Suite de notre chronique sur le fondateur du CCOS, ancêtre de la CCAS, et artisan du statut national des électriciens et gaziers : à partir de 1950, le gouvernement tente de reprendre la main sur les entreprises nationalisées et les œuvres sociales de leur personnel, détricotant ce que Marcel Paul avait contribué à construire au sortir de la guerre.
Marcel Paul, une vie
Découvrez en dix épisodes l’itinéraire d’un homme qui a durablement marqué la mémoire des électriciens et gaziers.
Alors même qu’il est toujours ministre, Marcel Paul est élu en septembre 1946 président de la Fédération de l’éclairage et des forces motrices de la CGT, ce qui en fait un exemple hors du commun de syndicaliste ministre. La fédération compte alors 116 000 cartes, très loin derrière le 1,12 million de la métallurgie ou les 850 000 du bâtiment d’une CGT qui recense six millions de membres, effectif le plus élevé atteint dans sa longue histoire.
En revanche, la Fédération de l’éclairage affiche un taux de syndicalisation extrêmement élevé, dans une industrie dont l’importance stratégique n’échappe à personne. Marcel Paul dirige la fédération durant la guerre froide, marquée par de violents affrontements avec le gouvernement, notamment pendant les dures grèves de l’automne 1947 qui font plusieurs morts.
L’épuration d’EDF-GDF
Ces années de guerre froide sont marquées par un affaiblissement de la fédération suite à la scission de Force ouvrière consécutive aux grèves de 1947 et à une succession de luttes perdues. En mai 1948, le Conseil d’État annule les décrets nommant les administrateurs d’EDF et de GDF. Une loi de circonstance adoptée en août 1948, interdisant aux anciens ministres d’appartenir durant les cinq années suivant la fin de leurs fonctions au conseil d’administration des entreprises nationalisées, empêche Marcel Paul de siéger à celui d’EDF-GDF. Peu après, son ancien directeur de cabinet Roger Lescuyer est renvoyé du secrétariat général d’EDF et remplacé par un ancien industriel.
L’affrontement est particulièrement intense en 1950 et 1951. Une grève pour les salaires débute à EDF et GDF le 9 mars 1950 et se heurte aux réquisitions de personnel ordonnées par le gouvernement. Menée par une intersyndicale unie, elle va durer dix-neuf jours, ce qui en fait la plus longue de l’histoire des électriciens et gaziers. La répression gouvernementale est forte : révocations, parfois condamnations à des peines de prison. Le mouvement s’achève sur un échec.
Les œuvres sociales reprises par le patronat
Le 17 mai 1950, le gouvernement révoque du conseil d’administration d’EDF les militants CGT Émile Pasquier et Pierre Le Brun pour avoir protesté contre la guerre d’Indochine. En octobre, un décret gouvernemental retire sa gestion ouvrière au jeune Conseil central des œuvres sociales (le CCOS, ancêtre de la CCAS), non seulement en éclatant sa structure centrale en une cinquantaine de conseils régionaux, mais aussi en lui imposant de licencier son personnel contractuel et de faire réintégrer EDF à son personnel titulaire, ce que les organisations syndicales refusent.
Aussitôt, un service d’ordre militant protégeant les locaux de la rue de Calais, siège du CCOS, est mis en place. La CGT organise des grèves tournantes de protestation, mais elles ne rencontrent guère de succès. Le coup de grâce est donné par le décret du 17 février 1951 qui dissout le CCOS. Le lendemain, le conseil d’administration, présidé par Marcel Paul, refuse unanimement la dissolution, que la police fait appliquer le 20 février à 23 h 40 en investissant les locaux de la rue de Calais.
L’engagement algérien
Mais, à partir de 1953 et l’action victorieuse contre un projet de réforme des retraites – déjà –, la fédération renoue avec les luttes gagnantes. En 1959, des élus CGT sont de retour au conseil d’administration d’EDF et GDF dont ils avaient été exclus. La France vit alors au rythme de la guerre d’Algérie. La fédération dirigée par Marcel Paul s’engage pleinement, notamment avec ses syndiqués d’Électricité et Gaz d’Algérie (l’équivalent d’EDF dans les trois départements algériens), pour l’indépendance du peuple algérien et dénonce la torture d’État. Ce qui vaut à l’appartement parisien de Marcel Paul d’être plastiqué en 1961 par les partisans de l’Algérie française. Il replonge alors dans une quasi-clandestinité digne de l’Occupation et ne se déplace plus qu’armé.
En 1963, une équipe de jeunes syndicalistes qu’il avait contribué à former prend la direction de la Fédération CGT de l’éclairage, devenue Fédération de l’énergie. Victime de surmenage et des séquelles de sa déportation, Marcel Paul tombe gravement malade et part se faire soigner en URSS, où il se rend pour la première fois. Le passage de relais ne se fait pas sans tensions. Mais le temps efface ces blessures et Marcel Paul renouera à la fin de sa vie avec cette fédération CGT à laquelle il a consacré toute sa vie.
- Lire la suite de la chronique
Marcel Paul, une vie | Ne jamais oublier la déportation
Pour aller plus loin
« Marcel Paul, un ouvrier au Conseil des ministres », de Nicolas Chevassus-au-Louis et Alexandre Courban
L’Atelier, 224 p., 18 euros.
Commander le livre : chez un libraire ou auprès de l’Institut d’histoire sociale Mines-Énergie : ishme@fnme-cgt.fr
Tags: À la une CCOS Industries Mémoire Statut national Syndicats