Ralf Bartels (syndicat IG BCE) : « La transition, un énorme défi économique et social »

Ralf Bartels © Eric Raz

Ralf Bartels ©E.Raz/CCAS

Peut-on sortir du nucléaire et réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre tout en évitant la casse sociale ? Pas à court terme, répond Ralf Bartels. Mais pour le chef du département « tournant énergétique » du syndicat allemand IG BCE, c’est bien dans les énergies renouvelables que se trouvent les emplois d’avenir.

Comment l’emploi a-t-il évolué ces dix dernières années ?
En 2004, l’Allemagne comptait 98000 employés dans les énergies renouvelables. En 2013, ce chiffre atteignait 261500, malgré une chute de 30000 emplois entre 2012 et 2013. Globalement, nous avons assisté à une croissance impressionnante au cours de la décennie passée. Et je crois que cela va continuer.

Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?
Le fait que les objectifs de la COP21 à Paris, les objectifs de l’Union européenne et ceux du gouvernement allemand en matière de soutien des énergies renouvelables convergent. Celles-ci représentent aujourd’hui en Allemagne 30% de l’électricité consommée (en 2015). Le gouvernement allemand s’est fixé comme objectif 55% d’énergies renouvelables en 2030 et 80 à 95% en 2050. La transition énergétique signifie la sortie du nucléaire et la disparition progressive des énergies fossiles. La croissance de l’emploi brut dans les renouvelables est donc une certitude.

Quels seront les piliers de cette croissance ?
L’éolien et le solaire.

Certains sont pourtant sceptiques sur le potentiel de ces énergies.
Il y aura peut-être une stagnation temporaire. Tout dépend si l’on observe les choses d’en bas ou d’en haut. Si un projet de parc éolien est retardé d’un an, cela peut avoir un impact négatif sur l’avenir d’une entreprise. Et d’un point de vue syndical, on peut craindre des incertitudes et des problèmes. Mais à long terme (2035 ou 2050), il y aura une croissance dans ces secteurs.

Mais dans les énergies conventionnelles (charbon et gaz), il y a déjà eu de nombreux licenciements.
Oui. Tout d’abord, la structure de l’emploi a beaucoup changé pour la bonne raison que personne ne travaille sur une turbine ou sur un module photovoltaïque. Cette transition se traduit par de nombreuses pertes d’emplois car on passe de centrales électriques employant de nombreux salariés à un type de production qui s’effectue quasiment sans personne.

Eoliennes, Allemagne © Eric Raz

Dans la région d’Hanovre © E.Raz/CCAS

Quel est l’avenir des centrales à charbon et à gaz ?
Avant le début de la réforme énergétique en 2010, le mix énergétique allemand se décomposait ainsi: 16% de renouvelables, 22% de nucléaire, 24% de lignite, 19% de houille, 14% de gaz et 5% de pétrole et autres sources. L’an dernier, le mix était le suivant : 30% de renouvelables, 14% de nucléaire, 24% de lignite, 18% de houille, 8% de gaz, 6% autres sources. Cela signifie que jnous avons encore besoin de toutes les centrales à charbon. Donc, personne ne va perdre son emploi dans ces centrales dans un avenir proche. Ce que nous avons fait et allons continuer à faire, c’est de remplacer le nucléaire par les renouvelables lorsqu’il y a du vent et du soleil. Nous utilisons le charbon seulement parce qu’il est moins cher que le gaz. C’est la source d’énergie la moins chère actuellement.

Mais en 2015, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté.
Nous sommes là au cœur du plus gros conflit causé par notre réforme énergétique. Sortir du nucléaire tout en protégeant la planète. Quelle est la priorité ? Il faut en décider car on ne peut pas faire les deux en même temps. C’est le même problème au Japon.

