À Kaysersberg, valides et non-voyants à égalité le temps d’un week-end

Repas dans le noir. Fête des Papillons dédiée à la sensibilisation au handicap au centre CCAS de Kaysersberg, août 2023.

Raphaël, 8 ans, a relevé avec brio le défi du dîner dans le noir, organisé le 25 août dernier au village vacances de Kaysersberg (Alsace). ©Pierre Charriau/CCAS

Prendre son repas, disputer un match ou entamer une danse… Pas facile quand on a les yeux bandés. Une expérience mise à profit par les bénéficiaires en vacances à Kaysersberg pour partager le quotidien des personnes malvoyantes et non-voyantes. C’était en août dernier, lors de la fête des Papillons, dédiée à la sensibilisation au handicap.

Ne pas savoir ce qu’il y a dans son assiette. Toucher les aliments avec ses mains, les sentir. Tâtonner pour retrouver son couteau, sa fourchette. Avancer la main avec une prudence exagérée pour saisir son verre sans le renverser… Quand on est valide, manger sans rien voir est une expérience déconcertante.

Nous sommes une trentaine de bénéficiaires à être complètement perdus ce vendredi 25 août, au village vacances de Kaysersberg (Alsace). Trente convives qui n’avaient jamais autant ramé pendant un dîner. La faute à un simple morceau de tissu noir – un masque – qui nous cache la vue.

Manger et boire (et discuter) les yeux bandés, c’est le challenge du soir au village vacances de Kaysersberg. ©Pierre Charriau/CCAS

L’idée du repas de ce repas dans le noir est venue d’Herveline, une bénéficiaire dont le mari, Amandio, est non voyant. Ce dernier fait d’ailleurs partie des participants. Et curieusement, il semble beaucoup plus détendu que les autres. « Moi, je mange tous les jours dans le noir. J’ai l’habitude », explique le tout jeune retraité de GRT Gaz. Une fois n’est pas coutume, c’est lui, ce soir, qui se retrouve en situation d’aider ses voisins.

« J’ai essayé de donner quelques conseils. Par exemple, pour remplir le verre, « soit tu approches ton oreille pour écouter l’eau s’écouler, soit tu trempes le bout du doigt ». Et quand tu ne sais plus trop ce qu’il te reste dans l’assiette ? « Tu sauces avec du pain ! ». Le pain : excellent conseil. La nappe est tachée mais l’assiette, elle, est nickel !

« Créer un espace de parole et d’action » autour du handicap

Ce repas est proposé par l’équipe d’encadrement du village vacances de Kaysersberg dans le cadre de la troisième édition des « Journées de la solidarité ». Après Savines-le-Lac, qui a organisé ces journées en 2021 sur le thème de l’eau, et Tourves, en 2022, sur celui des réfugiés, c’est donc au tour de Kaysersberg d’offrir aux vacanciers un nouveau programme d’activités pendant deux jours, cette fois-ci autour du handicap.

Le Dr Frédéric Costa, médecin-conseil à la CCAS, discute avec les vacanciers sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap dans les villages vacances de la CCAS. ©Pierre Charriau/CCAS

Une thématique qui coule de source dans ce village vacances où l’on accueille toute l’année des bénéficiaires en situation de handicap, confirment Denise et Émilie, les deux animatrices culturelles à l’initiative de ces journées. « Notre objectif est de faire en sorte que les bénéficiaires s’emparent de cette thématique. Nous essayons de créer un espace de parole et d’action sur le vivre-ensemble », précise Émilie Mourgues.

« Le but, c’est que les personnes valides se mettent à la place des personnes handicapées », avance Baptiste Wolf. Ce salarié du Comité régional handisport Grand Est anime toute la journée des ateliers autour de quatre handisports : basket-fauteuil, tir à l’arc, torball et boccia (sorte de pétanque à laquelle peuvent jouer des personnes paraplégiques et tétraplégiques).

Les enfant ont découvert un drôle de sport consistant à marquer des buts avec une balle munie de grelots. Mais c’est le basket-fauteuil qui a eu le plus de succès. ©Pierre Charriau/CCAS



Amandio, champion de torball

Conçu pour les déficients visuels, le torball, aussi appelé goalball, peut aussi être pratiqué par des personnes valides portant un masque. Il consiste à lancer une balle à terre pour l’expédier dans le but adverse. À ce jeu-là, Amandio (celui qui mange plus vite que les autres dans le noir) est très fort. Face à lui, nous avons beau être deux à jouer les gardiens de but en plongeant à droite et à gauche, notre ligne de but ressemble plus à un gruyère qu’à une forteresse de munster.

Torball avec Amandio Da Cruz, bénéficiaire non-voyant, ancien champion de ce handisport. Fête des Papillons dédiée à la sensibilisation au handicap au centre CCAS de Kaysersberg, août 2023.

