Fessenheim en quête de reconversion

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Fermée en juin 2020, la centrale nucléaire de Fessenheim était à l’origine de 1 245 emplois directs et de 800 emplois indirects, générés par l’activité économique des salariés de la centrale. ©Eric Dexheimer/Signatures

Le 29 juin 2020, le second réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim était définitivement arrêté. Promesse de campagne du candidat François Hollande en 2011, cette décision de fermer la plus vieille centrale française encore en service a d’abord été retardée, puis mise en œuvre sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Le débat autour de ce choix politique a été vif et les arguments sont connus. Pour les antinucléaires, la sortie de cette filière est impérative, notamment pour raisons de sécurité, et la centrale de Fessenheim, située en zone sismique et inondable, devait être fermée prioritairement.

Pour ses défenseurs, comme Jean-Marc Jancovici, professeur à Mines ParisTech et membre du Haut Conseil pour le climat, le nucléaire est « une modalité de production de l’électricité qui est, sur à peu près tous les critères factuels, plus respectueuse que toutes les autres modalités concurrentes » : « la fermeture de Fessenheim va probablement nous obliger à garder plus longtemps nos centrales à charbon » déclarait-il à « Marianne ». Reste que les dirigeants de l’État français ont choisi la fermeture du site alsacien. La phase de démantèlement va donc s’ouvrir, sur une période de quinze à vingt-cinq ans.

En 2018, 850 agents EDF et 344 prestataires permanents y travaillaient chaque jour. À ces emplois directs s’ajoutaient environ 500 emplois induits (commerces de proximité, services…). En 2024, la centrale ne devrait plus employer que 60 agents EDF et une centaine de sous-traitants. Pour le territoire, la reconversion est donc une problématique essentielle et complexe… mais qui est loin d’avoir été anticipée.


Voir aussi
Fessenheim : au coeur de l’humain (janvier 2017)
En 2015, le photographe Éric Dexheimer a partagé la vie quotidienne des travailleurs et des travailleuses de la centrale.


À la recherche d’un « après-nucléaire »

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Le bâtiment du réacteur n°2, exposition « Travailler à Fessenheim », mai-juillet 2015. ©Éric Dexheimer/Signatures

Indemnisé par l’État à hauteur de 4,4 milliards d’euros, EDF réaffectera ses agents sur d’autres sites en France. L’entreprise publique étudie également l’implantation d’une unité de valorisation de métaux irradiés, qui emploierait environ 150 personnes, sans que sa localisation à Fessenheim soit encore garantie.

Pour la sous-traitance locale, l’avenir est plus inquiétant, de même que pour les communes. Dans une étude commandée par l’État et la Région Grand Est, réalisée de juillet 2018 à juillet 2019 (soit moins d’un an avant l’arrêt complet du site…), on annonce un manque à gagner pour les commerces de proximité estimé entre 4,6 et 6,4 millions d’euros, et, du côté des services publics, la fermeture de 4 à 6 classes d’écoles. Les élus locaux sont donc à la recherche d’un « après nucléaire ».

Le 1er février 2019, ils signaient avec des collectivités allemandes, l’État et des acteurs économiques un projet intitulé « Notre ambition commune pour le territoire de Fessenheim ». Les principaux axes de ce projet sont très classiques : attirer les entreprises innovantes, développer les énergies renouvelables, soutenir le tourisme, favoriser la mobilité… Des pistes de développement communes à la plupart des territoires français périphériques, qui se trouvent de fait en concurrence sur les mêmes ambitions.

De l’énergie fossile en prime

Hasard du calendrier, la suppression des 1,8 GW de Fessenheim coïncide avec l’ouverture de la centrale au charbon de Datteln, en Allemagne, d’une puissance de 1,1 GW. À l’échelle de la France, pourtant, ce n’est pas le charbon allemand qui viendra remplacer la production nucléaire.

Selon RTE, l’arrêt de Fessenheim devra être compensé par la prolongation de la centrale de Cordemais (Loire-Atlantique), actuellement au charbon et qui pourrait se convertir à la biomasse, par des importations italiennes et britanniques (des pays dont le mix énergétique est plus carboné que celui de la France) et par une nouvelle centrale gaz à Landivisiau (Finistère), dont la mise en service est prévue pour 2021.

On substitue donc à Fessenheim des énergies fossiles et une part de production privée, Landivisiau appartenant à Total Direct Énergie. À l’échelle du réseau européen, la déconnexion de la centrale alsacienne augmente mécaniquement la part des énergies fossiles et donc celle du charbon.

Entre « territoire à statut spécifique » et « zone franche »

Pour soutenir le développement territorial, une société d’économie mixte (SEM) binationale est en construction. D’abord annoncée pour l’été 2019, elle est actuellement promise pour la fin de l’année 2020. Son objectif prioritaire est de porter des acquisitions foncières et des aménagements afin d’offrir des conditions d’accueil idéales aux entreprises privées.

En projet, notamment, la construction sur 90 hectares d’une zone d’activité baptisée EcoRhéna. Confrontés à une saturation des capacités d’accueil en Bade-Wurtemberg, les dirigeants d’entreprises allemandes se disent intéressés… mais pas à n’importe quelles conditions : ils réclament autour de Fessenheim la création d’un territoire « à statut spécifique » pour bénéficier d’avantages réglementaires et fiscaux. Le maire (sans étiquette) de Fessenheim, Claude Brender, n’hésite pas à demander une véritable « zone franche ».

Publié en janvier 2020, le premier bilan d’activité annuel du projet de territoire montre très peu d’avancées. « C’est quelque chose qu’on aurait dû commencer il y a cinq ou dix ans pour être prêts aujourd’hui », estime Jean Rottner, président (LR) de la Région Grand Est.

Du côté des élus nationaux, une mission d’information de l’Assemblée nationale relative au suivi de la fermeture de la centrale a été constituée… en février 2020, soit au moment même de l’arrêt du premier réacteur. Pour son président, le député LR Raphaël Schellenberger, le gouvernement serait « indifférent » à la reconversion de Fessenheim. Selon ses dires, le préfet du Haut-Rhin considère que le territoire ne porte « pas assez de projets innovants ». Un territoire qui doit maintenant passer d’un schéma de développement centré sur une entreprise et un service publics à un autre, qui s’appuiera sur la concurrence et le marché.

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