« La Ligne », une fable politique dans un roman noir

Jean-Claude Tixier, auteur de La Ligne, sélectionné par la CCAS en 2024 pour intégrer ses bibliothèques, viendra parler de son roman durant l’été dans les villages vacances. ©Samuel Kirszenbaum

Dans son nouveau roman, Jean-Claude Tixier explore les mécanismes de l’aversion et du rejet de l’autre. L’auteur nous embarque au cœur d’une communauté où, sur fond de pouvoir, de secret, de vanité, la fragilité du vivre-ensemble ne tient qu’à une ligne… Prenant pour décor le milieu rural, il scrute une société prête à s’enflammer, se cloisonner dans ses convictions à défaut de s’ouvrir au débat. « La Ligne » a été choisie par la CCAS pour sa dotation lecture 2024.

L’histoire

Ce matin-là, au village, on ne parle que de ça. De la ligne blanche tracée dans la nuit et qui scinde les lieux en deux. Et du représentant de l’État arrivé sur place afin de surveiller le bon déroulement des choses… La ligne sépare (de manière illusoire) les terres. Passant de l’incompréhension à la colère, très vite les esprits vont s’échauffer, les langues se délier et les familles se déchirer, notamment les Polora et les Wasner, pour révéler leur côté le plus vil. Entre affrontements et coups bas, le village bascule dans l’irrationnel, sur fond de meurtre et de disparition.

« La Ligne », de Jean-Christophe Tixier, éditions Albin Michel, 2023, 352 p.

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Jean-Christophe Tixier : « Je ne voulais pas écrire un roman à suspense mais décortiquer la montée des populismes »

Quelle est la genèse de cette fable politique ?

Jean-Christophe Tixier – L’idée part d’un constat simple. Nous sommes dans une société de plus en plus binaire, dans laquelle il n’y a plus place pour le débat ni pour la discussion, et où il faut être partisan, se positionner très vite sur tel ou tel sujet, faute de quoi on est taxé soit de faible soit de marginal. Et bien souvent, une prise de position mais aussi la neutralité vous font basculer dans le camp de l’ennemi. En outre, puisqu’il n’y a plus ni nuances ni recul, cela génère des affrontements qui tournent à l’invective.

D’où la parabole de la ligne blanche dans votre livre ?

Le fait de tracer une simple ligne suffit à créer la partition. Je prends souvent l’exemple d’une chambre partagée par des enfants. Ceux-ci vont, assez naturellement d’ailleurs, s’entendre et se disputer au quotidien [dans cette chambre]. Mais, si on [y] trace une ligne et délimite l’espace de chacun, on va obligatoirement déclencher des conflits. Et faire ressurgir la question du territoire : la question de la place de chacun et de celle qu’il occupe.

C’est un peu le principe du « diviser pour mieux régner ».

Aujourd’hui, les politiques l’ont bien compris. En soumettant aux citoyens des sujets clivants, ils obligent chacun à se positionner et à basculer immédiatement dans le passionnel. La question des vaccins lors du Covid-19 est un bon exemple. Or, dans mon livre, le pouvoir, incarné par le représentant de l’État, se contente justement de tracer la ligne et d’attendre. Et ce n’est pas lui qui décide ensuite de monter les grillages… L’escalade vers la rupture, ce sont les villageois eux-mêmes qui la provoquent, et ce sont eux qui exigent la séparation. À l’instar d’un pouvoir qui met en place les germes, souffle sur les braises pour arriver à ses fins. C’est du populisme dans le sens où on utilise le peuple pour arriver à une illusion démocratique.

Dans ce roman noir, l’absence de nuances, le passionnel entraînent même, petit à petit, les personnages à commettre le pire…

Je ne voulais pas écrire un roman à suspense. Je voulais montrer et décortiquer la montée des populismes. Et, dans le village [du roman], ce sont effectivement les petites mesquineries de chacun, les ambitions personnelles, les aigreurs, les jalousies qui sont le terreau de comportements extrêmes. On est, dès le départ, dans la chronique d’un basculement annoncé.

Dans ce milieu rural jusqu’alors paisible, les habitants et deux familles en particulier vont se déchirer pour faire ressurgir de lourds secrets et faire voler en éclats le vivre-ensemble. Y a-t-il une morale à cette fable ?

Nous sommes effectivement dans une dimension peu flatteuse de l’être humain. Entre vanité et suprématie. Pour connaître un peu les territoires ruraux, le vivre-ensemble y est aussi difficile. Parfois des familles y sont installées depuis un temps historique et sont pourtant toujours considérées comme des étrangers. D’où la question : à quel moment fait-on partie d’une terre, d’un lieu ?

C’est au fil d’une étude détaillée, psychologique, sociologique… de chaque personnage que se construit l’histoire. Pour quelle raison avoir usé de ce style ?

Peut-être pour que le lecteur se croise avec ces personnages. Ce qui me plaît dans ces personnages, c’est leur complexité. Et nous avons tous en nous quelque chose que nous assumons moins. Une part d’ombre, nos contradictions internes, nos faiblesses. Comme nous, ces personnages sont humains. Et c’est bien ce qui fait le danger de tous les basculements de violence. Car, au départ, ça touche des gens « normaux ». Ensuite, on peut soulever une autre question, celle de l’autorité naturelle et légitime incarnée par le maire. On constate que, dès qu’elle n’est plus là, la porte est ouverte à toutes les expressions, à toutes les ambitions. Et le passionnel, l’irrationnel prennent le dessus sur la réflexion, sur l’intérêt général.

Parlons de votre goût pour l’écriture. Ancien professeur d’économie, vous avez écrit près de 30 romans jeunesse, 3 romans pour les adultes, des fictions radiophoniques pour France Inter et des scénarios de BD. Pourtant, vous avez été d’abord un écolier aux notes catastrophiques en français.

Je pense qu’il y a un problème avec le terme « écrire ». Selon moi, écrire, ce n’est pas faire des phrases mais c’est raconter quelque chose, le faire exister et le transmettre. L’utilisation de l’alphabet n’est qu’un code de transmission et non une fin en soi. Même si cela change, les enseignants sont formés à l’analyse de texte et non à l’écriture créative. Lorsque je fais des ateliers d’écriture avec des gamins, je leur dis que tout le monde a de l’imagination. Tout ce qu’il y a dans un roman, je l’ai vu dans mon imagination… certains jours. Je pense que, plus on vit les choses intérieurement, plus on les ressent et plus on va pouvoir les raconter. Ce que l’on vit dans sa tête a autant de force qu’un vrai souvenir. Et pour les gamins, écrire ne doit pas être une punition.

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Voir aussi : les rencontres culturelles de l’été