Le gouvernement allemand a annoncé l’an dernier la fermeture de plusieurs centrales à charbon.
Huit centrales vont fermer. C’est le résultat de négociations que nous avons eues l’an dernier avec le gouvernement, suite à une grosse manifestation à Berlin, qui a rassemblé 25000 travailleurs de l’énergie le 25 avril. En 2006, le gouvernement a décidé de réduire de 40% (par rapport à 1990) les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Mais en 2011, il y a eu l’accident de Fukushima et le même gouvernement a pris un virage à 180 degrés en décidant de fermer toutes les centrales nucléaires d’ici 2022 tout en maintenant l’objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre. Sans nucléaire et sans système de capture et de stockage du carbone.

Centrale nucléaire (Grohnde), Allemagne © Eric Raz

Centrale nucléaire de Grohnde, au sud D’Hanovre ©E.Raz/CCAS

Est-ce réalisable ?
Oui mais cela représente un énorme défi économique et social, demandant un énorme effort.

Avez-vous négocié directement avec le gouvernement pour la fermeture des centrales à lignite ?
Oui, nous avons accepté de participer à l’effort national pour atteindre les 40% de réduction. Comme je le disais, l’Allemagne est engagée dans cette voie depuis 2006 et nous ne pouvons pas abandonner dans la dernière ligne droite. Nous devons soutenir le gouvernement et la société dans la réalisation de cet objectif mais en évitant de perdre trop d’emplois.

Quel est votre cheval de bataille à IG BCE ?
Nous défendons la chaîne de valeur de l’industrie dans son ensemble. Les centrales électriques conventionnelles (charbon et gaz) représentent environ 50000 emplois. Nous ne dirons jamais qu’il faut augmenter les émissions de CO2 et risquer d’aggraver le changement climatique juste pour sauver 50000 emplois. Si l’Allemagne continue à combiner avec succès le combat contre le changement climatique avec la croissance économique et des emplois de qualité dans toute l’économie, alors d’autres pays pourraient être tentés d’emprunter le même chemin. A IG BCE, nous nous défendons au total 700000 emplois dans les industries à forte intensité énergétique. Certains écologistes peuvent se demander : pourquoi conserver cette production à forte intensité énergétique si elle nécessite tant d’énergie ? Notre réponse est : à cause de la chaine de valeur. Au début de chaque chaîne de valeur, il faut transformer des matières premières en matériaux de base, en utilisant beaucoup d’énergie. Mais sur le reste de la chaîne de valeur, on utilise beaucoup moins d’énergie. Ainsi, l’industrie automobile n’a pas besoin de beaucoup d’énergie mais il en faut beaucoup pour produire du métal. L’économie allemande est en fait un réseau étroit d’industries. Si on détruit les premiers maillons de cette chaîne, alors c’est la désindustrialisation. C’est cela que nous combattons.

Ralf Bartels © Eric Raz

Ralf Bartels ©E.Raz/CCAS

Pourtant, d’ici 2022, toutes les centrales nucléaires auront cessé de produire de l’électricité…
Huit ont déjà été fermées. Mais je ne crois pas qu’il y aura énormément de pertes d’emplois car après 2022 il faudra les démanteler et cela prendra beaucoup de temps. Les salariés continueront à y travailler jusqu’à leur retraite. Le vrai problème sera de trouver et de motiver des jeunes pour acquérir des compétences dans le nucléaire. Nous aurons besoin d’eux pour le démantèlement.

La question de l’emploi restera-t-elle une question centrale dans les années à venir ?
Oui, bien sûr. Il y aura toujours beaucoup de salariés dans le secteur énergétique. La grande question sera celle de la qualité des emplois. Aujourd’hui, les grandes entreprises et les entreprises municipales ont des négociations collectives, des comités d’entreprise, des syndicats, une sécurité sociale, une assurance chômage, une assurance retraite. On trouve rarement cette qualité d’emploi dans le secteur des renouvelables où il y a beaucoup de start-up et de petites sociétés.

Technicien d'usine à charbon, Allemagne © Eric Raz

Centrale à charbon en banlieue d’Hanovre ©E.Raz/CCAS

Comment s’assurer que les nouveaux emplois ne seront pas délocalisés ?
Si nous voulons maintenir la prospérité de notre société, nous devons rester innovants. L’innovation est le seul moyen pour nous de conserver nos emplois. Le succès de la transition énergétique dépend des innovations que nous n’avons pas encore inventées.

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