Tempête Ciaran : les agents au chevet d’un réseau « haché menu » dans le Finistère

Intervention des agents Enedis après la tempête Ciaran. Finistère, 7 et 8 novembre 2023.

Les agents des Fire (Force d’intervention rapide d’électricité) sont dépêchés de toute la France pour aider à la remise en état du réseau dans le Finistère. Ici, les équipes Enedis TST-HTA du Nord-Pas-de-Calais. ©Pierre Charriau/CCAS

En début de semaine dernière, de nombreux foyers bretons restaient encore privés d’électricité, à la suite du passage de la tempête Ciaran. Reportage dans le Finistère, auprès des agents qui œuvrent sur le terrain pour rétablir le courant aux usagers et réparer le réseau.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre, la tempête Ciaran a déferlé sur l’Angleterre, la Belgique et sur un grand nombre de départements français, de la façade atlantique jusqu’à l’intérieur du territoire. Au lendemain du passage de la tempête, Enedis, gestionnaire de réseau filiale d’EDF, indiquait que 1,2 million de foyers étaient privés d’électricité.

C’est en Bretagne, épicentre du passage de la tempête, que les dégâts étaient les plus importants. À la pointe du Raz, les vents on atteint la vitesse de 207 km/h. Dans les quatre départements bretons, Morbihan, Finistère, Côtes-d’Armor et Ille-et-Vilaine, on dénombrait 780 000 foyers privés de courant le 2 novembre.

« Le réseau n’est pas seulement par terre, il est haché menu »

Une semaine après le passage de Ciaran, Enedis annonçait que l’électricité était rétablie dans « plus de 96 % des foyers concernés ». L’entreprise indiquait également, que 44 200 clients restaient coupés du réseau dans quatre département bretons et normands. Ce jour-là, « Le Télégramme » titrait : « Électricité : c’est pour quand ? »

« Demain, il faudra tout reconstruire du réseau. »
Hervé Champenois, directeur technique national d’Enedis

Avec des bourrasques dépassant les 200 km/h, la tempête a couché des milliers d’arbres, emportant parfois les lignes voire les poteaux électriques et téléphoniques. ©Pierre Charriau & Charles Crié/CCAS

Mardi 7 novembre, dans les couloirs de la base opérationnelle de Quimper, où nous nous sommes rendus, Christophe, responsable d’équipe, nous confiait : « Le réseau n’est pas seulement par terre, il est haché menu. »

Le lendemain matin, en visite au centre opérationnel de Brest, Hervé Champenois, directeur technique national d’Enedis, ne disait pas autre chose aux agents réunis à la prise de service : « L’intensité de la tempête en Bretagne est inédite. Bien sûr, nous finirons par tout réparer. Mais demain, il faudra tout reconstruire du réseau. »

Intervention des agents Enedis après la tempête Ciaran. Finistère, 7 et 8 novembre 2023.

Intervention de Hervé Champenois, directeur technique national d’Enedis devant les équipes Enedis et prestataires au centre opérationnel de Brest. ©Pierre Charriau/CCAS

Au même moment, la CMCAS Finistère-Morbihan préparait dans l’urgence les centres de vacances de Fouesnant et de Morgat, en y assurant, le soir même, le gite, le couvert et l’accueil des collègues. Pour combien de temps ? Probablement plusieurs jours.

Au total, selon Enedis, 3 400 techniciens, dont plus d’un millier de Bretons, étaient mobilisés, convergeant la veille du passage de la tempête, depuis les différentes régions de France : de la Franche-Comté à la Bourgogne, des Pyrénées à la région parisienne, du Nord-Pas-de Calais au Lot, et à l’Alsace. À leurs côtés, depuis tous ces jours, un millier de salariés des prestataires privés.

Petit déjeuner. Accueil des équipes Enedis et Réséda (distribution sur Metz et sa région) mobilisées après la tempête Ciaran à la maison familiale de Morgat (Finistère).

