Mana Neyestani : « Ma façon de protester, c’est de faire des dessins »

Caricaturiste de presse, l'Iranien Mana Neyestani était l'invité de la CMCAS Nord-Pas-de-Calais au Salon du livre d'Arras. © Didier Delaine/ccas

Caricaturiste de presse, l’Iranien Mana Neyestani était l’invité de la CMCAS Nord-Pas-de-Calais au Salon du livre d’Arras. © Didier Delaine/ccas

Le dessinateur iranien Mana Neyestani était au Salon du livre d’Arras, le 1er mai. Rencontre avec celui qui a dû quitter son pays, sans espoir de retour, à cause d’un simple dessin. Il est réfugié politique en France depuis 2011.

« Ce n’est pas facile de faire des dessins dans la presse française, pas facile d’intégrer une nouvelle société et ses réseaux quand on a quitté son pays après l’âge de 30 ou 35 ans », confie Mana Neyestani, réfugié politique en France depuis 2011, après avoir quitté l’Iran en 2007, à l’âge de 34 ans. Aujourd’hui, le dessinateur iranien, que nous avons rencontré le 1er mai à Arras (Pas-de-Calais) à l’occasion de sa venue au Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale, travaille notamment pour les sites Internet IranWire, Tavaana et Eastonline. Le dessin publié par IranWire le 1er mai a, par exemple, pour thème le concours de caricatures sur l’Holocauste, organisé à Téhéran.

Car, malgré la distance, Mana Neyestani continue de suivre l’actualité du Moyen-Orient, iranienne en particulier. « Chaque jour, quand je me lève, je cherche des informations sur des sites iraniens d’opposition basés en France, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis… Et je commence à penser à des idées de dessins. Ça peut être, par exemple, un activiste politique jeté en prison », explique-t-il. Une petite partie de ses dessins est reprise dans l’exposition titrée « Tout va bien ! », que les usagers du restaurant méridien CCAS de Douai ont pu voir pendant deux semaines. Le titre est bien entendu ironique, puisque ces dessins évoquent la dictature, la répression policière, les simulacres d’élection, les atteintes à la liberté d’expression, à l’égalité entre hommes et femmes, l’exil…

« Je ne suis pas un pur activiste »

Mais, parfois, on y voit une petite touche de couleur, une petite touche d’espoir, comme cette petite fille qui détruit avec son cerf-volant, sans même s’en rendre compte, la statue martiale d’un général. Ou ce petit garçon, qui enfile des anneaux colorés sur la faux de la mort, toute décontenancée par tant de candeur. Alors, pessimiste ou optimiste Mana Neyestani ? « Ça dépend… », nous répond-il, avec un sourire timide. « Dans “Tout va bien !”, plusieurs dessins ont été faits lors du Mouvement vert, né après les élections de 2009. C’était une atmosphère de peur, d’espoir, de noirceur, de clarté… tout cela en même temps. Nous avons besoin d’espérer, de voir le verre à moitié rempli, mais mon travail, c’est de dénoncer les problèmes, la violence, de protester contre le système, qu’il soit politique ou social, pas de trouver la solution. Je mets tout cela en lumière, dans l’espoir que les responsables politiques trouvent la solution. Je ne suis pas un pur activiste. Ma façon de protester, c’est de faire des dessins. »

Exilé à cause d’un dessin pour enfants

La bande dessinée est l’autre moyen d’expression de Mana Neyestani. Dans « Une métamorphose iranienne », le dessinateur raconte comment et pourquoi il a quitté l’Iran et s’est exilé quelques années en Malaisie avant d’arriver en France. Au départ, un dessin anodin, paru dans un magazine iranien pour enfants, d’un petit garçon discutant avec un cafard. Ce dernier utilise un mot d’origine azérie et certains y ont vu une insulte au peuple azéri. La chose a été montée en épingle, jusqu’à provoquer des émeutes. Le dessinateur passe alors de longues semaines en prison et, à la faveur d’une libération provisoire, quitte le pays, sans espoir de retour. « Tous les activistes revenus récemment en Iran ont été jetés en prison. Le régime iranien n’a aucun sens de l’humour ; c’est un gros problème pour un caricaturiste », ironise-t-il.

Pour lui, les récentes élections législatives n’y changent rien. Les candidats qualifiés en Occident de « réformateurs », qui ont obtenu de bons résultats, « ne sont pas de vrais réformateurs », assure le dessinateur. « Le régime a sélectionné certaines personnes et éliminé tant d’autres, des réformistes, des opposants… Ce n’est pas facile de prédire ce qui va se passer. Les Iraniens espèrent de petits changements ; ils sont effrayés par l’idée d’une guerre civile. Je ne pense pas qu’il y aura de révolution sanglante, du moins je l’espère. »

Mana Neyestani, au Salon du livre d'Arras devant une exposition inédite sur 1936 produite par les Activités Sociales de l’énergie © Didier Delaine/ccas

Mana Neyestani, au Salon du livre d’Arras devant une exposition inédite sur 1936 produite par les Activités Sociales de l’énergie © Didier Delaine/ccas

Dans son autre bande dessinée, titrée « Petit manuel du parfait réfugié politique », Mana Neyestani, qui ne parle pas français, décrit avec beaucoup d’humour le parcours du combattant pour obtenir le statut de réfugié politique : couloirs à n’en plus finir, files d’attente, formulaires… « En France, la bureaucratie n’est pas réservée aux réfugiés, mais pour eux, c’est deux fois plus dur, estime-t-il. A la préfecture de police, on attend de vous que vous parliez français. Un fonctionnaire, suivant qu’il est de bonne ou mauvaise humeur, peut changer votre vie. Personne n’est particulièrement à blâmer, c’est une question de système qui ne fonctionne pas. »

Évidemment très affecté par le massacre de janvier 2015 dans la rédaction de « Charlie Hebdo », Mana Neyestani explique qu’il n’a « pas d’autre choix que de continuer à faire [son] métier de caricaturiste ». « Je suis comme le parachutiste qui a peur de sauter de l’avion mais qui doit sauter. C’est son métier et il essaie de se poser en sécurité », conclut-il.

Ouvrages de Mana Neyestani 

• Tout va bien !, 2013, Arte Editions /Ça et là. Lire un extrait
• Une Métamorphose iranienne, 2012, Arte Editions /Çà et là. Lire un extrait
• Petit manuel du parfait réfugié politique, 2015, Arte Editions /Çà et là. Lire un extrait

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