
Dans une région fortement gagnée par l’extrême droite, les CMCAS Aude Pyrénées Orientales et Languedoc se sont jointes à la mairie d’une commune rurale près de Béziers où vivent et sont accompagnés des mineurs isolés, pour parler des migrations autour d’un spectacle (« Migrando ») et avec les premiers concernés. ©Monique Castro/CCAS
À Nissan-lez-Enserune, commune rurale près de Béziers (Hérault), une vingtaine de jeunes migrants sont accompagnés par l’Association nationale de recherche et d’action solidaire. Pour leur rendre hommage, la municipalité s’est associée aux CMCAS Languedoc et Aude Pyrénées-Orientales pour proposer un spectacle revigorant et émouvant qui crée « un récit positif autour de la migration » : « Migrando ».
« Dans mon village, il n’y avait pas le courant, mais moi j’avais toujours de la lumière dans ma chambre ! raconte Sidiki. Enfant, je récupérais de vieilles piles, les reliais les unes aux autres parfois sur 1 mètre de longueur, et ça me permettait d’alimenter une lampe. » Ce 22 mai, le jeune Guinéen de 19 ans attend avec sa bande de copains que commence « Migrando », un seul-en-scène de la comédienne Carla Bianchi sur l’accueil des migrants, organisé par les CMCAS Languedoc et Aude Pyrénées-Orientales à la médiathèque de Nissan-lez-Enserune, à côté de Béziers (Hérault).
Sidiki, qui a quitté seul son village et est arrivé en France à 14 ans à peine, signera en septembre un CDI chez Enedis. Une belle histoire comme il en existe parfois. Avec une vingtaine d’autres mineurs non accompagnés (MNA) il est hébergé et accompagné par l’Association nationale de recherche et d’action solidaire (Anras) dans cette commune rurale de 4 000 habitants. Le statut de mineur non accompagné, qui lui a été accordé, lui donne des droits identiques à ceux d’un enfant français, selon la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France a ratifiée en 1990.
Le jeune homme a passé un CAP d’électricité, puis suivi un bac pro en alternance et vit comme les jeunes de son âge. Ou presque. « Au début, quand l’Anras s’est installée dans la commune, c’était un peu difficile, il y a eu des propos racistes quand les enfants jouaient au foot. Maintenant ça s’est calmé », témoigne Annie, une Nissanaise, qui trouve « génial de s’occuper de ces jeunes ».
« Migrando » : rire pour dialoguer autour d’un thème clivant
C’est une salle ravie et émue qui applaudit Carla Bianchi. « J’ai pleuré deux fois pendant le spectacle », avoue Isabelle Caffenne, elle aussi assistante séjour activité à Narbonne et elle aussi bénévole auprès de l’Anras. Son collègue Pierre Gallon a trouvé le spectacle « génialissime » : « C’est un spectacle émouvant, qui permet de comprendre beaucoup de choses. »
Carla Bianchi, qui a su faire rire sur un sujet si grave, s’est inspirée d’un village d’Italie qui a accueilli des migrants pour se repeupler : « On va exporter la solidarité, ça marchera mieux que la pizza et la burrata ! », lance-t-elle. Dans ce spectacle interactif, elle avait auparavant demandé aux spectateurs – là aussi sur un mode léger – « jusqu’où [elle pouvait les] pousser dans le désespoir ».
« Accueille un migrant, réanime un village » : un seul-en-scène inspiré d’une histoire vraie
Qu’est-ce qui peut lier l’avenir d’un petit village à l’abandon et le destin d’un bateau de 50 migrants ? Le maire du village fait appel à Vittoria Azzurra, directrice du projet Migrando : « Accueille un migrant, réanime un village. » Tout va se jouer lors d’un conseil municipal où les habitants ont une heure pour se décider. Le débat est houleux entre partisans et contradicteurs, alors que le bateau affronte la tempête.
Entretien avec Carla Bianchi, Infos Migrants, à l’occasion de la programmation de la pièce au théâtre La Nouvelle Seine (Paris), 2022.
En effet les chiffres concernant les migrants sont vertigineux : depuis 2014, environ 25 000 d’entre eux ont péri en mer Méditerranée. Dans certaines zones, les pêcheurs sont désormais habitués à remonter des cadavres dans leurs filets. L’association SOS Méditerranée, qui affrète des bateaux pour sillonner les eaux internationales de la Méditerranée centrale, route migratoire maritime la plus mortelle au monde, était invitée à la soirée.
