À la fondation EDF, 32 artistes livrent leur regard sur le voyage

"The Luxor Hotel and Casino, Las Vegas, USA, 1994", de Martin Parr, exposition Fondation EDF

« The Luxor Hotel and Casino, Las Vegas, USA, 1994 », de Martin Parr, tirage photographique d’après original. © Martin Parr/Magnum Photos

« Faut-il voyager pour être heureux ? », telle est la question à laquelle l’exposition présentée actuellement à l’Espace Fondation EDF, à Paris, nous invite à réfléchir. Parmi les œuvres des 32 artistes contemporains réunis, nous en avons retenu trois : particulièrement saisissantes, elles illustrent trois regards sur le voyage. Voici quelques clés pour mieux les comprendre.

La Fondation groupe EDF a l’habitude de traiter de sujets de société par le prisme de l’art contemporain. La question du voyage et de ses usages actuels s’est posée lors de la pandémie de Covid-19. « L’idée d’aborder ce thème est née durant les confinements, explique Nathalie Bazoche, responsable du développement culturel à la Fondation. L’interruption des flux touristiques a rendu visible à la fois l’importance des voyages dans la vie de chacun et leur impact sur la planète. Cela nous a incités à réfléchir à la notion du voyage, au sens large. »

Avec l’exposition ‘Faut-il voyager pour être heureux ?’, notre but n’est pas de donner des leçons mais d’ouvrir sur des questionnements. Nous espérons toucher en particulier les jeunes, qui, nous l’avons remarqué, sont souvent plus à l’écoute des artistes que des experts. (Nathalie Bazoche, fondation EDF)

Dans l’exposition présentée actuellement, et ce jusqu’au 29 janvier 2023, à l’Espace Fondation EDF sont rassemblées les œuvres de 32 créateurs d’art contemporain de diverses nationalités. Ces créations, qui se présentent sous la forme d’installations et surtout de photographies et de vidéos, datent essentiellement des vingt dernières années, à l’exception de quelques pièces des années 1970.

Quelques unes des oeuvres présentées à l’exposition de la fondation EDF. Cliquez sur l’une d’elle pour l’agrandir.

Elles sont accompagnées de quatre courts témoignages de spécialistes qui apportent des repères sur le thème de la mobilité touristique. L’anthropologue Saskia Cousin souligne ainsi à quel point le tourisme est un flux asymétrique entre le Nord et le Sud, tandis que l’essayiste Laurent Castaignède rappelle la responsabilité des transports aériens dans l’émission mondiale des gaz à effet de serre.

À la question « faut-il voyager pour être heureux ? », une réponse serait : « Oui, mais sans doute autrement. » Voyager moins loin et plus lentement, pour éprouver de manière plus aiguë l’espace, le temps, l’autre. C’est l’approche décrite par le sociologue Rodolphe Christin, l’un des commissaires de l’exposition, dans une des vidéos pédagogiques présentées dans le parcours. Il y expose les principes de « l’écosophie », forme de philosophie qui vise une relation harmonieuse avec la nature, une « écologie poétique et pensive » propre, selon lui, à inspirer une éthique du voyage.



« Going nowhere 1.5 » : allégorie de la disparition

La vidéo « Going nowhere 1.5 » (2016), du Britannique Simon Faithfull, traduit de manière percutante la dimension tragique du réchauffement climatique. Diffusé sur un écran de taille moyenne, le film offre, depuis le ciel, une vue sur un îlot sableux au beau milieu de la mer. Une silhouette habillée de jaune marche sur le pourtour de ce territoire menacé par les vagues. La marée montante recouvre progressivement l’îlot, qui rétrécit à vue d’œil. À chaque enjambée, l’homme en mesure la disparition progressive. En l’espace de 8 minutes 43 secondes, on assiste au processus inéluctable. Sur la dernière image, les flots recouvrent tout.

GoingNowhere 1.5, Simon FaithfullVimeo.

L’artiste de 56 ans s’est filmé en mer du Nord pour réaliser cette image troublante, métaphore de l’engloutissement d’une zone habitée. On peut aussi voir dans « Going nowhere 1.5 » une poignante allégorie de la disparition au sens large de l’Homme face à des forces naturelles qui le dépassent. Avec cette vidéo captivante, Simon Faithfull nous met devant la réalité de l’urgence climatique, sans pathos. Cette marche obstinée sur un sol en train de disparaître a même une tonalité absurde.

