SOS Alpes solidaires : « En montagne on n’abandonne pas un compagnon, même si c’est un inconnu »

SOS Alpes solidaires : "En montagne on n’abandonne pas un compagnon, même si c’est un inconnu" | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 41970 Yann Borgnet

Yann Borgnet, aspirant guide de haute montagne et engagé dans le secours aux migrant.es. ©Joseph Marando/CCAS

Membre du collectif Montagne debout et aspirant guide, Yann Borgnet porte secours aux migrant.es empruntant le col de l’Échelle, entre la France et l’Italie, au cours des maraudes du collectif SOS Alpes solidaires.

Comment prend-on la décision de réagir et d’intervenir dans la situation que connaissent les migrant.es qui, souvent inconscients du danger, courent des risques fous pour passer de l’Italie en France par le col de l’Échelle où nous nous trouvons actuellement ?

C’est, je crois, la première fois que ma génération, est confrontée, à ce type de prises de décision. Personnellement, j’avais entendu parler de ce qui se passait dans la vallée de la Roya, et ce que faisait là-bas quelqu’un comme Cédric Herrou. Je me disais en l’écoutant : « Mais comment en arrive-t-on à marcher ainsi sur la tête ? Pourquoi vouloir intercepter des gens comme ça et des citoyens qui en fait suppléent aux missions régaliennes de l’État concernant la sûreté des personnes et le traitement administratif de leur situation. » En tant que professionnel de la montagne, cela m’a interpellé.

Au sommet du col, les températures peuvent descendre jusqu’à -20 °C.

Justement comment évalues-tu, en tant que pro de la haute montagne, les risques de cette traversée depuis l’Italie jusqu’ici ?

En tant qu’aspirant guide de haute montagne, je sais qu’avant d’affronter la montagne hivernale, avec au col des températures qui peuvent descendre jusqu’à -15 °C ou -20 °C avec 80 centimètres de neige pour un chemin de plusieurs kilomètres, on se prépare vraiment minutieusement, ce n’est pas quelque chose qui s’improvise. Rien que de venir sur un col comme celui-là, de nuit, on ne le ferait pas sans plusieurs couches, une doudoune, du Gore-Tex, bref sans vraiment être équipé. Ce serait prendre de très gros risques que de procéder autrement. Mais voilà, ils ont développé un tel instinct, une telle énergie de survie, et comme ils ont une méconnaissance complète du milieu, du froid de la neige et de l’altitude, ils y vont.

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« Les professionnels de la montagne refusent que les Alpes deviennent le cimetière de ces personnes en détresse » indique SOS Alpes solidaires. Ici, la montée vers le col (1 762 mètres d’altitude) depuis Nevache, près de Briançon.  ©Joseph Marando/CCAS

Qu’est-ce que cette situation ravive comme valeurs montagnardes ?

Les valeurs, on les met à toutes les sauces ; le marketing les utilise, les grandes boîtes s’en servent. Mais la solidarité, qui est la substantifique moelle de la montagne, on la retrouve là en pratique. En montagne on n’abandonne pas un compagnon, même si c’est un inconnu. L’entraide, c’est la règle qu’on t’inculque dès que tu choisis d’être un montagnard.

Comment se passent les opérations ?

Il y a plein de cas possibles. Tous les soirs, il y a des maraudes, des gens qui se baladent notamment sur ce col et vont à la rencontre de ces gens. Ce n’est pas évident parce qu’ils se cachent, ils ont peur ; en deux ans ils ont acquis quelques réflexes. L’objectif, c’est de les ramener dans la cabane, de les mettre au chaud, de voir si pour eux tout va bien. On les descend, à Névache, puis on les conduit à Briançon, dans le local d’une association (Chez Marcel) ou à l’ancienne caserne des secouristes en montagne de la CRS (reconvertie en lieu d’accueil d’urgence géré par la Coordination réfugiés solidaires, ndlr). Là, ils sont en lieu sûr. Mais sur la quinzaine de kilomètres de l’unique route qui relie Névache à Briançon, il y a souvent des barrages de police et clairement ils ne sont pas là pour rigoler, mais plutôt pour imposer une certaine vision de la loi, au détriment de son sens premier.