Pierre Beaux et Jacques Riqué, bénévoles à SOS Méditerranée, rappellent que depuis 2016, pas moins de 42 381 personnes ont été secourues, dont 79 % des moins de 18 ans voyageant seuls. Derrière leur stand recouvert de brochures, ils essaient de récolter des dons : « Faire sortir en mer l’Ocean Viking, le bateau qui secourt les migrants en Méditerranée, coûte 24 000 euros par jour », précise Pierre Beaux.
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Un projet alliant deux CMCAS et la mairie
Accueillir l’Anras dans la commune, dans une région où le Rassemblement national pulvérise des records, était une volonté affirmée de l’équipe municipale. « Au début, il y a bien eu des commentaires, mais, pour nous, il n’a pas été question de remettre ce projet en question, d’autant qu’il n’y a jamais eu le moindre problème avec ces jeunes », argumente Patricia Cathala, première adjointe à la mairie.
« Quand on parle de migrants, on parle de frontières : ça faisait sens de décloisonner et de porter ce projet à deux CMCAS. »
Loïc Tur, assistant séjour activité CCAS, à l’origine de la soirée

Loïc Tur (à g.), assistant séjour activité CCAS et bénévole à l’Anras, entouré de ses collègues Pierre Galon et Isabelle Caffenne, eux aussi bénévoles auprès de l’Anras. ©Monique Castro/CCAS
« Quand je rentre chez moi à Salles-d’Aude, je passe par Nissan-lez-Enserune et j’ai été interpellé par la présence de ces jeunes », se souvient Loïc Tur, assistant séjour activité à la CCAS sur le territoire Aude Pyrénées-Orientales, à l’origine de la soirée « Migrando ». Il se renseigne, découvre la mission de l’Anras et, emballé par le projet de l’association, se propose comme bénévole avec sa fille Louise, âgée de 12 ans, pour assurer du soutien scolaire auprès des mineurs.
Il a aussi l’idée de faire venir le spectacle « Migrando », de et avec Carla Bianchi, qui a participé aux Rencontres Culturelles organisées par la CCAS durant l’été 2024. Nissan-lez-Enserune dépend de la CMCAS Languedoc, alors que lui dépend de la CMCAS Aude Pyrénées-Orientales. Les deux CMCAS vont s’associer pour mener à bien ce projet qui a du sens. « Quand on parle de migrants, on parle de frontières : ça faisait sens de décloisonner et de porter ce projet à deux CMCAS », explique-t-il.
La longue tradition d’accueil des migrants des Activités Sociales
Les Activités Sociales, qui partagent les valeurs de solidarité et d’humanité de l’association de sauvetage en mer, en sont partenaires à ce titre. Et elles agissent, par exemple, en mobilisant leurs villages vacances et leurs réseaux de solidarité. « Les jeunes de Nissan-lez-Enserune ont été accueillis au village vacances de Matemale l’été dernier, et [ont participé à] l’atelier de street art au village vacances Les Romarins de Saint-Pierre-la-Mer », rappelle Michel Mas, vice-président de la CMCAS Aude Pyrénées-Orientales, délégué à la culture.

Michel Mas, vice-président de la CMCAS Aude Pyrénées-Orientales et Carla Bianchi, comédienne et autrice de la pièce Migrando. ©Monique Castro/CCAS
La CCAS a une longue tradition d’accueil de migrants : des Syriens en 2015, des délogés lors du démantèlement de la « jungle de Calais » en 2016 et 2017, des Afghans en 2021 ou encore des familles ukrainiennes à partir de mars 2022. « Quand nous ouvrons nos centres, si les associations qui accompagnent ces migrants sont en difficulté, nous mettons en place des réseaux de bénévoles pour aider à la scolarisation, épauler les réseaux caritatifs comme les Restos du cœur ou le Secours populaire français, voire proposer des tours de moto avec le club moto ou des tours en bateau », précise Damien Malard, responsable opérationnel des Activités Sociales en Bretagne, où de nombreux réfugiés ont été accueillis entre 2016 et 2017.
Au niveau national, entre avril 2022 et décembre 2024, pas moins de 199 422 nuitées ont été réalisées dans le cadre des dispositifs d’accueil solidaire.
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