ». Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) estime qu’environ 10 % des morceaux diffusées sur les plateformes musicales sont générées automatiquement. Selon la Ligue des auteurs professionnels, une proportion importante de livres vendus en ligne seraient également générés par des IA – principalement des livres pour enfants et des guides de développement personnel.
Pour approfondir cette nouvelle question de société, le Communiqué de l’intersyndicale des artistes-auteurs, daté du 10 février 2025, vous apportera un éclairage, tout comme l’argumentaire « Pour une régulation des IA », signé par Ligue des auteurs professionnels. Et pour passer à l’action militante, pourquoi ne pas signer la pétition de l’association Les Voix en faveur des comédiens-doubleurs ?
6. Quelles sont les conséquences de l’IA sur l’emploi ?
Si les métiers de la création sont directement menacés, l’introduction de l’IA tend à dégrader les conditions de travail, comme le souligne le sociologue Antonio Casilli : accélération du rendement demandé, dépossession des savoir-faire, perte de sens, sentiment d’interchangeabilité des travailleurs… Celui-ci constate que l’IA va de pair avec la précarisation et la dérégulation, en prenant pour modèle l’économie des plate-formes. L’exemple des salariés de la société française Onclusive, licenciés au prétexte de l’IA, mais remplacés par des sous-traitants basés à Madagascar, montre le risque accru de délocalisation. Un rapport du Conseil économique et social souligne que l’implantation des systèmes d’IA « peut être source de déséquilibres profonds dans les processus de travail, les liens hiérarchiques et dans la relation légale et contractuelle de travail »
Sur ces conséquences dramatiques, on retiendra l’enquête de Solidaires Finances Publiques publiée en décembre 2024, mais aussi le rapport du CSE « Analyse des controverses intelligence artificielle, travail et emploi » daté de janvier 2025, et le cas d’école Onclusive.
7. Quel impact sur l’environnement ?
Le développement de l’IA générative accroît la pollution et les déchets générés par l’industrie du numérique. L’exploitation des ressources se trouve décuplée, à commencer par celle des minerais extraits dans des conditions barbares en République démocratique du Congo. Les datacenters qui font tourner l’IA consomment, eux, de grandes quantités de terrains, d’électricité et d’eau potable, au détriment des besoins des populations locales.
À lire sur notre site, notre interview exclusive de Guillaume Pitron, auteur de L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un Like (éd. Les liens qui libèrent) et celle de Fabien Lebrun, auteur de Barbarie numérique (éd. L’Echappée), sur les crimes liés à l’industrie minière. Sur le site de Radio France, vous trouverez une émission à réécouter sur le développement des data centers à Marseille.
8. Quels problèmes sociaux pose l’utilisation de l’IA ?
Le développement de l’IA bafoue les droits des millions de travailleurs qui réalisent le digital labor, maillons d’une chaîne de sous-traitance ou payés à la tâche via des plateformes (par exemple, Amazon Mechanical Turk). Faiblement rémunérés, empêchés de se syndiquer, ces travailleurs sont souvent exposés à des contenus violents traumatisants.
En exploitant sans autorisation des millions de données personnelles, l’IA remet aussi en question les droits d’auteurs et le respect de la vie privée. Par ailleurs, par ses biais de programmation, les IA renforcent les discriminations et la désinformation, souligne Amnesty international.
Une fois lus la Tribune du 6 février 2025, publiée dans Le Monde et signée notamment par la Ligue des Droits de l’Homme, et l’article « IA : les sept choses qu’on ne vous dit pas » d’Amnesty international, vous pourriez être fin prêts à intégrer la place de marché collaborative évolutive et à la demande Mechanical Turk d’Amazon… ou pas !
9. Quelle sont les régulations actuelles en matière d’IA ?
L’Artificial Intelligence Act (AI Act) adoptée dans sa version finale en 2024 par les États membres de l’UE est la première réglementation au monde sur l’intelligence artificielle. Il prévoit des évaluations de l’impact sur les droits fondamentaux, des recours en matière de plaintes et de réparations pour les personnes affectées, et interdit certaines utilisations de l’IA comme les logiciels de « notation sociale », privés ou publics, comme ceux utilisés par la Chine. Les premières mesures de l’Artificial Intelligence Act sont entrées en vigueur le 2 février 2025, les autres s’appliqueront sur une période allant jusqu’en 2027.
Pour Amnesty international, la question demeure… « Comment règlementer l’intelligence artificielle » ?
10. Quelles mobilisations de la société civile?
Si des ONG et des syndicats, d’artistes et d’auteurs, en particulier, s’opposent depuis plusieurs années à l’IA, une mobilisation intersectorielle a pris forme en parallèle du Sommet pour l’action pour l’Intelligence artificielle de 2025. Le Contre-sommet de l’IA, « Pour un humanisme de notre temps », qui s’est tenu, à Paris, le 10 février, lancé par le philosophe Éric Sadin et le Syndicat National des journalistes, a rassemblé environ mille personnes. Au même moment, a vu le jour la coalition Hiatus qui rassemble différents acteurs de la société civile, dont plusieurs syndicats importants.
Pour affiner votre avis sur le sujet : revivez les débats du contre-sommet de l’IA du 10 février 2025, et/ou plongez-vous dans la synthèse dessinée proposée par la bédéaste Camille Ulrich.
Pour aller plus loin
À explorer, les ressources de la Médiathèque des Activités Sociales : des films pour se plonger dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, des livres pour s’interroger concrètement sur ses applications, et des conférences pour réfléchir à ses enjeux.
Voir les ressources sur l’IA sur la Médiathèque
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