« Les violences sexistes vécues par les ados sont méconnues et taboues »

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Respectivement chargées des programmes et de la communication au sein de l’association En avant toute(s), Louise Delavier et Louise Neuville militent, notamment auprès des jeunes, pour l’égalité des genres et la fin des violences faites aux femmes. Étape clé de leur démarche : déconstruire avec les ados les stéréotypes sexistes, et la virilité toxique (le mâle dominant), qui banalisent les violences et conduisent à les reproduire.

En quoi les situations de violence vécues par les jeunes dans leurs relations affectives sont-elles spécifiques ?

"Les violences sexistes vécues par les ados sont méconnues et taboues" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 114275 Louise Delavier Louise Delavier : Tout d’abord, elles sont méconnues et taboues. Les jeunes, et notamment les jeunes femmes et les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bies et trans, ndlr), demeurent assez éloignés des structures qui pourraient leur apporter de l’aide, parce qu’ils et elles ne les connaissent pas. C’est pour cela que nous allons les chercher sur les supports qu’ils utilisent : internet, via commentonsaime.fr, notre tchat, et les réseaux sociaux.

"Les violences sexistes vécues par les ados sont méconnues et taboues" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 114274 Louise Neuville Louise Neuville : Les jeunes femmes ne se considèrent pas forcément comme victimes de violences conjugales, même si elles en subissent : en effet, les campagnes de prévention donnent souvent une vision stéréotypée des victimes : des femmes de 30 à 50 ans, mariées, au corps marqué par les coups et blessures. Les femmes plus jeunes ou les personnes LGBT ne se reconnaissent donc pas dans ce modèle, d’autant que les violences peuvent être également verbales, sexuelles, psychologiques, économiques… Les jeunes les considèrent alors plutôt comme des « problèmes de couple ».

Les jeunes vont davantage se renseigner sur l’amour, sur la relation avec leur partenaire, et taper dans un moteur de recherche des phrases telles que « ses pratiques sexuelles me gênent » ou « il me force à faire telle chose, est-ce normal ? ». C’est pour cela que nous avons créé dans notre site des catégories qui s’intitulent « il veut me contrôler » ou « il m’humilie devant les autres ». Il est important d’utiliser le vocabulaire des jeunes pour attirer leur attention, avant de leur expliquer, dans un deuxième temps, la nature des violences qu’ils subissent.


 

Vous évoquez ici les violences faites aux femmes. Mais votre association s’adresse également aux personnes LGBT+, en prônant l’égalité des genres, et pas seulement l’égalité femmes-hommes. Pourquoi avoir élargi le spectre ?

Louise Delavier : Nous avons constaté que les jeunes LGBT+ constituaient une grande partie des internautes qui venaient visiter notre site et poser des questions sur notre tchat. Ils ne trouvent pas beaucoup d’espaces spécifiques pour exposer leurs problématiques. Or les violences touchent tous les couples, quelle que soit l’orientation sexuelle des partenaires. Il nous semblait donc important et plus juste de militer pour l’égalité des genres.

Louise Neuville : Par ailleurs, les violences subies par les jeunes en général et les personnes LGBT+ en particulier ont un dénominateur commun : elles sont liées à l’isolement, au secret et à la honte. Un·e jeune dont les parents ne sont pas au courant qu’il·elle est en couple (ou qui ne sont pas d’accord pour qu’il·elle le soit) ne pourra pas se confier à eux en cas de problème. Et la question se posera de manière encore plus aiguë si il·elle est homosexuel·le, et qu’il·elle ne l’a révélé à personne. L’agresseur va profiter de cette situation, et l’entretenir. Pire, il peut mettre en place une stratégie de séduction des proches de la victime, s’en faire des alliés, et ainsi l’empêcher de chercher de l’aide auprès d’eux.

Citation Les modèles de sexualité auxquels se réfèrent les ados passent souvent par la pornographie, facilement accessible sur le web, qui ne montre pas de modes de relations saines et non violentes.

Vous parlez aussi beaucoup de sexualité sur le tchat commentonsaime.fr. En quoi l’éducation sexuelle des jeunes peut-elle aider à réduire les violences dont ils sont victimes et parfois auteur.ices ?

Louise Delavier : Dans les établissements scolaires, l’éducation sexuelle se limite souvent à des questions biologiques – les règles, le système reproducteur, etc. – et à la façon de mettre un préservatif. On y parle très peu d’émotions, de la façon d’entrer en relation avec l’autre, de communication saine entre deux jeunes, de modèles de sexualité.

Or, les modèles de sexualité auxquels se réfèrent les ados passent souvent par la pornographie, facilement accessible sur le web, qui ne montre pas de modes de relations saines et non violentes. Nous pensons que l’ouverture d’espaces de dialogue sur ces questions permet de faire tomber les tabous et les secrets. À condition, bien entendu, que cet échange soit encadré par des adultes formés qui fixent des règles, afin de préserver les adolescents.

