La « pause » qui préludera à la chute

La "pause" qui préludera à la chute | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 1936 blum dormoy

Léon Blum et Marx Dormoy lors de la séance parlementaire extraordinaire pour le vote des pleins pouvoirs à Pétain. ©Coll. Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne)/fonds photographique de presse du Matin

Le 24 février 1937, Léon Blum annonce « une pause » dans les réformes sociales conduites par son gouvernement. Face à la menace nazie, le Front populaire investira désormais l’argent des « grands travaux » dans l’armement militaire, signant sa propre chute. Il aura duré moins de treize mois. C’est le dernier épisode de notre chronique de 1936.

C’est aujourd’hui évident, mais lui-même ne le sait pas encore. Quand il prononce le 24 février 1937 devant la Chambre des députés son discours annonçant « une pause dans les réformes », Léon Blum enterre le Front populaire et ses espoirs. La majorité parlementaire, nettement à gauche, n’a pas changé mais son volontarisme politique s’est brisé contre le « mur d’argent » que fustigeait déjà le radical Édouard Herriot dans les années 1920. C’est cette même majorité – privée des 60 députés déchus de leur mandat du Parti communiste français, interdit en septembre 1939 suite au pacte germano-soviétique – qui votera, le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Les caisses de l’État sont vides

Le discours sur la pause des réformes de Blum n’est pas une surprise. Quelques jours auparavant, il avait annoncé à la radio l’ajournement des projets de création d’un fonds de retraite pour les fonctionnaires et d’augmentation des allocations chômage ainsi que la réduction du plan de grands travaux annoncé à l’été 1936. L’heure n’est plus au social, car les caisses de l’État sont vides. Ou plutôt vidées par la politique de réarmement massif qu’a initiée le Front populaire pour faire face à la menace nazie.

En 1941, le régime de Vichy traduira en justice les principaux dirigeants du Front populaire, dont Léon Blum, les accusant d’être responsables de la défaite française de 1940. Très répandue dans les milieux de droite d’alors, et parfois encore d’aujourd’hui, l’idée que le Front populaire serait la cause de l’effondrement militaire face au nazisme est totalement fausse. Bien au contraire, le gouvernement de Léon Blum a pris la pleine mesure de l’aggravation des tensions internationales dès les premiers mois de la guerre d’Espagne, comprenant bien qu’elle était la répétition générale d’une guerre européenne que tout annonçait.

Lire aussi : La guerre d’Espagne, prélude au deuxième conflit mondial

L’état-major chiffrait à 9 milliards de francs ses besoins. Le ministre de la Défense, Édouard Daladier, en fait voter 5 de plus le 7 septembre 1936 ! Ordre est donné de construire au plus vite 3200 chars de combat, et de pouvoir disposer à tout moment de 1500 avions de guerre, ce qui implique, du fait des temps de maintenance, d’en construire presque deux fois plus. Cet effort a un coût financier énorme, alors que le déficit budgétaire atteint déjà 44 milliards de francs. En 1938, 8,6% du revenu national est consacré aux dépenses militaires, soit plus que dans l’Angleterre conservatrice. « En réarmant, le Front populaire s’est désarmé », selon la belle formule de l’historien Robert Frank.

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Congrès du Reich à Nuremberg en 1937 ©Shutterstock

Le 30 janvier 1937, Hitler voit ses pleins pouvoirs reconduits pour quatre ans, et multiplie les déclarations belliqueuses. Tout espoir d’une détente internationale s’envole. En annonçant le 24 février 1937 la pause des réformes sociales, Léon Blum en tire les conséquences : la priorité ira à l’avenir au réarmement. Les 20 milliards de francs prévus pour les grands travaux sont très majoritairement réaffectés aux crédits militaires. Peu après, le gouvernement lance un grand emprunt pour financer le réarmement. Mais les détenteurs de capitaux français, qui mènent une guerre sourde contre le Front populaire, ne se pressent pas pour y répondre. Le gouvernement de Léon Blum se tourne alors vers les banques de la City britannique, qui réclament et obtiennent en échange une politique d’austérité, le renoncement au contrôle des changes, et la poursuite de la non-intervention en Espagne.

Une longue agonie

L’agonie du Front populaire sera longue. Le gouvernement de Léon Blum est renversé par le Sénat, conservateur, le 21 juin 1937. Il aura duré moins de treize mois. S’en suit une longue période d’instabilité ministérielle, qui verra les anciens alliés communistes, socialistes et radicaux se diviser de plus en plus.

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Passation de pouvoirs entre Léon Blum et Camille Chautemps, à l’hôtel Matignon en 1937. ©BNF

Quatre-vingts ans plus tard, il reste du Front populaire trois conquêtes sociales d’importance, les congés payés, la semaine de 40 heures et les conventions collectives ; le souvenir de l’euphorie de l’unité de la gauche au printemps 1936 ; et aussi l’espoir déçu d’une politique progressiste de transformation sociale qui s’est fracassée devant la montée des tensions internationales provoquée par le régime nazi.

Chronique de l’année 1936

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Quatre-vingts ans après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, le Journal en ligne entame une chronique de cette période qui a marqué l’histoire, et se révèle aujourd’hui pleine d’enseignements.
Voir l’ensemble de la chronique 

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