Longue et solidaire, telle fut la route

© P. Marini / CCAS

Un homme observe le camp de réfugiés où il est hébergé, installé par la mairie et les associations depuis le 7 mars à Grande-Synthe (Pas-de-Calais) © P. Marini / CCAS

La route solidaire empruntée du 31 mars au 5 avril dernier par les collègues de Per a pace (Pour la paix), association corse de solidarité internationale partenaire des Activités Sociales, a permis d’acheminer 80 matelas d’Ajaccio à Dunkerque (1426 kilomètres), au camp de Grande-Synthe (Pas-de-Calais), où, à l’initiative de la municipalité, vient d’être installé par Médecins sans frontières (MSF) le premier camp de réfugiés aux normes internationales jamais créé en France.

Cette guerre en Syrie qui, depuis 2011, a coûté la vie à 270 000 êtres humains sur les rives de la Méditerranée, à trois heures de vol de Paris, dans un pays qui fut mandat français, et dont les habitants fuient aujourd’hui par centaines de milliers le fracas et les dangers mortels, ne pouvait laisser indifférents les membres de l’association Per a pace. Née en Corse, animée par des collègues de l’île qui se sont donné comme objectifs de contribuer, à leur échelle, à faire vivre la solidarité et la diffusion de la culture méditerranéenne, son émancipation progressiste. Algérie, Balkans, Tunisie, Palestine, aujourd’hui Syrie, tout ce qui a trait aux destins des peuples des pays qui bordent cette mer intérieure entre Europe, Afrique et Moyen-Orient, touchent ces natifs d’une terre qui en offre les plus beaux rivages.

Les collègues de Per a Pace à Ajaccio le 2 avril dernier Dans les véhicules également les dons de particuliers (Pays ajaccien, Taravo, Balagne,…) du Secours populaire, de l’association Rinascitta…

Les bénévoles militants de l’association Per a pace au départ d’Ajaccio © P. Marini / CCAS

Pas toujours simple. Mais quand l’occasion d’améliorer un peu le confort des réfugiés d’Irak, de Syrie, d’Erythrée ou du Soudan s’est offerte, Per a pace a fait tourner les moteurs. Et pas seulement ceux des camions ; ceux du bateau aussi. « La compagnie Corsica Ferries a bien voulu prendre en charge la traversée de nos deux camions », raconte Jacques Casamarta, collègue d’EDF et infatigable animateur de Per a pace. A bord des deux fourgons, 80 matelas neufs, voués à la déchetterie d’Ajaccio. Des dons en couvertures et vêtements viennent compléter le chargement. Arrivé sur le continent, le petit convoi solidaire met le cap, le 3 avril dernier, sur Dunkerque. Objectif : Calais et Grande-Synthe où leurs amis de l’association Salam les attendent.

Lire aussi : Claire Millot (association Salam) : “La France a les moyens de mieux accueillir les migrants”

Déni absurde

Distant d’une vingtaine de kilomètres de Calais, à Grande-Synthe, dans la proche banlieue de Dunkerque, le campement du Basroch, établi en 2006, abritait encore l’an passé une centaine de réfugiés. Des habitants leur ont porté assistance : « C’était tenable, explique Claire Millot, bénévole de Salam. Mais, cette année, de mois en mois, le nombre des réfugiés n’a cessé de grimper. » En cause, le démantèlement de la moitié sud du camp de Calais, d’une part, et, de l’autre, l’intensification des combats en Irak et en Syrie. A l’automne 2015, la « petite jungle » de Grande-Synthe comptait 2500 personnes, femmes, hommes et enfants. C’est alors que Damien Carême, le maire de cette ville de 22000 habitants, a pris, contre tous les avertissements des autorités, une décision radicale : frapper à la porte de Médecins sans frontières pour lui proposer d’installer, sur un terrain périphérique, le premier camp de réfugiés aux normes internationales que la France ait jamais connu : « Deux raisons m’ont conduit à prendre cette décision, explique Damien Carême aux collègues de Per a pace qu’il recevait lundi dernier en mairie.

