Réunis dans un groupe de travail à l’Assemblée nationale, les représentants des travailleurs de l’énergie et 83 députés de tous bords politiques mettent sur la table un chantier de réflexion sur une alternative au projet Hercule.
Article mis à jour le 30 avril 2021.
En cette année anniversaire de la nationalisation d’EDF-GDF, l’opposition grandit chez les salarié·es des Industries électriques et gazières, les syndicats et les parlementaires, contre ce qui apparaît comme un plan de démantèlement du service public de l’énergie.
Contre Hercule, des mesures d’urgence et un « plan B »
Réunis dans un groupe de travail à l’Assemblée nationale, les représentants des travailleurs de l’énergie et 83 députés de tous bords politiques mettent sur la table un chantier de réflexion sur une alternative au projet Hercule. Dans leur communiqué commun, publié à l’issue de leur réunion du 19 avril dernier, députés et syndicalistes estiment, au fond, que le projet Hercule est un énième plan d’ajustement du service public de l’énergie aux impasses de la libéralisation du marché de l’électricité en Europe.
Et d’énumérer la liste des risques que sa mise en œuvre entrainerait :
Les missions de service public oubliées, concurrence stérile et contreproductive instaurée au sein même du groupe EDF alors que la concurrence avec les fournisseurs alternatifs a aujourd’hui des effets pervers manifestes, risque d’affaiblir l’outil stratégique qu’est EDF au service de la France et des Français, risque de voir s’alourdir plus vite la facture énergétique des citoyens. Pour ces raisons, ce projet de réforme n’est pas le bon et les garanties annoncées n’en sont clairement pas. »
Sans nier que « le statut quo pour EDF et pour le service public de l’électricité n’est pas envisageable » – notamment sur l’augmentation du prix de l’Arenh et de la recapitalisation d’EDF par l’État – députés et syndicalistes, affirment que : « ce qui devrait justifier une stratégie publique est la nécessaire réussite d’une transition énergétique dans l’intérêt des citoyens et des entreprises, avec comme impératifs ; l’accès à une électricité pour tous sur la base d’une équité de traitement, l’indépendance énergétique du pays et la sécurité des approvisionnements, la qualité et la continuité de service ».
Elles et ils demandent donc conjointement, la mise en place d’une commission placée sous l’égide du Haut-Commissaire au Plan et impliquant le Parlement, afin de :
» – Dresser le bilan de 20 années de la libéralisation du marché de l’électricité,
– Établir un diagnostic précis et détaillé des causes ayant conduit à l’évolution du prix de l’électricité, à la sous-rémunération et à la sous-capitalisation d’EDF et à son endettement important,
– Se réinterroger sur la place de l’électricité, bien de première nécessité incontournable dans notre société, et indispensable en situation normale comme en cas de crise telle celle que nous vivons,
– Examiner en toute transparence et en se basant sur des études sérieuses, les différentes alternatives permettant d’assurer l’avenir d’EDF et d’améliorer le service rendu par le groupe EDF aux citoyens, aux entreprises et au pays ».
Les syndicats « sidérés » par la note du gouvernement
La note que le gouvernement a fait parvenir aux fédérations syndicales des Industries électriques et gazières à la suite de leur rencontre avec Bruno Lemaire, ministre de l’économie, en présence du PDG d’EDF, le 6 avril dernier, laisse l’interfédérale « sidérée ». Dans ce document, le gouvernement réaffirme que la restructuration du groupe public – plus connu il y a encore quelques jours sous le nom de code de projet Hercule – permettrait au groupe énergétique public de garantir « le financement pérenne du parc nucléaire existant » et de « stabiliser la situation financière d’EDF ».
Mais, pour les fédérations, la note semble écrite à l’encre sympathique :
« Modalités de la nouvelle régulation du nucléaire, maintien de l’intégration opérationnelle de l’hydraulique dans EDF, réalité des synergies entre Enedis et les autres activités de l’entité verte « EDF Énergies Nouvelles » et « Réseaux » au regard de son indépendance de gestion, financements croisés et capacité d’EDF à ne pas s’y voir diluée… Tout dans ce document gouvernemental, au-delà des déclarations d’intention, s’écrit au conditionnel, ce qui n’est pas rassurant ».
Car, affirment les fédérations, « tout semble suspendu aux résultats des discussions avec Bruxelles, et donc à son accord ». Un « jeu de dupes » que les fédérations syndicales ne sont pas disposées à jouer…
Un observateur proche du dossier s’interroge : « comment la ligne rouge d’une désintégration du service public de l’énergie, évoquée par Bruno Lemaire, pourrait-elle ne pas être enjambée par une Commission européenne qui n’a de cesse, et depuis longtemps, d’espérer la franchir, aujourd’hui ou demain ? Et dès lors, le sachant parfaitement, pourquoi lui fournir une si belle occasion de parachever le projet Hercule, qui prévoit déjà la filialisation de la distribution, du commerce et des énergies nouvelles, en leur interdisant tout financement croisé entre elles ainsi qu’avec l’entité EDF Bleu renationalisée, ouvrant ainsi le chemin de la désoptimisation en cascade d’un système qui a fait la preuve de son efficacité ? ».
