Un réveillon en montagne pour soutenir les migrants

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Au sommet du col de l’Échelle, lieu de passage des migrant.es traversant la frontière depuis l’Italie, des montagnard.es répondaient à l’appel du collectif SOS Alpes solidaires, le 31 décembre dernier. ©Joseph Marando/CCAS.

À l’appel du collectif SOS Alpes solidaires, près de 60 montagnard.es ont passé le réveillon sur le col de l’Échelle, dans les Hautes-Alpes. Leur but : alerter sur le sort funeste des migrant.es empruntant ce col à haut risque, en hiver et sans équipement.

Ils sont une quarantaine, un soir de Saint-Sylvestre. La petite cabane de berger, qui sert aussi de dépôt aux couvertures et aux chaussures à destination des migrants naufragés de la montagne, se remplit au gré des arrivées. Ici, trois bûches supplémentaires alimenteront la cuisinière ; là, c’est un fromage de plus, une bouteille de vin, de rhum ou de jus de fruit, tandis qu’une daube frémit sur le fourneau. C’est le nouvel an et on est aussi là pour le célébrer. Mais des maraudes dans la montagne seront organisées dès ce soir.

Après la « cordée solidaire » qui a réuni 300 montagnards le 17 décembre dernier à Névache (Hautes-Alpes), afin d’alerter sur la situation des migrants qui empruntent les voies alpines de passage de l’Italie à la France au péril de leur vie, pas question pour les montagnards de laisser leur appel s’assoupir dans les agapes de la « trêve des confiseurs ». D’où l’idée, lancée par SOS Alpes solidaires, d’organiser un réveillon solidaire du nouvel an au sommet du col de l’Échelle, et de lancer une pétition adressée au Manu, « Les sommets de la honte ».

Ici, personne n’abandonne personne

Névache est un joli village de la vallée de la Clarée, à une vingtaine de kilomètres de Briançon dans les Hautes-Alpes, connue pour être l’exact contraire de celle de Serre Chevalier, sa voisine. Ici, c’est la nature qu’on vient admirer en été comme en hiver, verdoyante avec de beaux herbages aux beaux jours, blanche de neige à l’hiver. Tout semble calme et tranquille dans ces villages du massif frontalier. Brusquement hissée à la une des quotidiens et des journaux télévisés, la vallée de la Clarée est devenue en quelques mois, aux côtés de Calais ou de la Roya, l’épicentre de la crise migratoire qui secoue la France et l’Europe.


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Construction des igloos qui abriteront les montagnard.es pour la nuit. ©Joseph Marando/CCAS

Au sommet du col qui forme un plateau de près de deux kilomètres et redescend sur la frontière italienne, à six kilomètres, on prend très vite la dimension du risque : plus de 80 centimètres de neige, une température de -7 °C en ce début d’après-midi, des repères effacés. Le froid va s’intensifier. La moindre suée sous le coton ne s’évapore pas, mais givrera sur la peau. Pour peu que le vent se lève, c’est l’hypothermie assurée en moins de temps qu’il n’en faut pour ressentir les premiers engourdissements. Pieds gelés, voire amputations sont le lot presque quotidien de l’hôpital de Briançon, situé à vingt kilomètres, et des habitants de Névache et de la Clarée qui recueillent les jeunes migrants les plus mal en point.

On redoute ici la découverte, au dégel, de corps enfouis sous la neige. Alors, depuis trois mois, les « maraudes » s’organisent dans la Clarée pour sauver des vies, au nom des valeurs et d’un code montagnards qui veulent, à l’instar du code maritime, que sur ces sommets personne n’abandonne personne. Et ces montagnards paisibles ne s’attendaient guère à devoir passer des jours et surtout des nuits à porter assistance à de jeunes migrants, abandonnés sur les routes et les chemins enneigés des cols de l’Échelle ou de Montgenèvre, sans un minimum d’équipement, en baskets et ignorant tout des réalités de la montagne.