Venant de toute la France, les équipes mobilisées après la tempête Ciaran sont hébergées à la maison familiale de Morgat (Finistère). ©Charles Crié/CCAS

Une soixantaine de collègues de l’entreprise ESB Network ont même fait la traversée depuis l’Irlande et sont positionnés dans les Côtes-d’Armor. Cette belle mobilisation a été dramatiquement marquée, le samedi 4 novembre, par le décès, en opération à Pont-Aven (Finistère), de Fréderic, 46 ans, père de trois enfants, venu d’Auch (Gers) en renfort. Sa disparition brutale a suscité une grande émotion dans la population, qui côtoie depuis plus d’une semaine agents et prestataires dans les villes et dans la campagne. Dans les équipes, c’est le silence qui entoure la place laissée vide par Frédéric.

Intervention des agents Enedis après la tempête Ciaran. Finistère, 7 et 8 novembre 2023.

Les équipes Enedis Franche Comté et Alsace raccordement en intervention sur la commune d’Ergué-Gabéric. ©Pierre Charriau/CCAS

Un champ de ruines

À 5 km de Quimper, la belle route boisée du Meil-Dréau, sur la commune d’Ergué-Gabéric (Finistère), plonge dans la vallée du Jet. Sur le bas-côté, deux camions viennent de s’arrêter : le bleu est celui d’une équipe Enedis de Franche-Comté, le camion à nacelle blanche, celui d’un prestataire alsacien, Alsace raccordement.

Ces électriciens ne se quittent plus d’une semelle depuis une semaine. Le chef d’équipe est surpris et un peu tendu par notre visite. Il est en train d’effectuer l’inspection d’une ligne torsadée, prisonnière d’un enchevêtrement de branches.

Dans le Finistère, l’accès et la circulation au sein des espaces boisés sont interdits afin de prévenir les risques de chutes de branches et d’arbres. ©Pierre Charriau/CCAS

L’équipe repart un quart d’heure plus tard, et fait une nouvelle halte 50 m plus bas, pour découvrir le même tableau, au carrefour d’un chemin détrempé, bordé de belles maisons. À terre, à côté du câble électrique, le réseau téléphonique n’est plus qu’une grosse pelote noire.

Ce jour-là, 114 antennes de télécommunications sont encore hors service dans le département. Jean-Pierre, 80 ans, pétillant retraité de la marine nationale, surgit et lance aux agents : « On ne croyait plus que vous alliez arriver ! Ça fait six jours que l’on est coupé de tout : pas de chauffage ni d’eau chaude pas de téléphone ni d’internet, ça commence à faire long. » Il s’estime heureux d’avoir de l’eau : « Beaucoup n’en avaient pas, les pompes des châteaux d’eau étaient coupées. » Avec son voisin, il a « bucheronné pendant trois jours pour dégager le chemin ».

L’intervention des agents était attendue avec impatience par des habitants privés de courant, de téléphone, voire d’eau. ©Pierre Charriau/CCAS

Son autre voisine a quitté sa maison pour rejoindre sa famille. « Le plus dur, c’est l’isolement. On a vraiment l’impression d’être des ‘oubliés’ », assure Jean-Pierre. Pendant qu’il nous parle, la nacelle des Alsaciens a déjà hissé Tanguy, le jeune « presta », au chevet du poteau.

« Ils ont perdu un gars, on peut bien attendre un peu. [Ne pas avoir l’électricité], c’est rien à côté de ça. »
Un habitant sinistré de la commune de d’Ergué-Gabéric

Les agents francs-comtois assurent à Jean-Pierre que le courant sera rétabli ce soir. Le Breton nous glisse : « Ils m’ont déjà dit ça il y a trois jours. » En effet, contrairement à ce qu’avait annoncé Marianne Laigneau, présidente d’Enedis, lundi 6 novembre, tous les foyers bretons privés d’électricité n’étaient pas raccordés de nouveau mercredi soir. Mais Jean-Pierre, qui veut croire à la fin de sa « robinsonnade », concède : « Ils ont perdu un gars, on peut bien attendre un peu. [Ne pas avoir l’électricité], c’est rien à côté de ça. »

Une équipe de trentenaires solidaires

À 20 km plus au sud, le pays bigouden se relève. Doucement. Dans la plaine, à deux pas de l’océan, Ciaran est passé directement, sans obstacles.