L’interfédérale, qui se dit « sidérée par l’inconsistance du projet », doute de la sincérité des déclarations gouvernementales : « Il est donc peu probable, prédit-elle, que la réforme d’EDF, si elle devait se faire, aboutisse sur les bases du document remis à l’interfédérale. Il est alors à craindre que la désintégration d’EDF ne soit inéluctable, avec pour résultat une incontestable hausse des prix pour les Français et l’industrie française ».
L’interfédérale réaffirme donc « son opposition à un projet au mieux inabouti, incertain et insuffisamment travaillé, au pire à un projet caché et beaucoup moins avouable. Dans tous les cas, la « belle histoire » n’aura convaincu personne ! ».
Une rencontre avec les ministres infructueuse
Le 6 avril, les quatre fédérations syndicales ont rencontré – à distance – la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, et le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Lemaire, en présence du PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy.
« Lors de cette rencontre, raconte l’interfédéral dans son communiqué du 8 avril, nous n’avons rien appris de nouveau excepté sur la forme, car les deux ministres ont présenté un projet de réforme d’EDF qui ne fait plus référence à Hercule ni aux entités Bleu, Azur et Vert. »
La réforme du groupe EDF « porte désormais la structuration juridique suivante », poursuivent les syndicats : « une société EDF SA maison mère 100 % publique et donc renationalisée, une filiale EDF Hydro quasi régie 100% publique et nationalisée, et une société ‘EDF énergies renouvelables et réseaux’ dont le capital pourrait être ouvert jusqu’à 30 % ».
Mais sur le fond, conclut l’interfédérale, « le projet de réforme présenté est bel et bien un copié/collé du projet initial Hercule prévu qui ouvre la voie au démantèlement d’EDF », justifiant de « renforcer la détermination (…) à refuser ce projet destructeur pour l’avenir d’EDF ».
Une pétition « Pour une énergie publique »
Le Comité social et économique central d’EDF-SA a mis à disposition en ligne une plateforme d’informations et une pétition : « Pour une Energie publique ». On y trouve notamment la tribune publiée dans « Le Monde » le 10 février dernier, signée par cinquante personnalités – dont d’anciens hauts dirigeants du groupe EDF – contre le projet Hercule.
Signer la pétition « Pour une énergie publique »
L’interfédérale auditionnée à l’Assemblée
Les représentants de l’interfédérale des IEG sont, à leur demande, auditionnés par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le mercredi 10 mars, à 9 heure 30.
(cliquez sur l’image pour voir la vidéo)
Le Premier ministre interpellé par l’opposition
Dans un courrier commun adressé au Premier ministre le 1er février dernier, les parlementaires d’opposition et les fédérations syndicales rappelle que le gouvernement « n’a pas accepté de descendre dans l’arène pour dire publiquement ce qu’il prépare » avec le projet Hercule, malgré que députés et sénateurs ont interpellé publiquement l’exécutif à de multiples reprises à l’occasion de leurs travaux à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
Exigeant le retrait du projet Hercule, les signataires « demandent solennellement une audience dans les meilleurs délais » au Premier ministre, pour être informés des intentions gouvernementales s’agissant de la réforme de l’Arenh et de l’avenir d’EDF ».
Lire le courrier au Premier ministre
Jean-Bernard Lévy, Barbara Pompili et Bruno Lemaire auditionnés
Le 4 février, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a été auditionnée à l’Assemblée nationale, par les députés de la commission économique et de la commission du développement durable. Le 10 février, c’est au tour du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy d’être auditionné, suivi le 11 février par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance Bruno Lemaire.
(cliquez sur l’image pour voir la vidéo)
Autant de nouvelles dates de mobilisation des représentants des salariés et des agents, à l’appel de l’intersyndicale des Industries électriques et gazières, pour le retrait du projet Hercule : le 4 et le 10 février, des rassemblements militants ont lieu devant l’Assemblée nationale.
« La destruction du service public s’accélère »
Dans leur communiqué de rentrée au mois de janvier, les fédérations rappellent :
« Qu’il s’agisse d’EDF, attaquée dans son modèle de groupe intégré par le projet Hercule, d’Engie menacée de scission et de vente à la découpe à la suite du plan Clamadieu, de l’ensemble de la filière gaz condamnée par la nouvelle réglementation environnementale RE 2020 ou encore de la Shem menacée par la mise en concurrence de ses concessions, la destruction du service public de l’énergie s’accélère. »
Lire le communiqué intersyndical
Contre Hercule, les prises de positions se sont multipliées depuis la mi-décembre : devant l’opacité des négociations entre l’État français et la Commission européenne, des voix s’élèvent parmi les parlementaires, ainsi qu’au sein des organisations syndicales représentatives de la branche, soumises au même manque de transparence et « pas du tout convaincues » par leur rencontre avec les conseillers du Premier ministre d’une part, et avec le PDG d’EDF d’autre part, début décembre.
