Les conquêtes sociales du xxe siècle ont fortement réduit le temps consacré au travail. La lutte pour le temps libre se poursuit afin de remettre l’activité professionnelle à sa juste place et de favoriser l’épanouissement des individus et leur participation à la vie de la cité.
Daniel Gonzalez est un homme heureux. Cet ancien gazier n’a pas attendu la retraite (qu’il a prise en 2019) pour vivre pleinement sa passion. En 2010, il a entamé un congé individuel de formation (CIF) de quatre ans à Montpellier pour étudier et pratiquer le théâtre. « Une opportunité réjouissante », grâce à laquelle il a réussi à « concilier [sa] passion et [son] boulot ». « Ce congé, c’est aussi un droit qui a été gagné par nos aînés », insiste l’ancien administrateur de la CMCAS Hérault, devenue CMCAS Languedoc.
Au début du XXe siècle, nous passions l’essentiel de notre vie éveillée à travailler. Grâce aux conquêtes sociales successives (réduction du temps de travail, congés payés, retraite), le temps libre est devenu largement majoritaire dans nos existences. Mais la bataille est loin d’être terminée, comme l’expliquait le philosophe André Gorz dès 1990 : « Nous entrons à reculons dans une société du temps libéré. Nos discours demeurent dominés par le souci de l’efficience, du rendement, de la performance maximale. »
71 % des ouvriers voient dans le travail une « contrainte nécessaire pour subvenir à [leurs] besoins »
Depuis une trentaine d’années, malgré les signes d’épuisement manifestés par les salariés, les droits au repos et à la retraite sont régulièrement remis en cause. Selon un récent sondage Ifop, la majorité des Français (56 %) voient avant tout dans l’activité professionnelle « une contrainte nécessaire pour subvenir à [leurs] besoins ». Le taux atteint même 71 % chez les ouvriers. Deux salariés sur trois estiment également que les conditions de travail se sont dégradées ces vingt dernières années. D’après le cabinet Empreinte humaine, spécialisé dans la qualité de vie au travail, pas moins de 2,5 millions de salariés souffriraient d’un burn-out sévère.
« Travailler, est-ce bien raisonnable ? », titrait « La Tribune » dans le numéro d’avril de sa revue bimestrielle. Qu’ils aiment leur travail ou qu’ils en souffrent, de plus en plus de Français aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Donner du sens à sa vie
Les longues périodes de confinement et de couvre-feu que nous avons traversées n’ont fait qu’accélérer une prise de conscience déjà amorcée. Notamment chez les jeunes actifs : 51 % d’entre eux jugent « très important » l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, selon une étude publiée en 2019 par l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire).
À l’heure du réchauffement climatique, les jeunes se posent avec acuité la question du sens donné à leur vie. Le 30 avril dernier, à Paris, huit étudiants d’AgroParisTech ont fait un discours tonitruant (vu par plusieurs millions de personnes) à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes. Ils ont appelé à déserter l’agro-industrie, accusée de mener « une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre ».
Les diplômés de l’élite française ne sont pas les seuls à s’interroger sur leur place dans le monde du travail. Entre février 2020 et février 2021, 237 000 personnes – des jeunes en majorité – ont quitté l’hôtellerie-restauration. Ce secteur embauchait jusqu’alors 50 000 salariés chaque année, selon le ministère du Travail.
Aux États-Unis, plus de 38 millions de personnes ont abandonné leur emploi l’an dernier. Paru en décembre 2020, le livre de Jenny Odell, « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au xxie siècle » (traduit aux éditions Dalva), a connu un grand succès outre-Atlantique. L’artiste et philosophe californienne y développe l’idée selon laquelle ne rien faire serait un acte de résistance anti-capitaliste face aux entreprises du numérique (Google, Amazon, Facebook, etc.) qui cherchent par tous les moyens à capter notre attention – et donc notre temps de cerveau disponible. Pour Jenny Odell, avoir du temps libre, c’est bien ; être libre de l’utiliser pour des activités qui échappent à l’économie marchande, c’est encore mieux.
- Lire aussi
Céline Marty : « Dans nos activités personnelles, nous ne sommes pas soumis aux normes du marché »
L’année dernière, 3 632 salariés d’EDF ont choisi de travailler à temps partiel. D’autres prennent des congés sans solde pour faire le tour du monde ou reprendre leurs études. D’autres encore demandent un détachement pour s’engager dans les Activités Sociales : devenir responsable principal d’un village vacances de la CCAS ou accompagner des enfants jusqu’à leur colo. Dans les Industries électriques et gazières, les options ne manquent pas pour marier vie professionnelle et vie personnelle. Daniel Gonzalez en est l’exemple vivant : ancien membre du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de son entreprise et élu de sa CMCAS, il a su donner à sa passion pour le théâtre toute la place qu’elle méritait.
Tags: Article phare EDF Travail