Après « Breizh migrants », Laurent Lefeuvre poursuit son travail de reportage dessiné avec la CMCAS Haute Bretagne en publiant « Refuge(s) », qui conte l’accueil des migrants expulsés de Calais en 2016 et des réfugiés ukrainiens dans les villages vacances de Bretagne. ©Komics Initiative
L’album « Refuge(s) », dont la CMCAS Haute Bretagne a initié la publication, témoigne de l’accueil de migrants et de réfugiés ukrainiens dans ses villages vacances. Rencontre avec Loïc Macé, vice-président de la CMCAS, et Laurent Lefeuvre, l’auteur de bande dessinée.
À lire
« Refuge(s) », de Laurent Lefeuvre (scénario et dessin)
En coopération avec la CMCAS Haute Bretagne, avec la participation d’Anna Kysilova (coscénariste de la seconde partie), Komics Initiative Éditions, 2022, 22 euros.
« Refuge(s) » regroupe deux récits graphiques : l’un a déjà fait l’objet d’une publication, le second est inédit. Pourquoi les réunir ?
Loïc Macé : Il s’agit de graver dans les mémoires le passage des réfugiés dans nos villages vacances. De montrer aussi que la solidarité, qui fait partie des valeurs essentielles de la CCAS, est vivante et donne lieu à des actes. La première partie évoque l’accueil de jeunes hommes migrants dans trois de nos centres en 2016, la seconde celle de familles ukrainiennes à Trégastel en 2022 [en tout, ce sont 400 réfugiés de guerre qui ont été accueillis dans sept villages vacances CCAS cette année – chiffres de septembre 2022, ndlr].
C’est une même aventure. Nous avions publié la première partie sous forme de brochure auto-éditée (« Breizh Migrants »), c’est vrai. Celle-ci a reçu un accueil très favorable – 6 000 exemplaires diffusés –, mais nous souhaitions la valoriser en l’incluant dans ce beau livre, qui peut se garder et se relire.
Laurent Lefeuvre : Il nous a semblé que ces deux reportages se faisaient écho. Ils traitent finalement d’un même sujet : celui de villages vacances qui deviennent des lieux d’accueil pour des réfugiés.
- Lire aussi
« Breizh migrants », carnets de route solidaires (2017)
À partir du mois d’octobre 2016, la CCAS a accueilli 1 300 réfugiés, expulsés du camp de Calais, dont un nombre important en Bretagne. ©Komics Initiative
Comment s’est déroulé le reportage auprès des familles ukrainiennes ?
L. Lefeuvre : Au début, cela n’a pas été facile. Ma méthode est de dessiner les gens et de recueillir leur parole. Pour cela, il faut un climat de confiance. Quand je suis arrivé dans le village vacances de Trégastel, un jour de mai, les gens restaient dans leur mobile-home : je ne pouvais aller frapper à leur porte car nous n’avions pas de langue commune.
J’ai fini par rencontrer une réfugiée de 24 ans qui parle bien français, Anna Kysilova. Elle m’a aidé à faire comprendre ma démarche et m’a transmis l’histoire de chacun. Voyant son implication, je lui ai demandé de travailler avec moi. J’ai ensuite construit le récit autour de son point de vue. En fait, je n’aurais pas pu faire le livre sans elle.
Qui est cette jeune femme, Anna Kysilova ?
L. Macé : C’était la seule personne du groupe à parler français. Elle a joué un rôle essentiel dans le village vacances en prenant en charge la traduction nécessaire au quotidien, une tâche épuisante. Nous l’avons également accueillie au sein d’une réunion du conseil d’administration de la CMCAS Haute Bretagne, où elle a longuement témoigné de la situation des Ukrainiens. Ce moment important a convaincu chaque élu de l’importance de cette action, et de ce livre.
L. Lefeuvre : Anna a effectué une partie de ses études en France, puis elle a eu une expérience professionnelle en Ukraine, notamment comme journaliste. Elle est arrivée à Trégastel avec deux amies proches. Début octobre, elle est retournée dans son pays, à Kharkiv. Pour le moment, elle n’a pas encore vu le livre. Nous allons tenter de lui en envoyer quelques exemplaires là-bas, en lieu sûr.
