Deux ans après un grand mouvement social portant sur l’égalité des droits avec les autres départements français, Mayotte est de nouveau secouée par une grève générale. Cette fois, c’est la violence et l’insécurité qui exaspèrent la population. Rencontre avec Salim Nahouda, délégué syndical à Électricité de Mayotte.
Mardi 27 février, une journée « île morte » a été décrétée par les organisations syndicales et citoyennes mahoraises. Pourquoi cette grève générale ?
Ce sont les organisations syndicales de Mayotte qui ont lancé le mouvement il y a déjà plus d’un mois pour protester contre l’insécurité dans les établissements scolaires et demander l’intervention des pouvoirs publics. Cela fait plusieurs semaines que notre système éducatif est au point mort.
Qu’est-ce qui a changé depuis les grandes grèves d’avril 2016 ?
Les choses ont empiré. La violence s’est installée à tous les niveaux, jusque dans les entreprises. À Électricité de Mayotte, située dans une zone sensible, des mesures de protection ont été prises, mais les salariés sont menacés quand ils se rendent au travail ou quand ils rentrent chez eux. Il y a des jeunes qui font la loi. Même s’ils sont arrêtés, on les relâche le lendemain, parce qu’à Mayotte nous n’avons pas les structures suffisantes, notamment pénitentiaires, pour les accueillir. Certaines personnes se font passer pour des agents d’Électricité de Mayotte et leur demandent de l’argent en les menaçant de leur couper le courant.
L’insécurité est-elle devenue le problème numéro un à Mayotte ?
Tant qu’on aura ce niveau d’insécurité, on ne pourra rien construire. On ne pourra pas parler de tourisme, ni de développement économique, ni de création d’entreprises.
La journée « île morte » du 27 février coïncidait avec la clôture des Assises des outre-mer lancées l’an dernier par le gouvernement. À quoi ont servi ces Assises ?
À chaque nouveau président de la République, c’est la même chose : on consulte, on concerte, on prend des engagements… Avec Sarkozy, c’était les États généraux, avec Hollande, les Conférences économiques et sociales. Avec Macron, c’est les Assises des outre-mer. Mais ils ne vont jamais au bout de leurs engagements. En 2009, avec les États généraux, il était question de mettre en place le code du travail à Mayotte. Il a fallu attendre 2018 pour que cela devienne réalité. Autre sujet important : favoriser les productions locales pour réduire notre dépendance envers l’extérieur. Or aujourd’hui, on importe de plus en plus de produits. Même chose concernant l’accompagnement des jeunes à la création d’entreprise : on constate plus de fermetures d’entreprises que de créations.
De quoi la violence et l’insécurité sont-elles le symptôme ?
C’est le résultat d’une immigration [des îles voisines des Comores, ndlr] qui n’est pas maîtrisée, avec des structures d’accompagnement de la jeunesse inadaptées. En particulier, il n’y a pas assez de places dans les prisons. On laisse de plus en plus de personnes dangereuses dans la rue. Il y a aussi des carences dans l’éducation et le suivi de certains enfants qui sont abandonnés à eux-mêmes.
Mayotte est aussi le département français qui a le plus fort taux de chômage (26%)…
En réalité, on est même autour de 40-45 % car beaucoup de gens ne s’inscrivent pas à Pôle emploi. L’emploi informel est aussi très développé chez nous.
Quel message souhaitez-vous lancer au gouvernement ?
La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, est intervenue sur la radio Mayotte 1ère en annonçant des mesurettes que nous – organisations syndicales et Collectif des citoyens de Mayotte – avons refusées car elles ne sont pas à la hauteur des besoins actuels. Nous voulons rencontrer la ministre ou plutôt les ministres, car c’est l’intégrité de Mayotte et son développement qui sont menacés.
Des engagements avaient pourtant été pris par le gouvernement Valls il y a deux ans.
Oui, mais aujourd’hui, à peine 10 % des mesures annoncées ont été appliquées.
Cette grève générale peut-elle durer encore longtemps?
Elle ne s’arrêtera pas tant que le gouvernement n’aura pas pris de mesures concrètes pour endiguer la violence à Mayotte.
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