Après l’inoubliable mois d’août 1936, le premier des congés payés, la reprise du travail à la rentrée de septembre se fait dans un climat tendu. L’euphorie du printemps est bien loin. Tous les sympathisants du Front populaire le sentent : l’automne sera difficile. C’est le neuvième épisode de notre chronique de 1936.
La situation économique semble s’améliorer. « La crise économique est atteinte dans sa racine », annonce le ministre des Finances, Vincent Auriol, confiant dans la politique de redistribution des richesses menée par le gouvernement de gauche. La reprise reste cependant fragile. La limitation de la semaine de travail à 40 heures a permis de créer plus de 100 000 emplois (dont un tiers dans les chemins de fer) : un beau résultat en à peine trois mois au pouvoir mais qui reste insuffisant pour réduire massivement le nombre de chômeurs, de l’ordre de 550 000. L’augmentation du salaire horaire de 20% a redonné du pouvoir d’achat aux travailleurs et relancé la consommation, mais ce gain est vite grignoté par l’inflation. Dès les premiers jours de septembre, des mouvements de grève contre la vie chère débutent dans les usines, plus durs et plus revendicatifs qu’au printemps.
C’est dans ce contexte tendu que le président du Conseil, Léon Blum, lance la rentrée politique en prononçant le dimanche 6 septembre un long discours à Luna-Park devant quelque 80 000 militants. Curieusement, il n’évoque pas la situation sociale, et consacre la totalité de son discours à défendre sa politique de non-intervention dans la guerre civile espagnole, politique élaborée durant l’été. « Je ne crois pas, je n’admettrai jamais que la guerre soit inévitable et fatale. Jusqu’à la dernière limite de mon pouvoir et jusqu’au dernier souffle de ma vie s’il le faut, je ferai tout pour la détourner de ce pays – vous m’entendez bien, tout pour écarter le risque prochain, présent de la guerre… La guerre est possible quand on l’admet comme possible ; fatale quand on la proclame fatale. Et moi, je me refuse à désespérer de la paix et de l’action de la nation française pour la pacification », lance le leader socialiste.
Discours pacifiste… et crédits pour l’armée
En apparence, Blum fait donc le choix du pacifisme. Mais, dès le lendemain, son ministre de la Défense, Edouard Daladier, fait voter à la Chambre un programme de réarmement massif : 21 milliards de francs de crédits sont votés pour les armées (soit une progression de 50%), dont un tiers pour l’aviation qui sera dotée sous trois ans de 1500 nouveaux appareils. Il est vrai que l’armée de l’air française est alors en piteux état. Quand bien même le gouvernement du Front populaire aurait voulu aider l’Espagne républicaine, il n’aurait pu lui fournir que des avions obsolètes.
Cette politique de réarmement, justifiée par les menaces italienne et allemande, sera poursuivie jusqu’en 1940 par la Chambre élue en 1936. Mais elle contribuera aussi à freiner les ambitions sociales du Front populaire. Le budget 1937, plombé par la progression des dépenses militaires, accuse un déficit de 55 milliards d’euros. Léon Blum choisit alors de reporter à plus tard des mesures sociales prévues dans son programme de gouvernement, comme la création d’un fonds national d’indemnisation des chômeurs ou d’une caisse d’assurance des agriculteurs contre les calamités agricoles. Comme le dit l’historien Robert Frank, professeur émérite à l’université Paris I, le choix du réarmement « a désarmé le Front populaire » dans son ambition d’une transformation sociale radicale.
Chronique de l’année 1936Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements. |