Loi de souveraineté énergétique : marche arrière toute

Centrale nucléaire de Saint-Laurent-les-Eaux. Photo EDF.

La loi de souveraineté énergétique doit notamment
intégrer le développement du parc nucléaire. ©Thierry Mouret/EDF

En 2023, le gouvernement avait promis une « grande loi » de programmation énergétique et climatique. Le projet de texte actuellement en débat est loin de cette ambition.

Adoptée en 2019, la dernière loi française de programmation énergie-climat fixait des éléments de calendrier et de procédure en matière de planification. Tous les cinq ans, le Parlement doit débattre des enjeux et inscrire dans un texte de loi les grands objectifs nationaux (maîtrise de la consommation, mix énergétique, réduction des gaz à effet de serre…). Ces ambitions sont ensuite déclinées dans des documents plus techniques : la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), toutes deux adoptées par décrets, ainsi que le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNAAC).

Ce travail est d’autant plus nécessaire que, depuis 2019, plusieurs changements majeurs ont eu lieu. En 2021 et 2022, les prix de l’énergie flambaient, poussant l’Union européenne à réformer certains aspects de sa réglementation. Au niveau national, Emmanuel Macron annonçait en février 2022 un nouveau plan de développement du nucléaire, qui annulait le désengagement promis par François Hollande en 2015 : la France va conserver ses centrales existantes, s’équiper de six réacteurs EPR2 et étudier la possibilité de construire huit réacteurs supplémentaires.

La législation doit évoluer pour intégrer ces nouveaux éléments, ainsi que les derniers objectifs énergétiques et climatiques européens. Mais, en l’absence de majorité absolue au Parlement, le gouvernement marche sur des œufs.

Un nouveau positionnement sur le nucléaire

Fin décembre 2023, Emmanuel Macron dévoile la version initiale d’une loi de programmation dénommée « de souveraineté énergétique », un terme décidément à la mode.

Le premier volet de cette loi fixe les ambitions nationales. Il traduit en chiffres le nouveau positionnement sur le nucléaire et révise à la hausse les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et de baisse de la consommation d’énergie.

Le deuxième volet vise à renforcer la protection des consommateurs face au démarchage des fournisseurs alternatifs.

Le troisième détaille la réforme du marché de l’électricité, notamment les modalités de fixation des prix de l’électricité nucléaire produite par EDF.

Le quatrième, enfin, autorise le gouvernement à modifier par ordonnance le régime des installations hydroélectriques, avec l’espoir d’éviter l’ouverture à la concurrence exigée par Bruxelles.

« [Sur ce premier projet], nous étions en désaccord sur le renforcement du rôle du marché, qui a des conséquences délétères sur notre industrie électrique et sur les prix pour les consommateurs. »
Gwénaël Plagne, secrétaire du CSEC d’EDF SA

Sitôt publié, le projet est vivement critiqué. S’il fait passer l’objectif français en matière de gaz à effet de serre de 40 à 50 % en moins en 2030, l’exécutif ne propose plus de « réduire » ces émissions mais de « tendre vers une réduction ». Les écologistes et les professionnels de la filière dénoncent aussi l’absence d’objectifs chiffrés de développement des énergies renouvelables, pourtant réclamés par l’Union européenne.

Une absence qui n’a rien d’un oubli : Paris milite à Bruxelles pour leur substituer des objectifs de décarbonation, de façon à englober le nucléaire. « Ce premier projet contenait des points positifs et d’autres négatifs, analyse Gwénaël Plagne, secrétaire du Comité social et économique central (CSEC) d’EDF SA. L’augmentation des moyens de production pilotables était une bonne chose. Par contre, nous étions en désaccord sur le renforcement du rôle du marché, qui a des conséquences délétères sur notre industrie électrique et sur les prix pour les consommateurs. »

L’énergie aspirée par l’Économie, la loi vidée de son sens

Mais le 17 janvier, alors que le projet de loi est examiné par le Conseil national de la transition écologique (qui regroupe des associations, des syndicats et les pouvoirs publics), le gouvernement annonce un changement majeur : la partie qui contenait les objectifs climatiques et de mix énergétique est retirée du projet.

Avec la mise en place du gouvernement Attal, quelques jours plus tôt, l’énergie a été intégrée aux compétences du ministère de l’Économie, et Bruno Le Maire dit vouloir « prendre davantage de temps » pour discuter ces chiffres. À gauche comme à droite, ce revirement suscite un tollé.

Une « très mauvaise nouvelle » pour le député La France insoumise Matthias Tavel, « un démantèlement total » pour sa collègue écologiste Delphine Batho, « inacceptable » pour la Commission des affaires économiques du Sénat, présidée par Dominique Estrosi Sassone (Les Républicains).

Une partie de la gauche refuse la relance du nucléaire tandis que la droite est de plus en plus critique sur l’éolien ? Il n’y aura donc pas d’objectifs chiffrés de mix énergétique. L’opposition risque de contester l’accord entre EDF et l’État sur les prix de l’électricité nucléaire ? Les modalités de régulation ne seront donc pas inscrites dans la loi.

Et ce n’est peut-être pas fini. Le 2 février, le quotidien économique La Tribune croit savoir que le mécanisme de taxation des bénéfices d’EDF réalisés sur le marché de l’électricité sortira lui aussi de la loi. Pour faciliter l’adoption du projet, Bercy veut en ôter les sujets les plus sensibles politiquement. Une partie de la gauche refuse la relance du nucléaire tandis que la droite est de plus en plus critique sur l’éolien ? Il n’y aura donc pas d’objectifs chiffrés de mix énergétique. L’opposition risque de contester l’accord entre EDF et l’État sur les prix de l’électricité nucléaire ? Les modalités de régulation ne seront donc pas inscrites dans la loi.

Tous ces éléments devront pourtant figurer tôt ou tard dans des textes. Probablement dans des décrets, dont le contenu ne fera l’objet d’aucun débat parlementaire, ou dans la prochaine loi de finances, qui risque fort d’être adoptée en recourant à nouveau à l’article 49.3 de la Constitution.

« Il est important et urgent d’avoir un débat sur la souveraineté énergétique, mais comment débattre dans ces conditions ? Quel serait le sens d’une loi sur l’énergie vidée de ses éléments les plus structurants ? », s’interroge Gwénaël Plagne. En charge de l’énergie depuis le 8 février dernier, le ministre délégué Roland Lescure a encore une fois repoussé l’échéance : le nouveau projet de loi serait présenté au second semestre. Le temps, également, de laisser passer les élections européennes.

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