Un anniversaire sous le signe de la lutte contre Hercule

Un anniversaire sous le signe de la lutte contre Hercule | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 103430 1

Le 8 avril 2021, devant l’hôtel de région de Bordeaux, les manifestants fêtent les 75 ans de la loi de nationalisation de l’électricité et du gaz autour d’un gâteau de compteurs électriques, encadré de deux faux cercueils, symboles de l’enterrement souhaité des projets Hercule et Clamadieu qui menacent le service public de l’énergie. ©Sébastien Le Clézio/CCAS

La journée anniversaire des 75 ans de la nationalisation du gaz et de l’électricité en France, le 8 avril, aura symboliquement donné le départ de la dernière ligne droite d’une lutte pied à pied contre le démantèlement du secteur public de l’énergie, symbolisé par le projet Hercule.

Sans doute pour convaincre ses lecteurs des bienfaits des nationalisations, « Le Figaro » commémorait, dans son édition du 8 avril dernier, l’anniversaire de la loi de nationalisation du gaz et de l’électricité en embarquant dans ses pages une imposante opération publicitaire d’EDF où, sur des facsimilés d’époque, s’égrenaient les riches heures de l’entreprise.

Les agents quant à eux, aux manettes jour et nuit de ce joyau industriel, scientifique et technique (EDF est la 3e entreprise « la plus admirée des français » selon l’enquête Ifop-Eight Advisory 2020), avaient choisi de célébrer les 75 ans du service public de l’énergie à travers des actions de protestation contre le projet dit « Hercule », qui entrainerait son démantèlement.

Malgré les restrictions imposées par confinement sanitaire, un peu partout en France, les électriciens et gaziers ont allumé des bougies, arboré des masques à l’effigie de Marcel Paul (artisan de la nationalisation et du statut national) et autres banderoles réclamant la renationalisation des biens communs que sont le gaz et l’électricité.

Des rassemblements sur tout le territoire

À Marseille, Bordeaux et Dieppe, de nombreux manifestants ont répondu à l’appel des syndicats. Photos : Éric Raz, Sébastien Le Clézio et Charles Crié.

À Dieppe (Seine-Maritime), c’est sur le parvis de la mairie du port normand, entre les coquilliers de Saint-Jacques et le terminal de la compagnie transmanche, qui relie quotidiennement le continent au port anglais de Newhaven, que les agents avaient rendez-vous en fin de matinée. Quelques heures plus tôt, les délégations s’étaient invitées à la direction régionale de l’entreprise à Rouen. Vers midi, venus du CNPE de Penly au Nord, et de celui de Paluel au Sud, ils occupaient joyeusement et sous un soleil éclatant la place de la mairie, rebaptisée pour l’occasion « Place Marcel Paul ».

À leurs côtés, Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME-CGT et Sébastien Jumel, le député communiste de la circonscription et animateur de la bataille parlementaire contre le projet Hercule. Au fronton du bâtiment, à coté d’une grande banderole en hommage aux soignants, une autre salue le courage des agents de l’énergie, eux aussi « sur le pont » durant la pandémie, et mobilisés depuis maintenant dix-huit mois, contre le projet Hercule.

Un anniversaire sous le signe de la lutte contre Hercule | Journal des Activités Sociales de l'énergie | 103305 Manifestation pour les 75 ans de la nationalisation des IEG Dieppe

À Dieppe, le maire de la ville Nicolas Langlois (à dr.), le député Sébastien Jumel (à sa gauche) et le secrétaire général de la FNME-CGT Sébastien Menesplier (au centre) admirent le gâteau d’anniversaire aux couleurs de l’entreprise historique réalisé pour l’occasion. ©Charles Crié/CCAS

« Sur notre territoire, on compte 9 000 agents EDF » rappelle Nicolas Langlois, le jeune maire de Dieppe : « Il y a soixante-quinze ans, la France a décidé de soustraire les énergies électrique et gazière au secteur privé pour la placer sous l’autorité du secteur public, lui conférant ainsi son statut de bien commun et de première nécessité » souligne l’édile, qui s’inquiète de « la précarité énergétique qui gagne du terrain ».

Et d’ajouter : « Nos PME, déjà ‘sur le fil’, doivent continuer à pouvoir disposer d’une énergie bon marché et de qualité. C’est, au cœur de nos territoires, une nécessité vitale. Enfin, la transition écologique a besoin, pour aboutir, d’un grand opérateur public pour la faire avancer dans le bon sens. » Autant de bonnes raisons selon lui de ne pas abandonner l’opérateur public aux logiques de « boutiquiers ».

Un projet Hercule ‘bis’ présenté aux syndicats

La rencontre, deux jours plus tôt, des représentants de l’intersyndicale avec les ministères concernés et le PDG d’EDF, est évidement sur toutes les lèvres – dûment masquées – : « Je n’y étais pas, rigole Antoine, militant CGT de Paluel, mais à première vue, c’est toujours du ‘Hercule pur jus’. On découpe la boite en morceaux, on y fait entrer le secteur privé, et on met en concurrence les filières du mix énergétique, avec des conséquences inévitables sur la qualité du service public, sur la hausse des factures, sur les conditions de travail et les accords collectifs ».

