Quand les radios libres étaient sous haute surveillance

Quand les radios libres étaient sous haute surveillance | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 75574 Jeanne Puchol

Jeanne Puchol interviendra cet été dans les centres de vacances de la CCAS sur son métier de dessinatrice de bande dessinée. ©Bertrand de Camaret/ CCAS

Dans « Interférences », son trait réaliste accompagne fort justement le propos de Laurent Galandon. Avec nostalgie, la dessinatrice Jeanne Puchol évoque la fin des années 1970 et la naissance des radios pirates et des radios libres. Une auteure et une BD à découvrir cet été dans vos centres de vacances.

Bio express. Diplômée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris, Jeanne Puchol publie sa première bande dessinée, « Ringard », en 1983 aux éditions Futuropolis. Illustratrice et autrice, elle a son actif plus d’une trentaine d’albums. Dans le monde très masculin de la BD, elle s’attache à proposer une autre vision de la femme, dénonçant une représentation sexiste et dégradante du deuxième sexe.

L’histoire. À travers l’exemple de Radio Nomade, « Interférences » raconte la genèse des radios libres qui, soufflant un vent de liberté et de rébellion, ont semé la panique au sein du pouvoir giscardien. Si le besoin de libérer la parole s’est dressé contre un régime étouffant, la libéralisation des petites ondes, fin des années 1980, a favorisé la concurrence à outrance des radios.



« Interférences » raconte la naissance des premières radios FM pirates. Que symbolisaient-elles ?

C’étaient des jeunes qui bricolaient les émetteurs, les antennes, et émettaient clandestinement, depuis leur chambre, à peine quelques heures. La portée radiophonique ne dépassait souvent pas le quartier. Mais les radios libristes donnaient à entendre – c’était inédit – des gens à qui d’ordinaire on ne donnait pas ou peu la parole, qui ne s’exprimaient jamais : les ouvriers, les gens dans la rue… Elles ont ainsi contribué à faire connaître les différents mouvements sociaux en donnant la parole aux ouvriers grévistes par exemple.

En cela, les radios pirates représentaient une forme de militantisme et de subversion. Elles constituaient donc un réel danger pour le pouvoir en place. De plus, face à l’ORTF [Office de radiodiffusion télévision française, ndlr] sous la coupe du ministère de l’Information, elles revendiquaient une volonté antiautoritaire.

C’est pourquoi, on le voit dans la BD, elles subissaient une répression excessive. Ce qui m’avait d’ailleurs surprise en lisant le scénario de Laurent Galandon. Mais, à l’époque, j’étudiais à l’École nationale des Arts déco de Paris et je suis totalement passée à côté du phénomène.

Quelle relation entretenez-vous avec la radio ?

Maintenant, je l’écoute volontiers, surtout RFI qui traite de sujets géopolitiques, pour avoir des infos sur le monde. J’écoute aussi quelques radios musicales. C’est en fonction de mon état de concentration du moment. Lorsque mon premier album « Ringard ! » est sorti en 1983, Radio Fréquence Gaie fut la première à m’interviewer. C’est une expérience étonnante à faire pour ses débuts d’autrice ! En plus, j’avais l’âge des protagonistes de l’époque.

À travers « Interférences », on découvre la fin des années 1970, une société giscardienne très bridée, avec l’impression que 1968 a été bien vite enterré…

Les mentalités évoluent lentement. Avec 1968 s’était ouverte une brèche qui a fait trembler le pouvoir, même si politiquement la flamme révolutionnaire a échoué. Il faut se souvenir qu’il y a eu des mouvements très forts tels que la lutte des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire ou la lutte des Lip, où, pour la première fois, des ouvriers se sont emparés de leur outil de production pour gérer eux-mêmes leur entreprise. Très vite les radios libres sont donc apparues au gouvernement giscardien comme dangereuses. Les radios représentaient encore un pré carré qu’il fallait conserver. Il craignait que 68 ne renaisse de ses cendres, c’est pourquoi, du reste, il a lâché du lest avec la loi sur l’IVG.

Finalement cela n’a pas beaucoup évolué, malgré une liberté de la presse et de la radio décrétée, les radios et les télés sont aux mains de grands groupes capitalistes qui phagocytent l’information…

Comme quoi rien n’est jamais acquis. C’est le double effet de la libération des ondes qui, si elle a apporté de l’air, a aussi facilité la privatisation et une concurrence débridée. Mitterrand, en autorisant les radios libres – c’était une promesse de campagne en 1981 –, a contribué à les faire disparaître. C’est étonnant et paradoxal !