Torball avec Amandio Da Cruz, bénéficiaire non-voyant, ancien champion de France de ce handisport. ©Pierre Charriau/CCAS

Le torball exige non seulement de la souplesse et des réflexes mais aussi une grande acuité auditive et beaucoup de concentration. En l’absence de repères visuels, c’est le bruit de la balle (munie de grelots) qu’il faut arriver à suivre. Après la partie, Amandio me confiera qu’il a été champion de France de torball en 1983… Tout s’explique.

Le torball n’est pas la seule activité sportive pratiquée par Amandio. En plus d’une longue marche matinale quotidienne avec sa chienne Osmose, Amandio nage, fait des randonnées en raquettes, du bateau. « En juin dernier, tous les jours et pendant deux semaines, j’ai fait du catamaran à Marinca [au village vacances CCAS, ndlr], annonce-t-il fièrement. Dès l’instant que c’est accessible, on peut tout faire, il n’y a pas de limite ! »

Danser les yeux bandés

Le problème, c’est l’accessibilité et le regard des autres. « La différence fait peur et le handicap fait doublement peur. Si Amandio est tout seul, les gens ne viennent pas vers lui », témoigne son épouse, Herveline. Expérimenter le handicap, même de manière temporaire, c’est faire la moitié du chemin vers l’autre. Avez-vous déjà tenté quelques pas de danse avec un bandeau sur les yeux ? C’est assez déroutant. Faire cinq pas en courant sans savoir où se trouvent les murs, sauter à la verticale sans connaître la hauteur du plafond… entre l’accueil du village vacances et le point rencontre, l’artiste et chorégraphe Maud Grasmuck met à l’épreuve nos peurs et nos vulnérabilités.

Jeux autour de la privation d'un sens. Fête des Papillons dédiée à la sensibilisation au handicap au centre CCAS de Kaysersberg, août 2023.

Les yeux masqués, Emy, 10 ans, tente de réaliser le plus vite possible une bonne dizaine de figures que Raphaël lui décrit. ©Pierre Charriau/CCAS

Prendre en compte le handicap d’une personne malvoyante ou non voyante, c’est aussi pouvoir lui raconter ce que ses yeux ne voient pas. Lors d’une visite touristique, par exemple. Nous voilà donc partis vers le charmant village de Kaysersberg, élu village préféré des Français en 2017, accompagnés de la guide-conférencière Aurore Schweitzer.

Visite guidée de Kaysersberg. Fête des Papillons dédiée à la sensibilisation au handicap au centre CCAS de Kaysersberg, août 2023.

Comment aider un non-voyant à découvrir les charmes d’un village alsacien ? Travaux pratiques à Kaysersberg avec la guide-conférencière Aurore Schweitzer. ©Pierre Charriau/CCAS

À chaque halte, elle nous apprend à décrire les façades des pittoresques bâtisses que nous croisons : l’ancienne maison des corporations, l’ancien lavoir, l’église Sainte-Croix… « Il faut partir du général pour aller vers les détails et donner le plus de précisions possible », recommande-t-elle, de façon à ce que la personne puisse se créer une image mentale proche de la réalité. Amandio boit les paroles de notre guide. J’imagine toutes les images qui se succèdent dans sa tête.

Les enfants, infatigables acteurs des Journées de la solidarité

Le soir, je me retrouve aux côtés d’Amandio pendant le concert de clôture des Journées de la solidarité. Spontanément, je me mets à commenter ce qui se passe sur la scène en me penchant vers mon voisin. « Il y a un homme qui danse torse nu devant les joueurs de djembé […]. Là, tous les danseurs et danseuses sont sur la scène. » La soirée se termine. Je ne sais pas si mes commentaires glissés à l’oreille d’Amandio ont été utiles, mais il a apprécié le spectacle et aurait même aimé que cela dure plus longtemps.

Emy a passé des heures avec son nouvel ami Stuart, un chien guide incroyablement placide. Romane, 12 ans, a « adoré » ce week-end et toutes les activités proposées. ©Pierre Charriau/CCAS

Il y en a d’autres qui étaient prêtes à prolonger le week-end. Romane, 12 ans, a « adoré toutes les activités » partagées avec les personnes en situation de handicap. « Ça prouve qu’elles peuvent faire plein de choses ! », se réjouit-elle. Emy, 10 ans, a, elle aussi, participé à plusieurs ateliers. Elle a surtout passé des heures avec Stuart, un des chiens guides d’aveugles et malvoyants présents dans le village vacances grâce aux bénévoles de l’association Chiens guides de l’Est. Pas de doute, en termes d’implication, la relève est assurée !

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