Véronique Fournier (CNaV) : « Socialisons les vieux au lieu de les médicaliser ! »

Cardiologue et médecin de santé publique, Véronique Fournier a cofondé en 2021 le Conseil National autoproclamé de la Vieillesse (CNaV) dont le mantra est "Rien pour les vieux sans les vieux"

Cardiologue et médecin de santé publique, Véronique Fournier a cofondé en 2021 le Conseil National autoproclamé de la Vieillesse (CNaV) dont le mantra est « Rien pour les vieux sans les vieux ». ©Julien Millet/CCAS

Elle veut redonner aux vieilles et aux vieux la considération qu’ils méritent au sein de la société. Entretien avec Véronique Fournier, ancienne cardiologue et cofondatrice en 2021 du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV), mouvement citoyen qui veut peser dans le débat.

Pourquoi avoir fondé le CNaV ?

Véronique Fournier – Nous l’avons créé fin 2021 car la loi grand âge promise successivement par les présidents Sarkozy, Hollande et Macron n’avait toujours pas vu le jour. On s’est donc dit qu’il était temps de prendre notre destin en main, de faire entendre notre voix et de demander à participer aux politiques publiques qui nous concernent.

Nous avons un mantra : « Rien pour les vieux sans les vieux. » Aujourd’hui, les politiques du logement, de la ville et des transports sont décidées dans des ministères par des gens qui ne savent pas ce que veut dire « être vieux ».

Être vieux, c’est être moins mobile, moins connecté, moins capable de s’adapter aux évolutions technologiques, etc. Nous représenterons bientôt près de 30 % de la population. Il serait bien de nous demander notre avis avant de prendre des décisions qui transforment les conditions de la vie quotidienne pour tous.

À partir de quel âge devient-on vieux ?

Pour moi, on le devient quand on est à la retraite. Le regard social qui est posé sur vous à ce moment-là vous met dans la case des invisibles, des déclassés, des vieux.

« Nous demandons à vivre dans une société qui n’exclut pas ses vieux. »

Quels sont les principaux combats du CNaV ?

Le premier combat : nous voulons continuer à être considérés comme des personnes ayant leur propre histoire professionnelle, intime et familiale, sociale. Trop souvent, les vieilles et les vieux sont vus comme tous identiques, sans prise en compte de ce qu’ils ont été chacun, de leurs convictions et de ce qu’ils souhaitent décider pour eux-mêmes.

Le deuxième : nous demandons à vivre dans une société qui n’exclut pas ses vieux. Aujourd’hui, tout est numérisé, c’est infernal, cela nous marginalise ; même chose pour la mobilité : quand vous ne pouvez plus conduire, que vous habitez au fin fond de la campagne et que rien n’est fait pour vous aider à vous déplacer, vous restez seul toute la journée, vous ne pouvez plus participer à la vie collective.

Le troisième : être reconnus, malgré notre âge, comme utiles à la société, par exemple en matière de formation-transmission des savoirs, de maintien ou de création de lien social, d’accompagnement des personnes les plus fragiles.

Que pensez-vous de la « silver économie », qui voit les « seniors » comme un marché juteux à exploiter ?

Nous sommes assez fâchés avec cela. En novembre dernier, nous avons organisé un « contre-salon des vieilles et des vieux », où ceux-ci n’étaient pas réduits à des cibles susceptibles d’offrir de nouveaux débouchés commerciaux.

Débat entre Annie Ernaux et Michelle Perrot, animé par Laure Adler. Source : Conseil National autoproclamé de la Vieillesse/Youtube

Est-ce à dire que les personnes âgées ne sont perçues que comme une source de profit ou comme une charge pour la société ?

Oui, tout à fait. Alors que nous pouvons encore apporter beaucoup de choses à la société. Si nous nous mettions tous en grève, il y a plein de choses qui ne fonctionneraient plus : personne n’irait chercher les enfants à l’école, les associations s’arrêteraient de fonctionner, de nombreux conseils municipaux aussi…



Faut-il changer le regard que les personnes âgées portent sur elles-mêmes ?