« Lors de cette rencontre, raconte en effet l’interfédérale au sortir de la réunion, nous n’avons rien appris de nouveau excepté sur la forme, car les deux ministres ont présenté un projet de réforme d’EDF qui ne fait plus référence à Hercule ni aux entités Bleu, Azur et Vert. » Selon les syndicats, la réforme du groupe EDF « porte désormais la structuration juridique suivante : une société EDF SA maison mère 100 % publique et donc renationalisée, une filiale EDF Hydro quasi régie 100% publique et nationalisée, et une société ‘EDF énergies renouvelables et réseaux’ dont le capital pourrait être ouvert jusqu’à 30 % ». Rien de nouveau sous le soleil, donc.

« C’est de l’enfumage ! fulmine Sébastien Jumel, inlassable rassembleur à l’Assemblée nationale du front parlementaire contre le projet Hercule. Il ne faudrait plus appeler Hercule un projet qui lui ressemble trait pour trait : c’est un peu comme Voldemort dans « Harry Potter », le nom qu’il ne faut plus prononcer ! »

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Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT. ©Charles Crié/CCAS

Pour le secrétaire général de la FNME-CGT, « le découpage de ce fleuron industriel contre une augmentation de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) de sept euros, qui prendra fin dans moins de trois ans, est un non-sens. » « D’un côté, le gouvernement tente de nous convaincre du retour de l’État au capital d’EDF, mais de l’autre, il filialise nos métiers dans des compartiments ‘étanches’, les ouvre aux capitaux privés, et organise le démantèlement de fait du service public », explique-il.

Les déclarations gouvernementales sur le maintien du statut national du personnel ne le rassurent guère : « Que vaut cet engagement quand les directions déploient d’ores et déjà dans le groupe des réformes sur les conditions de travail et les rémunérations des agents ? Encore un faux semblant », tempête Sébastien Menesplier, qui rappelle que l’intersyndicale demande la formation d’une commission parlementaire afin de dresser le bilan de vingt ans de dérèglementation de l’électricité et du gaz, et de jeter les bases du service public de demain.

Un point de bascule dans la lutte contre Hercule

« Le calendrier est connu, poursuit le secrétaire général de la FNME-CGT, et ce jour anniversaire coïncide avec un point de bascule dans la lutte contre Hercule : le gouvernement voudra déposer un projet de loi cet été, pour un vote qu’il espère à l’automne. On entre à l’évidence dans une période nouvelle de la lutte contre ce projet. Il faut que le rapport de forces, dans l’unité et le rassemblement, se renforce. »

Sébastien Jumel reste confiant sur l’issue de la lutte : « Même si le gouvernement est pressé d’aboutir avant les élections présidentielles, le pouvoir sent bien qu’il est isolé, et que son projet ne passe ni chez les salariés d’EDF, ni dans l’opinion, ni d’ailleurs chez les élus locaux et nationaux » analyse-t-il. Et d’annoncer qu’au nom des 83 députés qui s’opposent à Hercule, il conviera dans les prochains jours l’intersyndicale à l’Assemblée nationale, pour faire le point.

Thierry Buzin, de la CFE-CGC de Paluel, l’affirme : « Durant ces derniers 18 mois, l’intersyndicale unie et la mobilisation des salariés a permis de sortir de l’opacité la plus complète un dossier complexe, certes, mais tellement structurant pour notre pays, et qui, au fond, oppose un modèle économique contre un autre ».

Les négociations avec Bruxelles sont au point mort.

Dans une enquête publiée sur « Médiapart », Martine Orange, spécialiste des questions industrielles et qui scrute de près la marche d’Hercule, note que « si le gouvernement tient tant à briser les oppositions internes, c’est qu’il cherche à créer un rapport de forces avec la Commission européenne ». Selon la journaliste, « les négociations avec Bruxelles sont au point mort. Aucune réunion n’a eu lieu entre les membres du gouvernement et la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, depuis début mars ».

Quant à la possibilité évoquée au cours de l’entrevue du 6 avril avec l’intersyndicale par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance Bruno Lemaire, d’inscrire dans la loi que « l’entité appelée à être cotée en Bourse resterait contrôlée à 75 % par EDF », elle laisse Raphaël Boroumand, spécialiste des marchés de l’énergie, dubitatif : « Qui peut le croire ? Tout le monde se souvient du précédent de GDF qui ne devait jamais être privatisé. Enedis est le seul actif qui offre une rentabilité forte et régulière. À un moment ou à un autre, l’État finira par céder aux sirènes du privé », explique à Martine Orange l’économiste, qui ne cache pas sa perplexité : « Je ne comprends pas que le gouvernement ait pu imaginer un tel projet qui porte en lui la fin d’un fleuron industriel, alors qu’EDF devrait être le levier de la transition écologique. »

Tandis que Bercy a remis cette semaine aux syndicats une note reprenant les points clés du projet du gouvernement, l’interfédérale dénonce notamment l’absence de dialogue social avec les représentants du personnel.



 

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