« Cette vidéo produit aussi un effet assez hypnotique sur le spectateur, précise Nathalie Bazoche, de la Fondation groupe EDF. Nous l’avons placée dans la section ‘Inégalités et migration’, car elle évoque, pour nous, les réfugiés climatiques. De renommée internationale, l’artiste est engagé dans une sorte d’exploration de la planète, tel un géographe décalé. Il dit avoir été marqué par un voyage en Antarctique, alors qu’il était en résidence de création à bord du brise-glace d’une expédition scientifique au pôle Sud, en 2005. »


« Paradisus » : interrogation sur l’invasion touristique

Le film « Paradisus » (2016), de l’artiste française Mali Arun, relève d’un registre tout différent, proche de la dimension mythologique.

Projeté sur grand écran, ce court-métrage en noir et blanc à la lumière sophistiquée nous emmène parmi des lacs et des cascades entourés d’une végétation luxuriante : une nature harmonieuse qui semble vierge de toute activité humaine. Une voix off citant un passage de la Bible sur la création du monde nous situe dans un temps immémorial. Bientôt, apparaissent des bateaux touristiques chargés de visiteurs, hommes et femmes de tous âges, enfants, qui accostent. Ces vacanciers de plus en plus nombreux flânent, se baignent, prennent simplement des photos, mais leur présence génère un sentiment contrasté pour le spectateur.

Film Paradisus (2016) de l’artiste française Mali Arun

« Paradisus », de Mali Arun (2016), Capture d’écran vidéo. ©Mali Arun/Thomas Ozoux

L’artiste de 35 ans oscille entre le circuit des arts visuels et celui du cinéma – son long-métrage documentaire « La Maison » a obtenu une récompense en 2019. Ici, elle traite l’image documentaire – elle a tourné « Paradisus » en Europe de l’Est – comme un matériau poétique et présente sous un jour inattendu ces parcs naturels que nous connaissons tous. Elle tend un miroir où se reflète l’effet pervers de la consommation touristique de masse. Par leur affluence, les visiteurs détruisent l’attrait même du paysage de rêve devant lequel ils sont venus s’émerveiller.

« Mali Arun ne dénonce pas directement le tourisme, nuance Nathalie Bazoche, elle pose un constat pour inviter à réfléchir ». « Paradisus » semble nous dire, entre autres choses : ne faudrait-il pas choisir entre la préservation du monde sauvage et le tourisme ?



« Gyrovague, le voyage invisible » : expérience du retrait du monde

À l’opposé de « Paradisus », « Gyrovague, le voyage invisible » (2011-2012), d’Abraham Poincheval, présenté dans la section de l’exposition « Se rapprocher du monde », évoque un voyage en solitaire. Ce performeur coutumier des prouesses d’endurance a traversé les Alpes à pied, il y a dix ans. Il a suivi un itinéraire de la France jusqu’en Italie, en quatre étapes sur quatre saisons. En autonomie complète, l’artiste poussait ou tirait derrière lui un abri mobile en forme de roue, qu’il a baptisé « gyrovague » (le terme désignait autrefois un moine errant).

Gyrovague, le voyage invisible (2011-2012), oeuvre de l'artiste français Abraham Poincheval,

« Gyrovague, le voyage invisible, 2011-2012 », d’Abraham Poincheval : capsule cylindrique véhiculable et habitable et vidéo filmée à partir de la capsule en mouvement. ©Abraham Poincheval/Adagp, Paris, 2022/Cnap

À l’Espace Fondation EDF, on peut contempler cet habitacle minimaliste en bois et aluminium, qui, étonnamment, a servi aussi d’instrument optique pour enregistrer des images, selon la technique de la « camera obscura ». Deux tirages photographiques et une vidéo en attestent. Ces superbes images du ciel, des arbres et des cimes sont prises en contre-plongée verticale. Leur format circulaire déstabilise notre regard habitué au rectangle. « Elles sont rondes comme l’œil de l’artiste : c’est comme si nous étions dans son regard, avance Nathalie Bazoche, de la Fondation groupe EDF. Abraham Poincheval fait ainsi partager son voyage intérieur, car son déplacement est une façon de se retirer du monde tel un ermite. »

« Gyrovague, le voyage invisible » est l’une des premières performances de cet artiste connu pour s’enfermer dans des espaces exigus comme un emmuré vivant, par exemple, dans un rocher (« Œuf », 2017). Les images fascinantes rapportées par Abraham Poincheval de ce « voyage invisible » dans les Alpes peuvent nous interpeller sur notre perception du monde visible ; elles déplacent notre pensée en quelque sorte.


Infos pratiques

Affiche d el'exposition "Faut-il voyager pour être heureux ?" à la fondation EDF, 2022« Faut-il voyager pour être heureux ? », à l’Espace Fondation EDF
Jusqu’au 29 janvier 2023.

Où ? 6, rue Juliette-Récamier, à Paris VIIe.
Quand ? Du mardi au dimanche de 12 heures à 19 heures.

Entrée gratuite sur réservation.

Site internet : fondation.edf.com
Tél. : 01 40 42 35 35.

 

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