D’abord, les conditions de vie insupportables auxquelles toutes ces personnes étaient soumises, conditions qui sont contraires à la dignité humaine. Enfin la tranquillité des riverains qui, sans être hostiles aux réfugiés, n’auraient pas supporté plus longtemps ce qu’était devenu le Baroch en terme de nuisances. » La décision du maire passe mal en haut lieu : « On m’a immédiatement reproché de créer un point de fixation et un appel d’air pour ces migrants. » Pour ce qui est de « l’appel d’air », le souffle des bombes, la violence des combats auront été une motivation d’un tout autre calibre que les 213 « shelters » (abris municipaux) qui constituent aujourd’hui le camp de la Linière. Quant au « point de fixation » : « Depuis le démantèlement de Sangatte et l’accord du Touquet, la frontière entre la France et la Grande-Bretagne, constate Damien Carême, passe dans notre région ! » Cet accord du Touquet, signé en 2003 entre la France et la Grande-Bretagne, permet aux autorités britanniques d’appliquer leur droit sur le sol français, et vice versa, via des bureaux de contrôle d’immigration communs, dans les ports de la Manche et de la mer du Nord. En 2007, le règlement Dublin II inaugure le principe d’une seule demande d’asile dans un seul pays d’Europe, et confie la responsabilité de l’examen de la demande à l’État qui a laissé entrer le requérant sur son territoire. Les kilomètres de clôtures grillagées hautes de cinq à six mètres qui ceinturent le nœud routier menant à Calais en disent long sur les intentions britanniques, qui font la fortune des passeurs…

Lire aussi : Rony Brauman (Médecins sans frontières) : “Nous sommes tous des réfugiés potentiels”

Humaniser l’attente, rétablir la dignité

Ouvert depuis un mois, le centre de la Linière compte 1287 réfugiés, pour la plupart des Kurdes venus d’Irak ou de Syrie, dont l’unique préoccupation est de quitter les côtes françaises le plus rapidement possible pour gagner l’Angleterre, où les attendent leurs familles, des amis. MSF a confié la gestion logistique du centre à l’association Utopia 56, qui assure chaque année celle du festival des Vieilles Charrues en Bretagne.

Personne ne s’installe vraiment ici. Mais grâce aux sanitaires, aux douches, à l’antenne médicale, à la présence des bénévoles, aux animations, cette salle d’embarquement à ciel ouvert retrouve de l’humanité et de la civilité et un peu plus de sécurité.

Volontaires d'UTOPIA 56. Jeanne et Marion de Rennes (56). L'une en seconde année de droit, l'autre en sciences de l'éducation. Leur raison d'être là: " On s'est juste demandé : Et si c'était nous qui étions réfugiés ? "

Volontaires d’Utopia 56. Jeanne et Marion de Rennes (56). L’une en seconde année de droit, l’autre en sciences de l’éducation © P. Marini / CCAS

Des dizaines de volontaires, jeunes pour la plupart, se relaient pour procurer assistance et soutien à cette population souvent désemparée et en attente du prochain départ. Comme Jeanne et Marion, étudiantes à Rennes. « On s’est dit : et si c’était nous qui vivions cette situation, de quoi aurions-nous besoin ? » explique Marion. D’un geste d’amitié, d’un sourire, d’un chauffage à pétrole, d’un cours de français, du partage d’un repas, ce qu’elles font au quotidien, une semaine par mois. « Il y a de la part de tous beaucoup de respect envers nous. De toute façon, ils se font le plus neutres possible. Ils ont très peur que leurs familles restées là-bas soient inquiétées pour un propos, une photo sur Facebook. » Car ici, tout le monde est très connecté. Les bornes de recharge des portables, sous le vaste préau de l’ancienne usine, entre les tables de ping-pong, sont encombrées.

Atelier théâtre pour les tous petits animé par les volontaires anglais. Les enfants s reprennent vie depuis mars et leur transfert dans le camp de la Linière à Grande-Synthe

Atelier théâtre pour les tout-petits animé par les volontaires anglais. Les enfants reprennent vie depuis mars et leur transfert dans le camp de la Linière à Grande-Synthe © P. Marini / CCAS

