Sylvie Jan : « Les Kurdes ? Plus une question : une réponse »

© France-Kurditan / Un camp de réfugiés à Suruç, ville frontalière entre la Syrie et la Turquie face à Kobanê.

© France-Kurditan / Un camp de réfugiés à Suruç, ville frontalière entre la Syrie et la Turquie face à Kobanê.

La résistance de la ville de Kobanê, reconquise puis défendue par l’armée kurde face à l’organisation Etat islamique (Daech), a placé sous les feux de l’actualité le peuple kurde et son armée. Sylvie Jan, présidente de l’Association de solidarité France-Kurdistan, nous rappelle l’histoire de ce peuple divisé par quatre frontières étrangères, et nous explique les enjeux de son combat contre Daech.

Qu’est ce que le Kurdistan (ou « les » Kurdistan) et pourquoi parle-t-on de « question Kurde » ?

Sylvie Jan : Le Kurdistan forme un vaste territoire qui débute à l’Est de la Turquie, effleure le nord de la Syrie pour s’étendre sur les montagnes de l’Irak et se prolonge sur l’Iran. Les Kurdes forment un peuplement ancien, dont le cœur est la Mésopotamie et ses immenses fleuves du Tigre et de l’Euphrate. Il nous faut évoquer ces quatre pays, la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak suite à un partage des terres et des richesses, conclut par le traité de Lausanne en 1923, et signé notamment par la France. Depuis ce traité, les Kurdes ont été niés dans leur existence et leur identité. Ils ont dû affronter de nombreux massacres, une incessante répression, mais personne n’a réussi à les faire disparaître ou plier. La revendication de leur identité est intacte, les Kurdes se reconnaissent toujours dans le Kurdistan, même s’ils ne revendiquent plus son indépendance.

On parle souvent de la « question Kurde » parce que c’est le plus grand peuple du monde sans État (40 millions de personnes) et qu’il joue toujours un rôle important dans cette région comme l’actualité vient encore de nous le confirmer face à Daesh en Syrie et au Sinjar en Irak.

Dans le conflit qui ravage aujourd’hui la Syrie et l’Irak, quels sont les enjeux du combat des Kurdes ?

Les situations en Syrie et en Irak sont différentes mais les enjeux sont les mêmes, d’abord la démocratie et la paix. Pour la Syrie du nord, il faut maintenant parler du « Rojava », territoires que les Kurdes ont déclarés en autonomie démocratique, au sein des frontières actuelles. En Syrie, particulièrement depuis 2014, les populations kurdes se sont trouvées face à deux agresseurs : l’armée de Bachar el Assad et les djihadistes, mais à l’époque, personne n’en parlait et aucune force n’est venue les soutenir. Ils n’ont pas non plus été soutenu ni même reconnus dans leurs droits par les forces d’opposition à Bachar el Assad. Face à cette impasse, ils ont décidé de s’auto-défendre et de s’auto-organiser avec le Parti de l’union démocratique (PYD).

Avec la participation active des populations, une expérience a commencé à se construire pour définir un projet de société. Celui-ci est anti-capitaliste et s’appuie sur un triptyque : démocratique, social-écologique et féministe. Ce projet a plusieurs originalités : il pense l’égalité femmes/hommes comme le moteur de son développement, il reconnaît les droits et les langues de toutes les communautés, il bénéficie d’un ancrage populaire extrêmement important et il a les ressources pour le faire vivre. C’est aussi ce qui explique l’engagement total des femmes et des hommes, de toute une jeunesse, contre Daech qui venait leur voler leur révolution.

Le Kurdistan d’Irak dirigé par Barzani est une société libérale, tribale, soutenue par les États-Unis, la France et d’autres puissances occidentales. Le génocide contre les Kurdes Yézidis commis par Daech dans les montagnes du Sinjar en Irak a eu pour objectif de gagner des territoires, en s’attaquant à des populations sans défense. L’armée irakienne – les peshmergas – devant tant de folie meurtrière a fui et les Yézidis sont restés sans secours, ce qui explique ce massacre si important et si rapide. Des milliers ont fui et beaucoup sont morts de soif. Ce sont les forces du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui les ont finalement sauvées. Aujourd’hui les territoires du Sinjar sont administrés sur les principes mis en place au Rojava.

© D.R./ La fuite des Yézidis dans les montages du Sinjar

La fuite des Yézidis dans les montages du Sinjar © D.R./

Quelle est la signification politique des résultats des dernières élections législatives en Turquie ?

Le président R.T Erdogan qui visait la majorité absolue a chuté de 10 points. C’est le grand perdant. Le Parti démocratique des peuples (en turc HDP), parti de Sélahatin Demirtas qui propose une alternative démocratique pour toute la Turquie a obtenu 13 % et 80 députés. C’est le grand gagnant. Ce parti a su rassembler tous ceux qui n’ont pas accepté la complicité du président Erdogan avec Daech contre Kobanê, la gauche socialiste et radicale, les intellectuels, les féministes et les syndicalistes. A l’Est et de façon nouvelle à l’Ouest du pays, celles et ceux qui aspirent à la paix et à la démocratie en Turquie ont une force politique qui leur est dorénavant utile. C’est un résultat historique et important pour toute cette région.

Quel est le rôle de l’Association de solidarité France Kurdistan ? De quoi les Kurdes ont-ils besoin et quel appel souhaitez-vous lancer ?

France-Kurdistan s’adresse à l’opinion publique française pour développer la solidarité avec le peuple kurde. Pour cela nous nous attachons à développer la connaissance par l’organisation de débats, conférences, expositions, parutions d’ouvrage. Nous menons aussi une solidarité concrète, par exemple avec les réfugiés de Kobané et du Sinjar, actuellement en Turquie, qui ne bénéficient d’aucun soutien de leur gouvernement et sont seulement pris en charge par les villes dirigées par le HDP. Des collectivités nous font confiance et nous accordent des fonds d’urgence que nous allons remettre sur place, aux bons destinataires. Pour cela nous organisons régulièrement des délégations, des voyages. Nous soutenons aussi une fondation qui recueille les enfants victimes de la migration forcée suite aux conflits, ou qui ont leurs deux parents en prison.

Les Kurdes ont besoin d’être mieux connus. Pour tout de suite, l’urgence va à Kobanê.

Leur lutte porte les valeurs universelles de paix, de démocratie et d’égalité. Ils sont le rempart face à Daech et sont déterminés à décider de leur avenir.
En ce sens, ils ne sont plus une question, mais une réponse. Leur réussite sera bonne pour tous les peuples du monde.

> En savoir plus : Association de solidarité France-Kurdistan

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