Délivré par le ministère de l’Éducation nationale, le label « colo apprenante » subventionne les séjours valorisant les apprentissages utiles à la réussite scolaire, avec pour objectif de « réparer » les retards dus au confinement. Une initiative plutôt bien accueillie par les opérateurs de séjours jeunes, mais qui suscite aussi beaucoup de méfiance.
Développement durable et transition écologique, éducation artistique et culturelle, sports, sciences et innovations, langues étrangères : tel est le programme des « colos apprenantes » promises à 250 000 enfants et jeunes cet été, dans le cadre de l’opération « Vacances apprenantes » menée par le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.
Doté d’un budget de 200 millions d’euros, le dispositif des colos apprenantes, qui s’appuie sur les opérateurs associatifs ou privés de colos, subventionne le départ des enfants sélectionnés par les services sociaux régionaux. L’État finance 80 % du séjour, les collectivités locales, les 20 % restants.
Ouvertes à tous les jeunes, ces colos sont subventionnées pour « les jeunes des quartiers prioritaires de la ville en priorité mais aussi en zones rurales, issus de familles isolées, monoparentales ou en situation socio-économique difficile, enfants en situation de handicap, enfants de personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire, enfant ayant décroché de l’enseignement à distance faute d’équipement Internet ».
Une « valorisation de l’objectif de réussite de la rentrée scolaire »
Une condition pour obtenir ce label : la « présence significative et explicitée de temps de renforcement des apprentissages et valorisation de l’objectif de réussite de la rentrée scolaire pendant les séjours », indique un document de synthèse publié par le ministère en juin dernier.
Les opérateurs publics et privés de colonies de vacances, d’abord dubitatifs, ont fini par s’engager dans l’opération, y voyant à la fois la reconnaissance du rôle des colos et celle de la nécessité d’un effort de financement public à ce secteur trop longtemps délaissé. Près de 5 000 séjours sont ainsi à l’heure actuelle labellisés « apprenants ». Le dispositif suscite cependant le doute, voire l’inquiétude chez les professionnels de l’éducation.
Ainsi le 24 avril, quelques jours après l’annonce de l’opération estivale, des chercheurs, universitaires et animateurs de colos, parmi lesquels Philippe Meirieu, Jean Houssaye ou Catherine Dolto, ont exprimé la défiance que leur inspiraient ces colos apprenantes dans une tribune intitulée « Pour que vivent les colos », publiée sur le site de « Libération ».
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« Les colonies éducatives de Jean-Michel Blanquer ne peuvent et ne doivent donc en aucun cas détourner les colos de ce qu’elles sont : une autre forme d’apprentissage nécessaire dans le parcours des enfants, aussi nécessaire que l’école ou l’éducation parentale. Vouloir inventer, dans cette période de crise, une forme de séjour aux antipodes de l’histoire et tournant le dos aux idées fondatrices des colos, ce serait de l’abus de faiblesse, ce serait signer l’avis de décès d’un siècle et demi de pensées et d’actions sociales », affirment les signataires.
« Cela supposerait qu’on n’apprend rien en colonie de vacances »
Nous avons demandé à l’une des personnalités signataires de ce texte de nous en dire plus sur les motifs de leurs inquiétudes : la parole à Aude Kerivel, docteure en sociologie, chercheuse associée au laboratoire Violences, innovations, politiques, socialisations et sports de l’université de Rennes-Le Mans, et intervenante auprès des encadrants de colonies de vacances, notamment de la CCAS.
Pourquoi une telle réaction de méfiance à l’égard de ces « colos apprenantes » ?
Aude Kerivel – D’abord parce que cela supposerait qu’on n’apprend rien en colonie de vacances, ce qui n’est pas le cas. L’autonomie, la sociabilité, la découverte de soi et des autres, le repos physique et mental, sont justement des atouts pour affronter la rentrée scolaire.
Ensuite parce que la création d’un label « colos apprenantes » suppose la mise en place pendant les séjours de nouveaux contenus, et condamnent ainsi certaines petites structures, déjà fragilisées par l’organisation du protocole sanitaire de précaution contre le Covid-19, au profit de plus gros organisateurs de colos. Enfin, cela donne l’illusion qu’on pourrait rattraper en quelques jours, qui plus est pris sur les vacances, ce qui aurait été « perdu » pendant le confinement.
Ce label n’est-il pas cependant une occasion de contribuer à changer le regard porté sur les colonies de vacances ?
La colonie de vacances est un moment de vie en dehors de l’espace familial ou scolaire, proprement « extra-ordinaire » dans la vie des enfants ou des jeunes ados, dans un espace de confrontations, d’échange d’idées et de coopération, un temps qui est entièrement dédié à cette mission et durant lequel les jeunes ne sont pas que des récepteurs, mais sont encouragés à être, dès leur plus jeune âge, des contributeurs.
La tentation est forte que les colonies de vacances ou les séjours collectif de jeunes soient envisagés comme des lieux de « réalité augmentée » de l’activité scolaire, organisés autour d’activités « utiles » comme le séjour linguistique, scientifique ou toute autre activité socialement valorisée sur le marché de la réussite et de la distinction sociale. Tout ce qui peut augmenter les facteurs de réussite sont alors à rentabiliser. Or les familles sont déjà confrontées à ces injonctions de réussite scolaire, qui conditionnent la réussite sociale, et aux risques du déclassement social.
De fait, le plus souvent, les enfants et les jeunes préfèrent le séjour multiactivités, qui n’a d’autre objectif que le déploiement de la sociabilité, de la rencontre, de la découverte, dans la diversité des origines sociales et des parcours, et qui sont producteurs de savoirs différents, très utiles dans la vie, dans la construction individuelle.
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Voulez-vous dire que la visée pédagogique des colos est réelle, mais qu’elle est différente de celle de l’école ?
Les objectifs sont en effet différents. Historiquement, ils sont d’abord d’ordre sanitaire : sortir l’enfant des villes pour qu’il respire le « grand air ». Puis l’accent est mis sur la formation du futur citoyen.
C’est avec la création du ministère de la Jeunesse et des Sports, au moment du Front populaire en 1936, que l’État, entre autres obligations légales, exige que les séjours soient accompagnés d’un « projet pédagogique », et qu’il légitime par-là la capacité de l’éducation populaire à produire des apprentissages et des savoirs, des formes pédagogiques hors du champ scolaire, qui ne s’opposent pas à l’activité scolaire mais qui n’y sont pas pour autant réduits.
À ce titre, il est intéressant de noter que le ministère de la Jeunesse et des Sports, créé en 1936 et autonome dans le dispositif gouvernemental jusqu’en 2017, a été rattaché à celui de l’Éducation nationale, et que le portefeuille des sports, un temps géré par un ministère autonome, vient d’y être également rattaché, enterrant en quelque sorte la reconnaissance par l’État de l’éducation populaire.
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