Anna Kysilova, jeune réfugiée ukrainienne hébergée à Trégastel et coscénariste de « Refuge(s) », est retournée en Ukraine début octobre. ©Komics Initiative
Le second récit se différencie du premier sur le plan graphique, en particulier par ses couleurs. Quelle a été votre approche, Laurent ?
L. Lefeuvre : Pour le récit sur les migrants, ma priorité était d’être proche de la réalité. Cinq ans plus tard, j’ai compris qu’une certaine liberté graphique n’empêche pas de rester fidèle au sujet. Je m’exprime davantage sur le plan visuel et au niveau émotionnel. J’ai ainsi présenté en parallèle le présent des témoins, à Trégastel, et leur passé : la vie qu’ils ont laissée derrière eux et l’épreuve de la guerre. J’ai aussi essayé de traduire la sensation d’être glacé que j’ai éprouvée en écoutant leur histoire. Mais je n’ai pas oublié d’intégrer une part de beauté, car elle n’est jamais complètement absente, même dans des situations terribles.
À partir du moment où l’on accepte de ne pas garder les choses à distance, mais de s’approcher pour les regarder en face, il devient facile de s’engager.
Qu’espérez-vous transmettre au travers de ce livre ?
L. Macé : Nous souhaitons montrer que l’accueil solidaire compte. Au cours de ces séjours, allant de trois à six mois, nous avons vu des personnes évoluer, d’autres se reconstruire. Depuis, certains jeunes migrants se sont installés dans les Côtes-d’Armor, d’autres, assez nombreux, sont partis pour l’Angleterre. Les Ukrainiens, eux, ont quitté le centre avant l’été, pour aller notamment dans des familles d’accueil. Je tiens à dire que nous comptons reverser une partie de la vente du livre à un organisme de soutien aux réfugiés ukrainiens.
L. Lefeuvre : Ce livre est important à mes yeux ; il est plus personnel que ma série avec le super-héros Fox-Boy. Avant de faire le reportage sur les migrants, la question était un peu abstraite à mes yeux, même si j’y étais sensible. Maintenant, je trouve qu’elle est essentielle. À partir du moment où l’on accepte de ne pas garder les choses à distance, mais de s’approcher pour les regarder en face, il devient facile de s’engager. « Refuge(s) » montre, je l’espère, que les réfugiés ne sont pas seulement des gens à l’air perdu, avec un sac en plastique à la main, mais des personnes comme vous et moi, qui ont chacune une histoire et des rêves d’avenir.
Dans cette aventure, quel rôle a joué le festival Quai des Bulles, de Saint-Malo ?
L. Macé : C’est lors de cet événement, dont la CMCAS Haute Bretagne est partenaire, que j’ai découvert un reportage dessiné de Laurent, en 2016. J’ai pu voir l’impact que son travail avait sur les visiteurs et prendre conscience que la bande dessinée permettait de faire connaître des sujets complexes ou sensibles. Étant alors secrétaire général de la CMCAS, j’ai proposé de lancer un projet avec Laurent, cela a donné « Breizh Migrants ».
L. Lefeuvre : En tant que Rennais, je fréquente le festival depuis mon enfance. Tout jeune dessinateur, encore adolescent, j’allais y solliciter les conseils des auteurs de BD. Aujourd’hui, je fais partie des bénévoles. Quand on exerce un métier solitaire comme le mien, le festival est un trait d’union avec les autres et aussi une fête. Avec la CMCAS, nous tenions à présenter « Refuge(s) » au festival 2022, avant sa sortie en 2023. Pour réussir à être au rendez-vous, la réalisation du livre a été une vraie course contre la montre !
Présentation du reportage dessiné « Refuge(s) » au festival Quai des bulles de Saint-Malo, à bord du Charles Marie, voilier partenaire de la CMCAS Basse-Normandie. À gauche, aux côtés Laurent Lefeuvre : Loïc Macé, secrétaire général de la CMCAS Haute-Bretagne. ©Charles Crié/CCAS