Effectivement, très vite elles n’ont plus rien eu à voir avec l’esprit originel des radios pirates. Seules Radio Aligre et Radio Libertaire, qu’il m’arrive aussi d’écouter, ont conservé leur indépendance du début. Mais on assiste à une forme de résurgence avec l’apparition sur Internet de centaines de radios locales qui développent une approche collaborative et associative. C’est une nouvelle conception qui se rapproche de l’esprit des radios pirates.

Et vous-même, quel souvenir gardez-vous de cette époque ?

Je garde un très bon souvenir des années 1970. Il y avait une effervescence extraordinaire, un mouvement de fond qui interrogeait la société et remettait tout en question. Avec le MLF (Mouvement de libération des femmes), les femmes de tous horizons socioculturels prenaient leur destin en main ; c’était une forme de subversion. Des choses avançaient.

À l’école avait été institué le temps libre, 10 % du temps d’apprentissage. Aujourd’hui, quand je regarde ce qu’est devenue l’école, j’ai envie de pleurer. Je me demande comment on en est arrivé là, comment on a pu laisser faire. Je regarde notre époque avec une forme d’incrédulité.

On dit de vous que vous êtes une autrice engagée. Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Je m’interroge sur le terme « engagée ». Je ne risque rien à publier ce que je publie. Certes, j’ai des préoccupations citoyennes, sociales et politiques. Mais rien à voir avec les réalisateurs américains qui, pendant la période du maccarthysme, ont subi une chasse aux sorcières et refusé de se soumettre. Je n’utilise pas mes dessins pour servir une cause. En revanche, je ne ferais pas l’apologie d’une idée avec laquelle je ne suis pas en accord.

Et également féministe…

Certes, je fais partie du collectif des créatrices contre le sexisme. J’ai milité contre une représentation sexiste et dégradante des femmes dans la BD, qui s’est développée avec la libération sexuelle. Et aussi contre l’absence de femmes dessinatrices dans les palmarès de BD. Mais je crois que je suis plus féministe dans ma manière d’être et dans la vie de tous les jours qu’au travers de mes dessins.

D’où vous vient cette passion pour le dessin ?

C’est un héritage familial. Mon père adorait la BD, ce qui était rare à son époque. Du coup, il y en avait plein à la maison. C’était une lecture valorisée au même titre que celle d’un roman. Je lisais « Pif », « Pilote »… Nous n’étions pas encore dans une société de l’image. J’attendais avec impatience ces images ; c’était la récré de la semaine !

Le dessin est un mode d’expression universel : tous les gosses dessinent, et sont intéressés par la représentation de ce qu’ils voient ; mais en grandissant peu continuent. Je crois peu au don. Même si mon grand-père était sculpteur : si tant est qu’il y ait eu transmission, le don est une notion qui mérite d’être interrogée. La question est : qu’est-ce qu’on en fait ? On peut avoir des facilités, mais il faut les cultiver. Il faut beaucoup travailler, beaucoup pratiquer.

Quel est le plus grand danger pour un dessinateur, une dessinatrice ?

L’image fournit une information supplémentaire, qui n’est pas dans le scénario. Avec l’image, nous avons le pouvoir de nuancer, d’infléchir les propos. Le danger pour nous est d’esthétiser quelque chose qui ne devrait pas l’être. Comment éviter de rendre séduisant ou fascinant quelque chose qui ne peut pas l’être ?


Rencontres avec l’auteur

Quand les radios libres étaient sous haute surveillance | Journal des Activités Sociales de l'énergie | Interférences de Jeanne Puchol et Laurent Galandon« Interférences », de Jeanne Puchol et Laurent Galandon
Dargaud, 2018, 128 p., 18 €.

Cet été, Jeanne Puchol viendra parler de son métier de dessinatrice de BD du 26 au 30 août dans les centres de vacances de Rivière-sur-Tarn, Saint-Pierre-la-Mer, Camplong d’Aude, Saint-Cyprien et Matemale. Et retrouvez son album « Interférences » dans toutes les bibliothèques des centres de vacances !


Pendant vos vacances : cet été, 1200 rencontres culturelles vous attendent dans les centres de vacances et les colos de la CCAS

Programme complet à découvrir sur ccas.fr, rubrique Culture et Loisirs, et dans la brochure ci-dessous.

 Rencontres culturelles 2019

Rencontres culturelles 2019

 

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