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Un débat au sénat
Au Sénat, à la suite du dépôt d’une proposition de résolution du sénateur communiste Fabien Gay « pour la constitution d’un véritable service public de l’énergie », le front d’opposition s’est élargi, avec la tenue d’un débat en séance publique le 13 janvier sur le projet Hercule.
La chaîne Public Sénat y consacrait une émission spéciale le 19 janvier dernier.
Une rencontre « inédite » à l’Assemblée nationale
À l’Assemblée nationale, une rencontre a eu lieu le 20 janvier entre l’intersyndicale des Industries électriques et gazières et les députés opposés au projet Hercule, rassemblant « un arc-en-ciel parlementaire » : des députés Républicains, Socialistes, Radicaux de gauche, Insoumis et Écologistes ont échangé avec les organisations syndicales représentatives et les universitaires David Cayla et Jacques Percebois, indique Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime.
Concurrence libre et non faussée, privatisation qui engendre mécaniquement la baisse des prix… David Cayla, maître de conférence à Angers et membre des Économistes atterrés, dénonçait sur notre site web en 2019 ces « mythes » économiques classiques prévalant au projet Hercule (lire notre article : « Le plan Hercule n’est que la continuité de la destruction de l’outil industriel français »).
Directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie, Jacques Percebois pointait quant à lui les dangers du projet Hercule pour le service public, avec lequel, déclarait-il dans un entretien publié en septembre 2019, « vous avec la continuité de ce service, l’égalité de traitement, notamment la péréquation spatiale des tarifs » : « si le privé s’en occupe, ce ne sera plus le cas » alertait cet ancien administrateur indépendant de GRTgaz (lire notre article : « La concurrence dans le secteur électrique est tout à fait artificielle »).
Un rassemblement hors-du-commun à l’Assemblée Nationale et en visio cet après-midi pour préserver l’avenir d’EDF face au…
Publiée par Sebastien Jumel sur Mercredi 20 janvier 2021
Mi-décembre, les représentants des groupes parlementaires de droite et de gauche avaient dénoncé le projet Hercule comme celui du démantèlement pur et simple du service public de l’énergie. Dans la foulée, la présidente du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale Valérie Rabault (PS) avait annoncé son intention de déposer une proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) contre le « démantèlement » d’EDF via le projet Hercule.
Une lettre au président de la République
Le 7 janvier, les confédérations syndicales françaises, par la voix de leurs secrétaires généraux, se sont solennellement adressées au président de la République, lui demandant de « renoncer » purement et simplement au projet hercule et « d’ouvrir un véritable débat pour bâtir ensemble l’avenir de l’électricien national EDF, opérateur de la Nation, et de véritablement lui donner les moyens d’investir ».
Les secrétaires généraux – Philippe Martinez (CGT), François Hommeril (CFE-CGC), Yves Veyrier (FO) et Laurent Berger (CFDT) – rappellent d’abord que « devant l’imminence d’une crise économique et sociale majeure qui plonge d’ores et déjà de plus en plus de Français dans la précarité, la période que nous vivons exige un retour aux valeurs fondatrices de la République. Cette situation inédite nous rappelle l’impératif de solidarité et de souveraineté nationale, l’exigence de protection due par la Nation à ses citoyens et la nécessité de la continuité des services publics ».
Lire la lettre des confédérations syndicales
au président de la République
Et d’affirmer : « Si nous partageons votre volonté de donner à EDF les moyens d’investir dans le modèle français de transition énergétique, comme l’a rappelé le Premier Ministre le 15 décembre dernier à l’Assemblée Nationale, nous considérons que le projet Hercule actuellement à l’étude ne répond en rien aux exigences de notre époque et à l’avenir de nouvelles générations. Ce projet ne règle pas la question de la faiblesse endémique des fonds propres d’EDF depuis sa transformation en 2004 d’EPIC en SA alors même qu’EDF va devoir investir dans la décennie qui vient près de 100 milliards d’euros dans le système électrique français. Il ne répond pas à la question des moteurs de l’endettement de l’entreprise et du portage de la dette, ni à la sous-rémunération chronique dont souffre l’entreprise depuis la mise en place de l’Arenh. Ce projet ne répond enfin en rien à la question du financement du renouvellement du parc nucléaire français alors même que c’est une question centrale pour l’avenir de la filière nucléaire française et ses plus de 220 000 salariés ».
Une suspension des votes à EDF SA
Le 16 décembre, les administrateurs salariés du conseil d’administration d’EDF SA ont unanimement rejeté le projet de budget 2021 et le Plan moyen terme 2021-2023 présenté par la direction, en signe d’opposition au projet Hercule. Deux jours plus tard, le 18 décembre, les élus du CSE central d’EDF SA (CGT, FO, CGC, CFDT), consultés le 17 décembre sur la proposition industrielle de six centrales de type EPR2 avant sa présentation au gouvernement, déclarent s’abstenir avant que lumière soit faite sur le projet Hercule :
« [Les élus du CSEC] conditionnent leur avis à l’obtention de certitudes concrètes de maintien d’EDF SA intégrée et sans le moindre processus de désoptimisation entre ses moyens de production pilotables. »
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