C’est par là que nous avons commencé. En mars 2022, nous avons publié un ouvrage intitulé « Qui est vieux ici ? Les vieux sortent de l’ombre » L’idée était la suivante : si nous, les vieux, ne commençons pas par nous assumer vieux, si c’est toujours l’autre qui est vieux, si nous voulons continuer de nous dire éternellement jeunes, alors il y a peu de chances de faire avancer la cause des vieux.

Mais le regard de la société sur nous est également à changer. C’est effrayant, dès que l’on arrive à la retraite, on est considéré comme hors champ de la vie active : on est réputé en vacances permanentes, comme n’ayant aucune obligation, aucun engagement important, aucune parole, aucun avis digne d’intérêt !

« J’ai ouvert [La Maison vieille] parce que j’ai réalisé que, même si on a 95 ans, qu’on marche mal, qu’on n’entend pas très bien, (…) on peut quand même avoir envie de partir quelques jours en vacances, dans un endroit adapté mais qui ne ressemble pas à un Ehpad. »

Véronique Fournier (CNaV) : "Socialisons les vieux au lieu de les médicaliser !" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 142703 VerroniqueFournier

« Nous ne voulons pas d’une société qui ne nous regarde qu’au travers du médical, de l’assistance, de la dépendance, de la compassion… Nous voulons continuer d’être considérés comme des personnes et des citoyens » déclare le CNaV dans son manifeste. ©Julien Millet/CCAS

Vous avez ouvert une maison de vacances pour personnes âgées dans la Gironde, La Maison vieille. Le droit des vieux aux vacances fait-il partie de vos combats ?

Cela n’est pas un combat identifié comme prioritaire par le CNaV pour l’instant. Mais il est vrai que, pour moi, c’est un sujet important. Mon expérience à la fois personnelle et professionnelle m’a fait comprendre que la vieillesse est un sujet plus social que médical.

La vieillesse n’est pas une maladie. Socialisons les vieux au lieu de les médicaliser ! J’ai ouvert cette maison parce que j’ai réalisé que, même si on a 95 ans, qu’on marche mal, qu’on n’entend pas très bien, qu’on n’est plus tout à fait capable d’acheter soi-même son billet de train, on peut quand même avoir envie de partir quelques jours en vacances, dans un endroit adapté mais qui ne ressemble pas à un Ehpad : une jolie maison en pleine nature où rencontrer des gens, faire de bons repas, taper la discute, boire des coups, jouer à la pétanque ou à la belote… Et oublier, l’espace de huit ou quinze jours, qu’on a un peu mal partout et que la vie n’est pas toujours drôle.



Le CNaV compte près de 3 000 membres, dont Ariane Mnouchkine et Annie Ernaux. Est-il devenu plus militant ?

C’est vrai que nous avons organisé une première manifestation le 23 janvier dernier pour dire que nous attendions avec impatience la loi sur la fin de vie [l’examen du projet de loi est annoncé avant l’été, ndlr]. Ce n’est pas que nous avons envie de mourir, c’est juste que la fin de vie nous paraît un sujet capital, qu’il faut arrêter de mettre sous le tapis, un sujet à propos duquel nous avons des choses à dire en tant que vieux. Nous allons organiser d’autres actions militantes. Nous n’avons pas l’ambition de faire de la politique mais nous voulons devenir une force citoyenne qui compte.


Pour aller plus loin

QUI EST VIEUX ICI ? LES VIEUX SORTENT DE L’OMBRE de VÉRONIQUE FOURNIER « Qui est vieux ici ? Les vieux sortent de l’ombre »,
de Véronique Fournier et quelques autres vieux, Rue de Seine éditions, mars 2022, 9,90 euros.

Voir sur le site de l’éditeur 

Qui est vieux ici ? À cette question taboue, il y avait peu de monde jusqu’à présent pour répondre « moi ! ». La raison en est double. Tout le monde a envie de repousser l’âge de s’admettre vieux, pour vivre aussi longtemps que possible dans la continuité de soi jeune. La seconde est que ceux qui n’ont plus d’autre choix que de s’accepter vieux le sont à un stade où ils ne peuvent plus se mobiliser pour faire entendre leur voix.

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