Les « volunteers » britanniques ont ouvert une école sous tente où règne une ambiance calme et studieuse. C’est aussi un lieu d’écoute. Pas de photos ni d’interview sans une autorisation préalable. En face, l’atelier théâtre réunit les enfants pour des jeux collectifs : « Dans les campements, les enfants, on ne les voyait pas, explique Florence, puéricultrice coordinatrice de l’équipe MSF. Depuis un mois qu’ils sont là on ne voit qu’eux. Ils courent, jouent, ne quittent pas leur vélo. J’ose dire que leurs pathologies – bobos aux genoux, écorchures – font presque plaisir à soigner, parce que ce sont celles des enfants de leur âge, vivants et joueurs. » Pour les adultes ? « On a naturellement pas mal d’infections ORL, mais beaucoup moins d’atteintes pulmonaires qu’avant. On reçoit une cinquantaine de patients par jour à l’antenne, ce qui n’est pas un taux anormal pour une population de 1500 personnes vivant dans ces conditions. » Reste l’invisible : les séquelles psychologiques, du conflit, de l’exil. « Les états dépressifs sont liés à leur situation, aux traumatismes et aux deuils qu’ils ont subis, là-bas ou sur le chemin de l’exode, souligne Hortense qui prenait ce jour-là la relève de Florence. Dans les prochains jours, nous mettrons en service une consultation psychologique. »

Une organisation "improvisée" certes mais en moins de 30 minutes, 50 matelas avaient trouvé preneurs... Ayan 20 ans. Arrivé il y a 3 mois avec sa famille d'Irak: " Mes deux frères nous attendent en Angleterre, on se dit qu'on finira bien par partir. " Sa maman, Amina, essuie discrètement ses larmes. Dans un grand sourire Ayan lance : " Demain qui sait, nous passerons ! » © P. Marini / CCAS

Une organisation « improvisée » certes mais en moins de 30 minutes, 50 matelas avaient trouvé preneurs… © P. Marini/CCAS

Les 80 matelas de Per a pace ont très vite été distribués aux familles. Ayan, Karzan Mina et leur maman, Amina, nous ouvrent la porte de leur tente, impeccablement ordonnée.

Ayan 20 ans. Arrivé il y a 3 mois avec sa famille d'Irak: " Mes deux frères nous attendent en Angleterre, on se dit qu'on finira bien par partir. " Sa maman, Amina, essuie discrètement ses larmes. Dans un grand sourire Ayan lance : " Demain qui sait, nous passerons ! » © P. Marini / CCAS

Ayan, 20 ans. Arrivé il y a trois mois avec sa famille d’Irak : « Mes deux frères nous attendent en Angleterre, on se dit qu’on finira bien par partir. » Dans un grand sourire, Ayan lance : « Demain, qui sait, nous passerons ! » © P. Marini/CCAS

Sourires éclatants de ces jeunes d’une vingtaine d’années, étudiants dans la région de Sinjar, qu’ils ont quittée il y a trois ou quatre mois, fuyant les combats : « Nous avons marché de Grèce jusqu’en Allemagne. Puis nous avons pris le train pour arriver ici via la Belgique, raconte Ayan. Demander l’asile en France ? On ne pourrait plus rejoindre l’Angleterre, affirme-t-il, très justement. Il faut passer. Là-bas j’ai deux frères et des petits neveux qui nous attendent. Nous parlons l’anglais. On va y arriver. » En regardant sur l’écran de l’appareil la photo qu’ils nous ont autorisé à prendre d’eux, Amina, leur maman, ne peut que retenir discrètement, mais en vain, ses larmes. Dans un sourire et dans son regard, elle semble réaliser à l’instant, dans cette image familiale, la page qui vient de se tourner sur sa vie. « Demain, lance Ayan en riant, demain ! »

Le reste du chargement de Per a pace, couvertures et duvets, ira à Calais : « Nous venons de prendre un grand bain d’humanité, dit Jacques. Nous avons eu raison de venir ici, et de voir par nous-mêmes pour comprendre. L’accueil a été formidable. J’ai le sentiment qu’à notre place on a contribué un peu à leur rendre la vie moins dure. J’espère que nous allons pouvoir faire partager tout cela aux collègues qui viendront séjourner chez nous en Corse, cet été. »

Pour aller plus loin

« Nulle part en France », documentaire de Yolande Moreau (Arte)

Cinéaste invitée de la série multimédia d’Arte Reportage « Réfugiés », Yolande Moreau a passé une dizaine de jours dans les jungles de Calais et de Grande-Synthe en janvier 2016.

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1 Commentaire
  1. Casamarta 9 ans Il y a

    Un article plein d’humanité, il vise à rejeter l’indifférence.

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