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Au sommet du col, les températures peuvent descendre jusqu’à -20 °C. ©Joseph Marando/CCAS

« Délit de solidarité » pour la police

Pour les forces de police, le sauvetage de ces « évadés » a fait des montagnards des passeurs susceptibles de poursuites pénales, et des migrants, fussent-ils mineurs, des illégaux, qu’on n’hésitera pas à reconduire, de nuit, après quelques heures passées au poste, à la frontière, en pleine nature. Bref, le désordre règne ; des vies sont en jeu. Au mois de novembre dernier un reportage de Raphaël Krafft sur France Culture a mis un coup de projecteur sur ce qui se passe ici. Invité de l’émission, l’avocat de la Ligue des droits de l’homme, François Sureau, y dénonce le « bricolage juridique » sur lequel s’appuient les consignes données aux forces de l’ordre pour la reconduite à la frontière, sans examen de chacune des situations, et qui, selon lui, « violent tout à la fois les conventions internationales de l’asile, notamment l’asile des mineurs, et la Constitution française ».

Habitants, bénévoles, professionnels de la montagne, élus locaux pallient donc, de fait, et depuis des mois, les carences de l’État.

« Il y a urgence, affirme Yann Borgnet, aspirant guide en haute montagne initiateur du projet et animateur du collectif Montagne debout. Il faut que l’État prenne ses responsabilités, accueille et mette à l’abri ces jeunes hommes et arrête de prendre les montagnards pour des criminels. » Le centre de vacances du Monêtier-les-Bains, a, quant à lui, signé une convention avec l’association Tous migrants de Briançon, qui recueille les migrants, convention selon laquelle le centre lui fait don de ces surplus alimentaires et de fourniture de literie réformée.


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Le refuge sert de dépôt de vêtements et de chaussures pour les personnes migrantes traversant le col sans équipement. ©Joseph Marando/CCAS.

Qui sont ces gens si accueillants et sympathiques, auprès desquels chacun prend comme naturellement sa place, dans sa tâche de l’heure comme dans la conversation ? Il y a Yves, ouvrier de Champigny, arrivée dans le Queyras dans les années 1970, « un peu comme un migrant, ironise-t-il, et où on m’a immédiatement, et sans une question, adopté. J’y ai été bûcheron, maçon et aussi élu local dans ma commune et au parc naturel national ». Il y a Anna, qui se souvient de ses grands-parents déportés pendant la Seconde Guerre mondiale : « Il faut être là, c’est un devoir », affirme-t-elle. Il y a aussi Philippe, jeune ingénieur parisien de l’équipement, un cordiste, une prof italienne, des guides et accompagnateurs de montagne. Des jeunes, des moins jeunes. Et enfin Michel, chercheur au CNRS à Grenoble, qui nous confie : « J’ai découvert la montagne lors de colos de la ccas, mon père et mon oncle était agents en Alsace. »

« Ne pas accueillir tous les migrants… mais chacun »

La nuit descend. La cabane éclairée au pétrole se remplit peu à peu. À trente dans 16 m2, les liens se resserrent… Des maraudes seront organisées ce soir. Maintenant on débite un sapin mort, pour le feu qui saluera le passage à la nouvelle année. Le vent se lève qui soulève des nuages de neige. À l’astreinte solidaire, répond celle, plus à l’ouest, des agents de l’énergie qui s’apprêtent à réparer les dégâts sur les lignes. La lune, spectaculaire, a débouché du massif et baigne de sa lumière le plateau, la cabane et le chemin, sous les sapins, du retour vers la vallée.

Dans une chronique, François Sureau affirmait récemment : « Mais il existe un État, et nous avons à exiger de lui non l’accumulation des normes, non la fabrication des procédures, non la gestion technocratique du monde, mais la promotion, dans l’esprit de ses serviteurs, des vertus qui nous constituent en tant que nation. » Ce n’est cependant pas à l’avocat que nous confierons la conclusion de cet article, mais à la boulangère d’un village, dont les propos ont été rapportés sur les réseaux sociaux. À une cliente qui lui déclarait : « On ne peut pas accueillir tous ces migrants ! », elle fit cette réponse : « Non, pas tous. Chacun. » Belle année solidaire.

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