 

En dehors du tchat, quels outils avez-vous mis en place pour amener les jeunes à remettre en question des clichés sexistes socialement acceptés ?

Louise Delavier : Nous organisons des ateliers dans toutes les structures qui accueillent des jeunes – établissements scolaires, associations, maisons de quartier… – en suivant les principes de l’éducation populaire : nous nous basons sur le vécu des jeunes pour les aider à réfléchir, déconstruire et aiguiser leur esprit critique, afin d’en faire des citoyens mieux formés.

Nous leur offrons ainsi un espace de parole. Loin d’une approche dogmatique et verticale, nous nous contentons de poser des questions. Si un ado déclare qu’ »un garçon qui embrasse une fille de force, c’est juste un dragueur », nous lui demandons simplement pourquoi. Pourquoi le garçon a-t-il besoin de forcer les choses pour séduire ? Cela fait-il plaisir à la jeune fille ? Ce positionnement « naïf » dans l’échange permet de faire prendre conscience aux ados que ces stéréotypes sont des constructions sociales qu’ils peuvent changer.

Louise Neuville : Pour tenter de leur faire comprendre l’injustice des discriminations liées au genre, nous avons parfois recours à des techniques de pédagogie croisée : nous faisons le parallèle avec d’autres discriminations, comme le racisme. Lorsque les garçons ne comprennent pas qu’il n’est pas juste d’affirmer que « toutes les filles sont fragiles », par exemple, nous leurs demandons ce qu’ils pensent de la phrase « tous les Arabes sont des voleurs ».

Et en général, ils répondent du tac au tac : « Ce n’est pas vrai ! ah, mais c’est pour ça que les vigiles des magasins nous surveillent toujours du coin de l’œil… », etc. Ils comprennent par transfert d’empathie. Et cela fonctionne avec toutes les discriminations : handiphobie, grossophobie, transphobie… Décaler le regard permet de décrisper la conversation, et de faire prendre conscience aux jeunes que l’égalité peut profiter à tout le monde.

Vous menez également des actions de sensibilisation aux stéréotypes et aux violences sexistes et sexuelles en direction des adultes. Comment procédez-vous ?

Louise Delavier : Nous nous adressons essentiellement aux adultes qui encadrent des jeunes, et qui peuvent être témoins de violences entre jeunes : enseignants, éducateurs de quartier, animateurs de colo… Nous leur proposons d’échanger à partir de situations auxquelles ils sont confrontés dans leur pratique professionnelle. Les enseignants, par exemple, ne savent pas forcément comment réagir lorsqu’un jeune vient leur parler des violences qu’il subit. Ils ne se sentent pas légitimes pour le faire. Pire, parfois ils ne sont pas soutenus par leur hiérarchie.

Nous leur apprenons à identifier ce qu’est une « information préoccupante » concernant un jeune. Nous leur faisons prendre conscience de leur responsabilité et leur donnons des clés pour effectuer un signalement auprès des personnes compétentes. Les jeux de rôle que nous leur proposons les aident également à réaliser combien il est difficile pour un jeune de se confier à un adulte, tant il a peur de ne pas être cru ou de se sentir jugé… Le rôle des adultes en contact avec les jeunes est essentiel dans la lutte pour l’égalité.

Nous insistons sur la notion de consentement auprès des jeunes, en abordant la question du désir.

Quel rôle les hommes peuvent-ils jouer dans le combat pour l’égalité des genres ?

Louise Neuville : Au-delà de s’interroger sur les comportements « virils » que la société attend d’eux, nous encourageons les hommes à se questionner sur leur façon d’entrer en relation avec les autres, en particulier avec les femmes.

C’est pour cela que nous insistons sur la notion de consentement auprès des jeunes, en abordant la question du désir : chacun des partenaires d’un couple doit d’abord se demander de quoi il a envie et quelles sont ses limites. Le jeune homme est ensuite amené à voir de quelle manière son désir peut rencontrer celui de sa compagne, sans s’imposer. Il pourra ainsi prendre conscience de la liberté qu’il peut obtenir dans des relations sociales en général et amoureuses en particulier plus saines, à égalité.


Pour aller plus loin

Le site internet d’En avant toute(s) met à disposition des conseils, des repères et des ressources pour identifier les comportements et relations toxiques ou non respectueuses du consentement des jeunes.

Le tchat commentonsaime.fr offre aux jeunes un espace de discussion sur tous les sujets liés aux relations amoureuses, amicales ou familiales, à la sexualité et aux violences dans l’espace public.

En avant toute(s) est une association membre de la Fédération nationale Solidarité femmes.

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