On veut dire aux pouvoirs publics : « Agissez pour que les citoyens qui leur portent secours puissent le faire librement. »

Comme dans la Roya, est-ce que le fait de porter assistance aux migrants en perdition vous transforme en passeurs aux yeux des forces de police ?

Oui. L’ancien préfet des Hautes-Alpes a clairement déclaré que les Briançonnais qui récupéraient des migrants ici ou en bas seraient considérés comme des passeurs. Il y avait trois passeurs l’année dernière, 28 cette année ! Parce qu’ils comptabilisent les citoyens qui suppléent aux carences de l’État comme des criminels ! Or, tous les sauvetages s’effectuent en France, ici c’est la France.

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Le 31 décembre, des montagnard.es ont rejoint le collectif SOS Alpes solidaires pour un réveillon sur le col de l’Échelle. Avant de repartir en maraude. ©Joseph Marando/CCAS

Il y a eu cet extraordinaire réveillon solidaire (lire notre article), symbolique de la mobilisation depuis un an des professionnels, des habitants et des bénévoles, pourquoi et qu’est-ce que vous tous voulez dire ?

Notre premier message, c’est d’abord celui un appel d’urgence : arrêtons cette hypocrisie, ce jeu du chat et de la souris autour des migrants qui tentent la traversée. Instituons une trêve hivernale : on laisse passer les gens normalement, y compris avec les forces de police, et dans la sécurité, au calme et au chaud, on traite leur situation administrative dans le cadre de la loi. On veut dire aux pouvoirs publics : « Agissez pour que les citoyens qui leur portent secours puissent le faire librement. » (Une pétition a également été lancée, adressé au président de la République : « Les sommets de la honte », ndlr)

Le second message, c’est de dire à l’État de prendre le relais de ces citoyens qui commencent à être fatigués. On a tous un point de vue sur cette situation faite aux migrants, à Calais, dans la Roya, à Paris, à Metz, dans plein d’endroits en France. Moi, mon point de vue c’est qu’après tout ce que ces gens ont vécu, la Libye, la traversée de la Méditerranée, maintenant les Alpes sous la neige, rien que ça qui est énorme pour un être humain, même jeune, ils méritent la nationalité française.

Yann, tu es aussi doctorant en géographie et tu as choisi comme thème de travail la transition des territoires de montagne, ce qui t’a conduit à être un animateur du mouvement Montagne debout qui cherche à construire et affirmer une autre vision de la montagne. Qu’est-ce que l’arrivée de ces migrants, le désordre qui règne autour de leur venue, la réaction de très nombreux bénévoles à travers les vallées, a modifié dans l’esprit des populations ?

Montagne debout tente de construire et d’affirmer une autre vision des territoires touristiques. Différente en tous les cas de celle promue par les grands organes de la montagne aménagée, où les canons à neige soutiennent, d’un fil, un modèle en bout de course. Un tourisme plus immersif, d’expérience et d’aventure autour d’un tourisme diffus. On a besoin de refaire de l’humanité dans ces territoires, de retrouver un art de vivre. Dans ma thèse (« Adapter les sports de neige au changement climatique ? »), je m’intéresse aussi aux « agents positivement perturbateurs » d’un milieu donné. Je crois que les migrants jouent ce rôle. On me disait que cette crise des migrants, les dangers qu’ils courent et les réactions solidaires des habitants avaient complètement changé la nature des relations entre les gens. Des réseaux, des collectifs d’entraide se sont créés. Cela m’a fait penser à la « République des Escartons » qui existait dans le Briançonnais avant la Révolution française – elle s’était construite en marge du système féodal et reposait sur une grande solidarité des gens entre les deux versants du Briançonnais.

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1 Commentaire
  1. Josiane Olff-Nathan 6 ans Il y a

    Merci à vous, les « passeurs » de la solidarité !
    Vous êtes l’honneur de la France, si malmené par les temps qui courent…

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