L’impact de la tempête sur les exploitations agricoles et les pépinières inquiète la filière. ©Pierre Charriau/CCAS

Dans un vaste champ qui borde la route du hameau de Kermathéano, entre Plonéour-Lanvern et Pont-l’Abbé, c’est une des trois équipes de la Fire (Force d’intervention rapide d’électricité) du Nord-Pas-de-Calais qui s’est déployée. Créée au lendemain de la tempête de 1999, la Fire est composée d’équipes régionales et regroupe 2 500 techniciens et techniciennes volontaires au total.

Le terrain est plus que boueux : sous les herbes, il semble gonflé comme une éponge dans laquelle on s’enfonce inexorablement. Les câbles d’une ligne à haute tension pendent tristement. En bordure de haie, un arbre a cassé par le milieu un poteau en ciment. Le chantier commence.

Intervention des agents Enedis après la tempête Ciaran. Finistère, 7 et 8 novembre 2023.

Les équipes Enedis TST-HTA du Nord-Pas-de-Calais en intervention sur une ligne HTA sur la route du hameau de Kermathéano. ©Pierre Charriau/CCAS

Les reconnaissances effectuées par hélicoptère et par drone montrent en effet « un grand nombre de poteaux et de portées au sol, avec des supports cassés, indiquait Enedis la semaine dernière. Il y a aussi énormément de postes de transformation ou de transformateurs écrasés par la végétation ».

« La semaine dernière, on était encore positionnés dans notre région, à Saint-Omer, Boulogne et Béthune, raconte Christophe, chef d’agence TST-HTA du Nord-Pas-de-Calais qui conduit le déploiement de la Fire Nord-Pas-de-Calais. Ici, en Bretagne, notre Fire est composée de 17 agents, soit une capacité de trois équipes opérationnelles. »

Le nouveau poteau est déjà sur place. La foreuse creuse son emplacement. Sur le camion, Romain s’est transformé en maçon pour préparer le scellement.

Intervention des équipes Enedis TST-HTA (travaux sous tension/lignes à haute tension) du Nord-Pas-de-Calais sur la route du hameau de Kermathéano. ©Pierre Charriau/CCAS

« Le réseau, c’est comme les routes. La haute tension, c’est l’autoroute. Les dérivations en moyenne tension, les nationales. Et la basse tension, les départementales. Aujourd’hui, on a relevé l’autoroute et la nationale. »
Steve, hyperviseur au sein de la Fire Enedis TST-HTA

Dans cette équipe de jeunes trentenaires, chacun a sa place et la joue collectif : Wallid, qui a réussi, après de patients efforts, à crocheter du bout d’une perche le câble sur la grue, est félicité par Romain comme s’il avait marqué un essai, sous l’œil complice de Cyril et les sourires entendus d’Aurélien, de Benoît et de Cédric.

« Cette tempête, on va s’en souvenir longtemps », reconnaît Christophe. Tenant le plan du chantier de la journée, Steve, hyperviseur au sein de l’équipe Fire, nous l’explique patiemment : « Le réseau, c’est comme les routes. La haute tension, c’est l’autoroute. Les dérivations en moyenne tension, les nationales. Et la basse tension, les départementales. Aujourd’hui, on a relevé l’autoroute et la nationale. Le plus long à faire dans cette tempête, ce sont les centaines de départementales qui vont jusqu’aux milliers de foyers. » C’est tout l’enjeu de ce qui va se dérouler dans les prochains jours en Bretagne.

Intervention des agents Enedis après la tempête Ciaran. Finistère, 7 et 8 novembre 2023.

Les équipes ont encore du travail pour rétablir l’ensemble des usagers et relever le réseau. ©Pierre Charriau/CCAS


Merci aux agents rencontrés sur le terrain
et à tous ceux qui contribuent à rétablir le courant et à réparer le réseau.

Une partie des agents Enedis et prestataires rencontrés lors de notre reportage dans le Finistère. Merci à eux pour leur participation ! ©Pierre Charriau/CCAS

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